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30 mai 2010 7 30 /05 /mai /2010 14:02

 

patrick-modiano photo franck Courtés pour lire

Patrick Modiano, Photo de Franck Courtés pour Lire

 

Dans le dernier opus de Patrick Modiano, sobrement intitulé L'Horizon, le narrateur, Jean Bosmans, écrit qu'il ne sait plus dans quel livre il a lu que « chaque première rencontre est une blessure ». Une angoisse le saisit à l'idée qu'il pourrait ne plus jamais retrouver celle qu'il a rencontrée lors d'une manifestation, place de l'Opéra, Marguerite Le Coz, née à Berlin, et qui disparaît un soir de sa vie.

Par-delà « les années confuses qui ont suivi », « depuis quarante ans », le livre raconte comment il part en quête de cette femme, pour laquelle « il n'y avait jamais eu de point de départ »; elle « avançait dans la vie par bonds désordonnés,par ruptures et chaque fois elle repartait à zéro ». Ne fuit-elle pas un jour en train parce que ses patrons, le docteur André Poutrel et Yvonne Gaucher, dont elle garde le petit Peter, ont été arrêtés ? Elle craint en effet un interrogatoire, le lendemein, au quai des Orfèvres: « Ils savent des choses sur moi que je ne t'ai pas dites et qui sont dans leurs dossiers. »

C'est donc tout ce qui a été passé sous silence, « brèves rencontres, rendez-vous manqués, lettres perdues, prénoms et numéros de téléphone figurant dans un ancien agenda et que vous avez oubliés, et celles et ceux que vous avez croisés sans même le savoir », qui constituent le coeur même du roman. Ce que les astronomes appellent « la matière sombre », et qui, « plus vaste que la partie visible de votre vie », est infinie, devient l'unique objet de la quête de Jean Bosmans.

Admirable roman où le narrateur- tel Orphée descendant aux Enfers- plonge dans cette « matière sombre » pour en « retenir les ombres et en savoir plus long sur elles ».

Derrière ce narrateur, il n'est pas difficile de voir par ailleurs une sorte de double de Modiano. Comme lui, il a une mère flanquée d'un amant- « une femme aux cheveux rouges » et un homme à l'allure de prêtre défroqué ou de torero- qui vient lui réclamer de l'argent; comme lui, il aime les livres- il travaille dans la librairie des éditions du Sablier; comme lui, il écrit pour exprimer « un sentiment d'asphyxie »; comme lui, depuis quarante ans, il est devenu romancier et a publié une vingtaine de livres. Ainsi, le roman apparaît comme une sorte de concentré de toute l'oeuvre modianesque (Mais.ne pouvait-on déjà le dire pour Un Pedigree? )

Comme à l'accoutumée chez Modiano, la mémoire du narrateur est faillible, les indications inscrites dans son carnet personnel sont vagues, les phrases chuchotées dans son sommeil ne signifient plus rien au réveil, les calculs de probabilité sont inutiles. Et pourtant, la réalité des paroles échangées entre deux personnes se dissipe-t-elle vraiment dans le néant? La lumière du rêve qui a baigné ce que Jean Bosmans a vécu avec Margaret n'est-elle pas justement la vraie? Dans les replis du temps, Margaret et les autres, ceux de la Bande Joyeuse, Mérovée, Boyaval, le professeur Ferne et sa femme, Michel Bagherian, le docteur André Poutrel, Yvonne Gaucher et le petit Peter, ne vivent-ils pas « encore tels qu'ils étaient à l'époque »?

Il semble en effet que, dans ce roman de Modiano, il y ait quelque chose de nouveau, dont le titre L'Horizon est le signe. Certes,il y avait dans les précédents romans la volonté de cerner le passé, mais ici la certitude qu'il reste « des ondes, un écho d [u] passage » des personnages est clairement affirmée par le narrateur.

Et c'est justement la mémoire sublimée par l'écriture qui va lui permettre cette quête impossible. Lorsqu'il commence à écrire, c'est là qu'il comprend qu'il est proche d'une frontière « d'où il pourrait s'élancer vers l'avenir. Pour la première fois, il avait dans la tête le mot: avenir, et un autre mot: l'horizon. Ces soirs-là, les rues désertes et silencieuses du quartier étaient des lignes de fuite, qui débouchaient toutes sur l'avenir et l'HORIZON ». C'est ce sentiment d'un espoir, d'une ouverture qu'il avait aussi éprouvé en rêvant une rare fois de Margaret. Dans ce rêve, ils étaient attablés tous deux dans le bar de Jacques l'Algérien. La lumière en était lumineuse; « Quelques mots lui vinrent à l'esprit, sans doute le titre d'un livre: Une porte sur l'été. »

Parti à Berlin, le narrateur, qui n'a « aucune assise dans la vie », retrouvera la trace de celle avec qui il lui avait semblé qu'il avait vécu dans un « présent perpétuel ». Ainsi que le dit Nerval, « La treizième revient, c'est toujours la première ». Alors qu'un passant du nom de Rod Miller vient d'indiquer à Jean Bosmans l'adresse de la librairie Ladjinikov, que Margaret a reprise depuis deux ans, le narrateur éprouve un sentiment de sérénité. Il a soudain « la certitude d'être revenu à l'endroit exact d'où il était parti un jour, à la même place, à la même heure et à la même saison, comme deux aiguilles se rejoignent sur le cadran quand il est midi. »

Ainsi, dans cette nouvelle recherche du temps perdu entreprise par Modiano, où il est aussi question de science occultes à travers le livre d'André Poutrel, Le Cénacle d'Astarté, la croyance ésotérique en un temps cyclique et en l'Eternel retour vient sauver définitivement Margaret Le Coz de l'oubli. Pour Jean Bosmans,« elle ne cesse de marcher à sa rencontre sur le trottoir en pente de l'avenue Reille dans une lumière limpide d'hiver quand le ciel est bleu... »

 

 

Mardi 25 mai 2010

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