Les Noces de Figaro ( Acte II) avec Suzanne( Patricia Petitbon), La Comtesse (Malin Byström), Chérubin, (Kate Lindsey)
(Photo Pascal Gely/ CDDS Enguerrand)
Hier, jeudi 12 juillet 2012, ARTE retransmettait en direct du Théâtre de l'Evêché d'Aix-en-Provence, en simultané avec Radio-Classique, l'opéra-bouffe de Mozart en quatre actes, Les Noces de Figaro. Inspirée par Le Mariage de Figaro ou la folle journée de Beaumarchais, cette œuvre dont le livret est en italien, résulte de la première coopération de Mozart avec Lorenzo da Ponte. Elle fut créée le 1er mai 1787 au Burgtheater de Vienne.
Entre comédie et mélancolie, cet opéra est le triomphe du « dramma giocoso » et il est ici interprété par une troupe pleine de jeunesse et de dynamisme. Au cours de l'entracte, le metteur en scène Richard Brunel a d'ailleurs insisté sur cet esprit d'équipe. Le chef d'orchestre mozartien, Jérémie Rohrer (37 ans), a ainsi préféré diriger son propre Cercle de L'Harmonie qui joue sur des instruments anciens. Il a de même souhaité travailler avec les chœurs des Arts Florissants anciens qu'il connaît bien puisqu'il fut l'assistant de William Christie.
Selon Richard Brunel, la Justice étant un des thèmes-clés de cet opéra, il a transformé le château d'Aguas-Frescas originel en cabinets d'hommes de loi, de gens de justice et d'avocats, dont le Comte est le patron. On est certes au début un peu surpris de voir les personnages évoluer au milieu des dossiers et des photocopieuses et je ne suis pas certaine que cela ajoute grand-chose à la compréhension de l'œuvre.
Suzanne (Patricia Petitbon) et Figaro (Kyle Ketersen)
(Photo Pascal Gely/ CDDS Enguerrand)
Heureusement, un casting équilibré et bien choisi vient faire oublier ce choix surprenant. Suzanne (Patricia Petitbon, soprano colorature), à l'éclatante chevelure rouge, y mène la danse de la « folle journée », celle de son mariage, secondée par un Figaro (Kyle Ketersen, baryton-basse) à la palette de jeu très étendu. Tous deux forment un couple mozartien particulièrement bien assorti. Malin Byström (soprano aux belles inflexions) interprète avec distinction une Comtesse Almaviva enceinte, qui voit son mariage se déliter à cause des infidélités du Comte. Le Comte (Paulo Szot, baryton) convient bien au rôle mais il m'est apparu un peu éclipsé par les autres chanteurs. Dans le rôle de Chérubin, l'adolescent en proie à une libido enthousiaste, Kate Lindsey (mezzo-soprano) interprète avec délicatesse et subtilité un personnage difficile. Le reste de la distribution ne démérite nullement, avec peut-être une mention spéciale à Barberine (Mari Eriksmoen, soprano) dont j'ai bien aimé le solo au début du dernier acte.
La mise en scène fluide est servie par un dispositif scénique mobile circulaire, classique certes, mais qui permet de résoudre les problèmes spatiaux d'un opéra où l'on se cache beaucoup. On découvre ainsi ce qui se passe derrière les portes et la perspective s'en trouve approfondie jusqu'à l'acte final, celui des lieux éclatés et de la perte totale des repères.
Le décor circulaire des Noces de Figaro, dans la mise en scène de Richard Brunel
(Photo Pascal Gely/ CDDS Enguerrand)
Dans ce décor, tout en camaïeux gris et blancs, Richard Brunel a particulièrement bien rendu l'opposition entre un univers masculin autoritaire et un espace intime de la féminité et de la délicatesse. Dans l'acte II, qui se situe dans le lieu protégé des appartements de la Comtesse, l'élégance mélancolique de celle-ci, la fantaisie et la perspicacité de Suzanne, l'androgynie de Chérubin font merveille. Dans ces scènes célèbres, la Comtesse, délaissée par son époux, se laisse languissamment conter fleurette par son page (devenu ici jeune stagiaire dans le cabinet d'avocats!), Suzanne fait flotter avec grâce le long tulle de son voile de mariée et Chérubin joue avec subtilité de son ambiguïté sexuelle, sans que l'on tombe jamais dans le vulgaire ou le graveleux.
La féminité y apparaît exacerbée chez les trois personnages, dont la psychologie est juste et finement étudiée. A cet égard, on se demande si la nouveauté de cet opéra ne tient pas à la place de choix que Mozart accorde à la femme et à ses aspirations légitimes. Ce qui fait dire à Patricia Petitbon que Mozart est « le premier compositeur féministe de l'histoire de la musique ». Selon elle, « il aime vraiment la Femme avec une majuscule. Quelle que soit sa condition sociale […], la femme, grâce à la musique, est reine avant tout. »
Par ailleurs, la remise en cause du droit de cuissage par la Comtesse et par Suzanne ne prend-elle pas une résonance particulière en ces temps où on cherche à légiférer sur le harcèlement sexuel ? De plus (c'est Richard Brunel qui le souligne), le fait que Malin Byström, qui joue la Comtesse, soit réellement enceinte invite à réfléchir sur les conséquences de la venue d'un enfant dans un couple. Quant à Marceline, séduite et abandonnée, qui s'avère être la mère de Figaro, elle réclame à bon droit que Bartolo son séducteur l'épouse. Enfin, on appréciera que ce soit une femme, la camériste Suzanne, qui demeure maîtresse de cette danse de séduction, au cœur de l'œuvre. Ne garde-t-elle pas toujours son libre-arbitre, sa faculté de choix, par la grâce de son intelligence et de son habileté ?
Et les hommes dans tout cela, me direz-vous ? Certes, Figaro tire son épingle du jeu, quoique l'épingle sur le billet doux l'induise en erreur quant à la fidélité de la fine mouche qu'est Suzanne. Kyle Ketersen, à la voix riche et bien timbrée, perd peu à peu de sa superbe, pour enfin souffrir la male mort de la jalousie dans l'acte IV. Quant au Comte, aristocrate imbu de ses prérogatives, il propose une vision traditionnelle et autoritaire du mari lorsque, de retour d'une partie de chasse, il pénètre chez la Comtesse armé d'un fusil et accompagné d'un beau braque gris, devenu ainsi le onzième personnage de l'opéra.
Le Comte Almaviva (Paulo Szot) et la Comtesse (Malin Byström)
Photo Pascal Gely/ CDDS Enguerrand
Pour conclure, j'aimerais de nouveau céder la parole à Patricia Petitbon, dont le commentaire me semble résumer fort judicieusement la perspective de cette belle mise en scène, pleine de dynamisme et de fougue : « Le cynisme et la misogynie, Mozart les laisse aux paroles de son librettiste ; mais lui projette ses notes au-delà des mots, en direction de contrées spirituelles plus élevées et plus subtiles. »