La chanson de l’éléphant, c’est celle que chante dans la pièce de Nicolas Billon, Jean-Baptiste Maunier, le jeune choriste du film éponyme (Les Choristes, 2004). Et c’est le spectacle qu’avait choisi ma fille pour mon passage à Paris, le vendredi 29 novembre 2013.
Le blond adolescent a grandi, sa voix a mué, il a tracé son chemin. Après deux films (Le Grand Meaulnes, 2006, Hellphone, 2007) et un passage par le Lee Strasberg Institute à New York, il est désormais sur scène au Petit Montparnasse. Depuis le 04 septembre 2013, il y interprète le rôle complexe de Michaël, un jeune schizophrène, interné depuis longtemps dans un hôpital psychiatrique de l’Ontario.
C’est avec beaucoup d’assurance – déjà – qu’il se glisse chaque soir dans la peau de ce jeune malade, soupçonné par le directeur de l’hôpital, le docteur Irwin Greenberg (Pierre Cassignard), d’être à l’origine de la disparition de son thérapeute personnel, le docteur John Lawrence.
Entre le médecin d’âge mûr, sûr de son diagnostic et fort de ses soupçons, et le jeune homme fragile mais manipulateur, se joue un jeu du chat et de la souris où le vainqueur ne sera pas celui qu’on croit. Dans ce huis-clos pesant et étouffant, l’adolescent persiste à raconter la vie des éléphants tandis que le médecin s’efforce de le pousser dans ses derniers retranchements. Entre questionnements, digressions, mensonges, le spectateur ne cesse de s’interroger sur Michaël qui affirme : « Ce n’est pas parce que je suis fou que je suis stupide ! »
Au sein de ce duo, dans lequel tous les coups sont permis, s’immisce une infirmière « rusée » selon les dires de Michaël, jouée avec subtilité par Christine Bonnard. Celle-ci est la seule à apporter un peu de tendresse et de compréhension au jeune malade mais elle a aussi sans doute bien des choses à cacher.
Pour ses débuts au théâtre, Jean-Baptiste Maunier n’a pas choisi la facilité. Sa longue silhouette dégingandée, son blanc visage émacié, la puissance de sa voix rendent cependant crédible ce personnage, qui n’est rien qu’un enfant perdu, assoiffé d’affection et de tendresse. Son jeu audacieux tient souvent la dragée haute à celui de son partenaire masculin, un comédien confirmé qui ne convainc pas toujours, à cause de tics d’acteur un peu trop marqués.
La mise en scène de Bruno Dupuis enferme les personnages dans leurs contradictions. De même, l’austère et froid décor vert et gris, créé par Sophie Jacob, renforce la sensation de personnages verrouillés en eux-mêmes. Le subtil jeu d’un store, que l’on ouvre et que l’on ferme, plonge le spectateur vers un couloir profond et sans issue.
Entre amours adultères, inceste, meurtres et pédophilie, le spectateur ébauche hypothèse sur hypothèse. L’épilogue de la pièce le laissera sonné : après avoir été abusé, il sera dramatiquement désabusé. Et au terme de cette représentation qui le tient en haleine de bout en bout, il ne pourra qu’être d’accord avec la chanson qui affirme qu’ « un éléphant, ça trompe énormément ».
Le docteur Green berg (Pierre Cassignard), l'infirmière (Christine Bonnard), Michaël (Jean-Baptiste Maunier)
(Crédit Photos Lot)