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1 novembre 2012 4 01 /11 /novembre /2012 18:15

Donissan-2.jpg

L'abbé Donissan (Gérard Depardieu) et le Diable sous l'apparence d'un maquignon,

dans Sous le soleil de Satan, de Maurice Pialat

 

 

 

Dans ses romans, Georges Bernanos, cet « athlète de Dieu » ainsi que le définissait Claudel, s’interroge sans relâche sur la sainteté à travers des personnages torturés. Le plus célèbre est sans doute l’abbé Donissan de Sous le soleil de Satan, qui fut inspiré à Bernanos par le curé d’Ars. Ce prêtre, qui est tout sauf un intellectuel, ne correspond nullement à l’image d’Epinal convenue et éthérée du saint. Avec ce patronyme qui associe le thème du don et celui du sang, l’abbé garde toujours pourtant les pieds sur terre. Mystique, il est à l’œuvre dans la pâte humaine.

En ce jour de Toussaint, j’ai relu cette très belle page extraite de Jeanne relapse et sainte, qui exprime la même idée. L’écrivain y souligne que, pour ceux qui croient, les saints sont des hommes comme nous qui tiennent « à pleines mains le royaume temporel de Dieu ».

"Mais qui se met en peine des saints ? On voudrait qu'ils fussent des vieillards pleins d'expérience et de politique, et la plupart sont des enfants. Or l'enfance est seule contre tous. Les malins haussent les épaules, sourient : quel saint eut beaucoup à se louer des gens d'Eglise ? Hé ! Que font ici les gens d'Eglise ! Pourquoi veut-on qu'ait accès aux plus héroïques des hommes tel ou tel qui s'assure que le royaume du ciel s'emporte comme un siège à l'Académie, en ménageant tout le monde ? Dieu n'a pas fait l'Eglise pour la prospérité des saints, mais pour qu'elle transmît leur mémoire, pour que ne fût pas perdu, avec le divin miracle, un torrent d'honneur et de poésie. Qu'une autre Eglise montre ses saints ! La nôtre est l'Eglise des saints.

A qui donneriez-vous à garder ce troupeau d'anges ? La seule histoire, avec sa méthode sommaire, son réalisme étroit et dur, les eût brisés. Notre tradition catholique les emporte, sans les blesser, dans son rythme universel.  Saint Benoît avec son corbeau, saint François avec sa mandore et ses vers provençaux, Jeanne avec son épée,Vincent avec sa pauvre soutane, et la dernière venue, si étrange, si secrète, suppliciée par les entrepreneurs et les simoniaques, avec son incompréhensible sourire, Thérèse de L'Enfant-Jésus. Souhaiterait-on qu'ils eussent tous été, de leur vivant, mis en châsse ? Assaillis d'épithètes ampoulées, salués à genoux, encensés ? De telles gentillesses sont bonnes pour les chanoines. Ils vécurent, ils souffrirent comme nous. Ils furent tentés comme nous. Ils eurent leur pleine charge et plus d'un, sans la lâcher, se coucha dessous pour mourir. Quiconque n'ose encore retenir de leur exemple la part sacrée, la part divine, y trouvera du moins la leçon de l'héroïsme et de l'honneur. Mais qui ne rougirait de s'arrêter si tôt, de les laisser poursuivre seuls leur route immense ? Qui voudrait perdre sa vie à ruminer le problème du mal, plutôt que de se jeter en avant ? Qui refusera de libérer la terre ? Notre Eglise est l'Eglise des saints. […]

Nous respectons les services d'intendance, la prévôté, les majors et les cartographes, mais notre cœur est avec les gens de l'avant, notre cœur est avec ceux qui se font tuer. Nul d'entre nous portant sa charge (patrie, métier, famille), avec nos pauvres visages creusés par l'angoisse, nos mains dures, l'énorme ennui de la vie quotidienne, du pain de chaque jour à défendre, et l'honneur de nos maisons, nul d'entre nous n'aura jamais assez de théologie pour devenir seulement chanoine. Mais nous en savons assez pour devenir des saints. Que d'autres administrent en paix le royaume de Dieu ! Nous avons déjà trop à faire d'arracher chaque heure du jour, une par une, à grand-peine, chaque heure de l'interminable jour, jusqu'à l'heure attendue, l'heure unique où Dieu daignera souffler sur sa créature exténuée, Ô Mort si fraîche, ô seul matin ! Que d'autres prennent soin du spirituel, argumentent, légifèrent : nous tenons le temporel à pleines mains, nous tenons à pleines mains le royaume temporel de Dieu. Nous tenons l'héritage des saints. Car depuis que furent bénis avec nous la vigne et le blé, la pierre de nos seuils, le toit où nichent les colombes, nos pauvres lits pleins de songe et d'oubli, la route où grincent les chars, nos garçons au rire dur et nos filles qui pleurent au bord de la fontaine, depuis que Dieu lui-même nous visita, est-il rien en ce monde que nos saints n'aient dû reprendre, est-il rien qu'ils ne puissent donner ? ».

                                                         Georges Bernanos, Jeanne relapse et sainte

 

 

 

 



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commentaires

S
Un des écrivains qui ont marqué ma jeunesse au moins avec ses trois romans les plus connus en même temps que je lisais Julien Green, Gilbert Cesbron... C'était au temps où je lisais des romans...<br /> Les saints si loin... Je me rappelle Sainte Bernadette lors d'un pèlerinage à Lourdes... elle m'a inspirée un de mes premiers poèmes d'amour (foi). Bon dimanche
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C
<br /> <br /> Julien Green et son sens du péché ; Cesbron et son regard désabusé sur le monde : vos auteurs furent aussi les miens.<br /> <br /> <br /> <br />
F
il va falloir que je me replonge dans cet auteur je ne connais que le curé de campagne
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C
<br /> <br /> L'abbé Donissan, le curé d'Ambricourt, deux figures inoubliables. Amitiés.<br /> <br /> <br /> <br />
M
Un beau texte que j'approuve totalement, les saints sont des passeurs de mémoire et non des entités à idolâtrer, il était normal de le souligner en ce jour. Bonne soirée Catheau
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C
<br /> <br /> Combien nombreux sont ceux qui ignorent le sens de cette fête ! Merci, Mansfield, de votre passage en ce jour, qui n'est qu'un jour férié de plus pour beaucoup.<br /> <br /> <br /> <br />
V
Un choix littéraire flamboyant pour ce jour particulier. J'y ai adjoint, sans le savoir, une statue de Falguière de Tarsisius, jeune martyr chrétien (et saint des enfants de choeur). Ainsi, les<br /> saints ont inspiré les plus belles oeuvres de l'Occident<br /> Belle soirée à vous Catheau,<br /> Valdy
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C
<br /> <br /> Comme vous le dites si bien, Valdy, les saints sont de grands inspirateurs. J'ai beaucoup aimé votre crayon de Tarcisius, le jeune martyr.<br /> <br /> <br /> <br />

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