Un blog pour lire, pour écrire, pour découvrir et s'étonner. "La Vie a plus de talent que nous" disait Nabokov.
Medusa, Arnold Böcklin
J’ai toujours été fascinée par Méduse ("reine") et par ses cheveux de serpents. On connaît l’histoire de cette malheureuse fille de Phorcys et Céto, sur qui Poséidon jeta son dévolu. Séduite par le dieu marin dans un temple dédié à Athéna, elle fut punie par la déesse courroucée qui la métamorphosa en Gorgone, la faisant ainsi compagne d’Euryale et de Sthéno. Ses cheveux devinrent serpents et son regard eut le pouvoir de pétrifier ceux qui avaient l’audace de la regarder. Persée la décapita, l’utilisa pour délivrer Andromède du monstre et l’offrit enfin à Athéna, qui la fixa sur son bouclier, son égide. Ces épisodes sont fréquemment représentés dans l’iconographie.
La tête de Méduse fait aussi penser à l’allitération imitative dont use Oreste, devenu fou à l’annonce de la mort d’Hermione dans Andromaque. Dans cette ultime scène 5 de l’acte V, il cède en effet à la démence quand Pylade lui annonce que Hermione s’est suicidée sur le corps de Pyrrhus, lui-même l’ayant assassiné pour elle. Après s’être adressé à son rival, il voit Hermione l’embrasser et, cédant à l’ubris, il apostrophe alors les Erynies :
[…] Quels Démons, quels serpents traîne-t-elle après soi ?
Hé bien, Filles d’Enfer, vos mains sont-elles prêtes ?
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
A qui destinez-vous l’appareil qui vous suit ?
Venez-vous m’enlever dans l’éternelle Nuit ?
Venez, à vos fureurs Oreste s’abandonne.
Mais non, retirez-vous, laissez faire Hermione ;
L’Ingrate mieux que vous saura me déchirer,
Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer.
Cette vision célèbre des Erynies provient de l’Oreste d’Euripide (v. 255-257). Quant à l’image précise de la chevelure aux serpents, attribut de nature des déesses vengeresses, elle viendrait des Métamorphoses d’Ovide, qui écrit au vers 454 :
Elles peignaient les serpents noirs de leurs cheveux.
Mais la source en est peut-être la Médée de Sénèque, dont le vers 14 présente déjà l’allitération qui a enchanté des générations d’écoliers :
Crinem solutis squalidae serpentibus, (Hérissées d’une chevelure aux serpents dénoués).
En 1674, Boileau traduira le Traité du sublime de Longin, où sont cités les vers d’Euripide et, au chapitre XIII, il imitera Racine :
Mère cruelle, arrête, éloigne de mes yeux
Ces Filles de l’Enfer, ces spectres odieux.
Ils viennent ; je les vois : mon supplice s’apprête,
Quels horribles serpents leur sifflent sur la tête !
On sait aussi comment Sigmund Freud tira parti de la tête coupée de Méduse, en faisant de l’effroi devant la Méduse l’effroi de la castration. Ce symbole de l’horreur, c’est la déesse vierge Athéna qui le porte sur son costume, devenant ainsi une femme inatteignable, éloignée de toute concupiscence sexuelle.
Mais devant la tête de Méduse, on pourra aussi songer aux vers d’Apollinaire dans Le Bestiaire ou cortège d’Orphée (1911) :
Méduses malheureuses têtes
Aux chevelures violettes
Vous vous plaisez dans les tempêtes
Et je m’y plais comme vous faites
Sources :
Racine, Œuvres complètes I, Théâtre-Poésie, Edition présentée, établie et annotée par Georges Forestier, Bibliothèque de la Pléiade, 1999
Pour la communauté de Hauteclaire,
Entre Ombre et Lumière,
Thème : Une forme qui ressemble à une autre