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8 mars 2012 4 08 /03 /mars /2012 23:32

 

youki-et-desnos.jpg

      Youki et Robert Desnos

 

quand l’âge aura flétri ces yeux et cette bouche

quand trop de souvenirs alourdiront ce cœur

quand il ne restera pour bercer dans sa couche

ce corps aujourd’hui beau que des spectres moqueurs

 

quand la poussière infecte en recouvrant les choses

vêtira d’un linceul les désirs abolis

quand l’amour plus fané qu’en un livre une rose

ne sera plus qu’un nom sous des portraits pâlis

 

quand il sera trop tard pour n’être plus cruelle

quand l’écho des baisers et l’écho des serments

Décroîtront comme un pas la nuit dans une ruelle

ou le sifflet d’un train vers le noir firmament

 

quand sur les seins pendants le ventre qui se ride

Les mains aux doigts séchés durcies par les passions

Et lasses d’essuyer trop de larmes acides

Referont le bilan de leur dégradation

 

quand nul fard ne pourra mentir à ce visage

S’il se penche au miroir jadis trop complaisant

Pour se désaltérer comme au lac d’un mirage

Aux rêves du passé revécus au présent

 

La belle que voilà restera belle encore

Par la vertu d’un feu reflété constamment

aux vitres d’un château dont les salles sonores

seront hantées par ceux qui furent ses amants

 

La belle que voilà ainsi qu’une fontaine

Dont le flot toujours pur sur les marbres disjoints

S’écoule en entraînant d’ineffables sirènes

Pour perdre sa splendeur ne renoncera point

 

Rien ne disparaîtra des ciels qui se reflètent

Malgré la peau fripée et malgré les reins plats

Restera jalousée et présente à la fête

Jeune éternellement la belle que voilà

 

Tant de cœurs ont battu jadis à son attente

qu’une flamme est enclose dans ce corps sans raison

qu’indigne de ces feux elle reste éclatante

Ainsi qu’à l’incendie survivent les tisons

 

Robert Desnos, in Youki 1930 Poésie

 

Dans les années 30, vivant désormais pour Youki et avec elle, Desnos se met à une poésie qui s’approche de la chanson ou de la comptine. Dans Youki 1930 Poésie, il associe ces deux genres dans des poèmes tout remplis de jeux verbaux et dans d’autres plus mélancoliques, à la forme plus classique.

C’est le cas de cette suite de neuf quatrains aux rimes croisées (dont nous avons respecté la surprenante ponctuation), intitulée « La belle que voilà », titre qui évoque une vieille chanson française.

Y célébrant la Femme aimée comme Ronsard le fit dans les Sonnets pour Hélène (« Quand vous serez bien vieille…), ou encore plus fortement Baudelaire dans « A une charogne », le poète ose ici l’image d’une femme vieillie et usée. Et l’on pense de même aux paroles de la chanson de Moustaki : « La femme qui est dans mon lit /N’a plus vingt ans depuis longtemps… »

Construit sur l’anaphore de la conjonction de temps, le texte consacre ainsi cinq strophes à la description de la dégradation du corps et à l’engloutissement des serments dans le passé. Pourtant, à l’encontre par exemple de « Colloque sentimental » de Verlaine, qui signe la fin définitive de l’amour, les quatre dernières strophes exaltent l’éternité d’un sentiment amoureux qui, tel le phénix, se pérennise grâce au souvenir.

Renouvelant ainsi à sa manière, simple et discrète, un thème ô combien rebattu, Desnos se situe ici dans la lignée des poètes de l’amour fou, dont la plume inspirée ressuscite la femme qu’ils aimèrent et ne cesseront d’aimer.

 

 

 


 

 

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commentaires

D
Merci, Catheau, pour ce beau poème; décidément, j'aime bien le rythme des alexandrins; je dois lire Desnos!
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C
<br /> <br /> Je pourrai te prêter ses oeuvres si tu le souhaites. A bientôt.<br /> <br /> <br /> <br />
S
Comment oublier Desnos? Je ne connaissais ni ce poème ni le recueil dont il est extrait. Un fond d'absolu qui en dehors d'Aragon à propos de l'Amour révèle un poète qui attiré par le surréalisme et<br /> ses fameux amis, déclare et signe ici, une sensibilité d'homme, d'amoureux profond. Une femme dans toutes ses réalités, si vraie qu'elle nous apparait avec ses formes qui s'abîment au gré du temps.<br /> Un poème chanson, un poème tableau et quand je lis votre propos, comme un cours furtif qui traverse l'insensible écran, je reste muette, nourrie à nouveau par votre plume au poétique savoir. A<br /> bientôt. Suzâme
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C
<br /> <br /> C'est vrai que l'on pense au fou d'Elsa en lisant ces vers. Aragon et Desnos, des chantres de l'amour fou.<br /> <br /> <br /> <br />
M
Une très belle poésie sur le décroit du corps de la femme mais dit avec beaucoup de tendresse !<br /> Monelle
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C
<br /> <br /> C'est grâce au souvenir et à la poésie que l'amour demeure vivant. A bientôt.<br /> <br /> <br /> <br />
M
Merveilleux cet amour éternel, qui ne voit pas les blessures du temps.<br /> Heureuse de cette lecture.Merci.<br /> Jeanne
Répondre
C
<br /> <br /> L'éternité de l'amour : certains y croient et, comme le poète, je suis dans ce cas. Amitiés.<br /> <br /> <br /> <br />
M
C'est évidemment magnifiques!
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C
<br /> <br /> Merci, Marc, d'avoir pris le temps de me rendre visite, alors que vous êtes dans la dernière semaine d'écriture de votre roman. A bientôt.<br /> <br /> <br /> <br />
L
En suivant vos pas, j'ai apprécié cette découverte. Bies dan
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C
<br /> <br /> En ce moment, Desnos est mon livre de chevet ! Amitiés.<br /> <br /> <br /> <br />
M
Bonjour Catheau,<br /> <br /> Encore une découverte. Desnos a écrit là quelque chose de très beau, de réconfortant. Car la vieillesse n'atteint pas le coeur. Sous l'écorce ridée, blessée, il continue à battre ardemment. j'aime<br /> cet espoir qu'il peint à la fin, de cet amour qui dure envers et contre tout.<br /> <br /> Merci Catheau<br /> Bonne journée à vous<br /> Martine ;)
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C
<br /> <br /> Un sentiment dont la rareté fait le prix. Merci, Martine, d'avoir partagé avec moi la beauté de ce poème<br /> <br /> <br /> <br />

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