Femme debout, marchant de dos, Bernardino Poccetti (Fin XVI°-Début XVII°)
Le Louvre, Département des Arts graphiques
Tes pas, enfants de mon silence,
Saintement, lentement placés,
Vers le lit de ma vigilance,
Procèdent muets et glacés.
Personne pure, ombre divine ;
Qu’ils sont doux tes pas retenus,
Dieux !… Tous les dons que je devine
Viennent à moi sur ces pieds nus !
Si, de tes lèvres avancées,
Tu prépares pour l’apaiser
A l’habitant de mes pensées
La nourriture d’un baiser,
Ne hâte pas cet acte tendre,
Douceur d’être et de n’être pas,
Car j’ai vécu de vous attendre
Et mon cœur n’était que vos pas.
Charmes, 1922
Cette suite de quatre quatrains octosyllabiques en rimes croisées occupe une place privilégiée dans mon anthologie personnelle. Je l’ai apprise il y a bien longtemps et j’aime à me la réciter en silence. Peut-être est-ce dû au charme mystérieux qui en émane, enclos déjà dans le titre du recueil Charmes, le terme latin « carmina » signifiant à la fois poèmes et chants magiques.
Sans doute cette prédilection tient-elle aussi à la polysémie du poème, dont on ne sait s’il décrit l’attente de la femme aimée, de la Muse ou encore de la Mort.
J’en aime la simplicité extrême, alliant un lexique abstrait à une expression plus sensuelle, qui baigne dans une discrète aura antique et mythologique. J’en admire la beauté plastique, qui me donne à imaginer cette silhouette féminine intemporelle, venue visiter le poète.
Le poète propose ici un texte clos sur lui-même grâce à la double occurrence du substantif « pas » dans le premier et le dernier vers. Il surprend avec le passage délicat du tutoiement au vouvoiement dans le dernier quatrain, comme s’il souhaitait établir une distance entre cet être mystérieux et lui-même.
C’est ce subtil équilibre entre tous ces éléments qui confère une dimension philosophique quasi mystique à un poème qui nous dit l’intensité extrême de l’instant en suspens, juste avant la rencontre amoureuse, l’acte d’écrire ou la venue de la Mort.
Pour les Jeudis en Poésie des Croqueurs de Mots,
Thème proposé par ABC : l’attente