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Lapin en argile au Musée des Arts Asiatiques de Singapour
(Photo ex-libris.over-blog.com, 25 avril 2014)
Toujours au Musée des Arts Asiatiques de Singapour, le 25 avril 2014, j’ai aimé ce lapin en céramique. Les oreilles en arrière, accroupi, comme en alerte, il semble prêt à sauter. Si beaucoup d’animaux domestiques ont été découverts dans les tombes de la dynastie Han (du bétail, des chevaux, des cochons et des chiens), le lapin est cependant rarissime.
La légende d’un lapin vivant dans la lune et secrétant un élixir d’immortalité apparaît pour la première fois dans les Songs of the South (Chu ci), une compilation des Han de l’Ouest. On peut y lire : « Quel est ce point noir dans la lune ? Est-ce un lapin qui se cache là ? »
Dans leur Dictionnaire des Symboles, Alain Chevalier et Jean Gheerbrant évoquent longuement la symbolique de cet animal léger et bondissant. Ils expliquent que le lapin (ou le lièvre) est souvent le compagnon mystérieux de la lune. S’il dort le jour, il gambade et batifole la nuit, telle la lune qui apparaît et disparaît. Les Aztèques croyaient que les taches de l’astre étaient issues d’un lapin qu’un dieu aurait projeté sur sa face. Dans leur calendrier, on trouve les années-lapin ; pour les Maya-Quiché, la déesse Lune en danger est secourue par un héros Lapin. Ainsi, en sauvant la Lune, le Lapin « sauve le principe du renouvellement cyclique de la vie ».
En Europe, en Asie, en Afrique, les taches sont elles-mêmes des lièvres ou des lapins. Cette croyance perdure dans la comptine que tous les enfants ont fredonnée :
J’ai vu dans la lune
trois petits lapins
qui mangeaient des prunes
en buvant du vin
tout plein.
Dans la mythologie égyptienne, le grand initié Osiris prend l’apparence d’un lièvre, dépecé et jeté dans le Nil afin d’assurer la régénération périodique. Quant au paysans chi’ites d’Anatolie, ils ne mangent pas de lièvre car ils croient que l’animal est la réincarnation d’Ali. En Inde, dans la Sheshajâtaka, le Bodhisattva apparaît sous la forme d’un lièvre pour se jeter en sacrifice dans le feu.
Symbole de la renaissance comme la lune, on comprend pourquoi le lièvre est ainsi, dans le taoïsme, le préparateur de la drogue d’immortalité. « On le représente au travail à l’ombre d’un figuier, broyant des simples dans un mortier. Les forgerons utilisaient son fiel pour la fonte des lames d’épée : il était censé communiquer force et éternité à l’acier, pour ces mêmes raisons qui faisaient qu’en Birmanie on le considérait comme l’ancêtre de la dynastie lunaire. »
La symbolique du lapin ou du lièvre est pourtant marquée au sceau de l’ambivalence. Ne dit-on pas, en Chine, que la hase conçoit en regardant la lune ce qui fait dire à Yan Tcho-Keng-lou que « les jeunes filles se conduisent presque toujours comme des lapines qui regardent la lune » ? Si les quatre cents lapins des paysans aztèques expriment l’abondance et la fertilité, ils sont aussi symboles de paresse et d’ivrognerie pour les Mexicains. Quant aux années-lapin, elles sont bonnes ou mauvaises car « le lapin saute d’un côté et de l’autre » !
Souvent frappé d’un interdit alimentaire chez de nombreux peuples, parfois image de la vie élémentaire, de l’être en devenir, ou encore du gaspillage, animal sacrificiel associé à l’immortalité ou à la fertilité, le lapin est un animal plein de surprises. Et la prochaine fois que je regarderai le clair de lune, j’aurai une petite pensée pour lui !
Sources :
Cartouches du Musée des Arts Asiatiques de Singapour
Dictionnaire des Symboles, Jean Chevalier, Alain Gheerrant, Bouquins
Cartouche du Musée des Arts Asiatiques