Faisan, Monet, 1869, Collection particulière
Avant d’être plumé près du fourneau joyeux,
Vois-tu, je suis d’abord un repas pour tes yeux,
Comme sur les forêts novembre est sur mon aile.
Chaque plume à mon col imite une prunelle,
Et riche, et roux et bleu, sur la table laissé,
Je suis très beau ; j’ai l’air de l’automne blessé.
Avant qu’à la cuisine obscure tu m’emportes,
J’ai l’air d’un seigneur mort vêtu de feuilles mortes.
Abel Bonnard, Les Familiers, 1906
A présent que l’automne et les lâchers de faisans ramènent sur les routes de campagne la silhouette racée et la démarche majestueuse de ces beaux oiseaux ignorants de leur mort prochaine, voici un court poème en leur honneur. Il est extrait du premier recueil d’Abel Bonnard (1883-1968), Les Familiers, qui obtint le Prix de l’Académie française en 1906. Colette connaissait par cœur certains poèmes de cette œuvre et il paraît que le Chanteclerc de Rostand doit beaucoup à un texte en particulier.
Dans ses vers on retrouve la « même finesse de touche, [la] même acuité d’observation, [la] même trouvaille d’images souvent imprévues, mais toujours étonnantes d’exactitude » que chez le Jules Renard poète qui venait d’écrire ses Histoires naturelles (1894). Il éprouvait un grand amour à l’endroit des oiseaux et avait écrit : « Les oiseaux […] appartiennent moins à notre monde qu’ils ne lui sont ajoutés ; ils inventent la joie au-dessus de nous. » (Océan et Brésil).
Abel Bonnard, descendant des Bonaparte par son père biologique, le comte Joseph Napoléon Primoli, fit le mauvais choix de la Collaboration ; il vit sa condamnation à mort pour contumace commuée en bannissement ; il mourut en Espagne en 1968.
Faisan devant des maïs (Samedi 09 octobre 2010)