Ordre de mobilisation générale, en date du 2 août 1914
A l'occasion du centenaire de la mobilisation générale de 1914, je publie de nouveau ce texte que j'avais écrit en 2011.
Ca f’sait déjà quèque temps qu’ son Gustave, il était parti pour l’ front et la Louise, elle était là, toute pensive, devant sa lessive qui s’ balançait sur l’ fil à linge, dans l’ vent chaud du mois d’août. C’est vrai qu’elle était ben triste d’puis qui z’avaient entendu carillonner l’ tocsin et sonner les clairons et d’puis que, Bazin, l’ maître d’école, il avait placardé l’affiche avec ses deux drapeaux en croix, sur l’ mur de l’école.
Louise, elle y avait ren compris à tout c’ fourbi. Paraît qu’y avait un grand môssieur, un archiduc, qu’avait été assassiné au tout commencement d’ l’été. Pis, ç’avait été l’ tour d' Jean Jaurès, çui qu’avait une barbe blanche et qui causait ben . Et pour dire l’ vrai, i méritait ben son nom, çui qu’avait fait l’ coup, pis qui s’app’lait Villain.
C’t à cause de ça que l’ Gustave, il avait dû partir l’ troisième jour après l’ordre de mobilisation générale comm’ i disaient. Alors, l’ cœur tout gros, la Louise, elle avait mis ses vêtements du dimanche, et elle l’avait accompagné au train, son homme, tout emprunté qu’il était dans sa capote, du bleu d’ l’horizon, même qu’elle était. Et son Gustave, il avait même emporté ses gros godillots, pa'ce que M’sieur le Maire, il avait dit qu’on lui en donnerait 15 francs.
Elle s’ rappelait qu’il li avait plaqué un gros baiser sur sa joue, en la serrant fort et qu’ ça lui avait fait du mal. Et quand l’ train, il avait commencé à rouler dans son bruit d’ ferraille, elle avait vu qu’ des bouquets et des bras qui s’agitaient dans tous les sens, dans les cris et la chaleur.
Combien d’ temps qui s’rait donc en partance, le Gustave ? qu’elle s’ demandait la Louise, assise sur l’ chaise de paille du pépé, les yeux dans l’ vague, au soleil du soir. Quand c’est-y qui r’viendrait pour sa première perm ? elle en avait point d’idée. Et d’puis qu’il était parti au front, le Gustave, elle, elle avait point chômé. Vrai, elle avait même pas eu l’ temps d’ décrocher les frusques sur l’ fil. Elle avait dû ranger l’ bois qu’il avait scié dans l’ bûcher, traire les vaches, aller quérir d’ l’herbe pour les lapins, faire la litière pour les canassons dans l’écurie, laver et nourrir le pépé. Et pis y avait ses trois p’tiots, qu’étaient toujours à ses basques : c'est qu' ça réclame la marmaille !
Elle s’ demandait comment qu’elle tiendrait l’ coup, la Louise. C’est sûr qu’elle était endurante à la besogne, qu’elle rechignait point à l’ouvrage mais, pour sûr, elle était qu’une femelle ! Y aurait la moisson qui pouvait pas souffrir d’ retard, pis après la vendange du clos, pis les comices d’automne. Alors, ses manches, elle allait ben être obligée d’ les r’trousser, si elle voulait pas qu’ la ferme, elle tombe en quenouille. Aide-toi, le ciel, i t’aidera, qui disait son père. Mais faudrait p’ tête ben que l’ Bon Dieu, il y mette aussi un coup…
Assise comme une feignante sur la chaise du pépé, la Louise, elle regardait les hardes, qui s’agitaient dans l’ beau temps du soir. A côté d’ ses bas d’ soie qu’elle avait mis pour conduire l’ Gustave au train, y avait la ch’mise à carreaux vert et bleu d’ son homme, et pis encore son surcot d’ serge bleu qu’il enfilait pour labourer. J’ suis comme un milord avec c’te veste, qui disait toujours en rigolant. Ca en a pas l’air mais c’est qu’ ça tient chaud au corps, c’te houppelande, qui rajoutait en crachant dans ses mains. La Louise, elle sentait comme quèque chose qui lui coinçait là, dans sa gorge, et pis ses yeux qui lui piquaient, comme quand c’est-y qu’elle épluchait les oignons.
La Louise, elle s’ leva lourdement, comme un bestiau qu’ va à l’abreuvoir, elle traversa la cour d’ la ferme en faisant voler et caqueter la basse-cour, pis elle ferma la barrière avec l’ gros cadenas d’ geôle que l’ Gustave il avait accroché, des fois qu’y aurait des malandrins su l’ chemin. Pis, elle rentra dans l’ logis qu’était déjà tout noir.
Ce qu’elle savait point, la Louise, c’est que six mois plus tard, elle verrait s’ pointer l’ garde-champêtre à la barrière d’ la ferme. D’un air tout benêt, sous sa casquette bleue à galons dorés, i lui tendrait une grande lettre beige, avec tout plein d’ tampons des Armées. Et alors, la Louise, elle aurait point b’soin d’ mots. Elle pigerait au quart de tour qu’ son homme, i reviendrait point, et qu’ pus jamais, elle verrait sa chemise à carreaux et son surcot s’ balader sur l’ fil à linge.
Pour Le Défi de la Semaine n° 54,
Proposé par Jeanne Fa-Do-Si
Sur la photo de vêtements sur un fil à linge,
Employez les mots : temps (météo), temps (durée),
vêtements, vent