Hier soir, les Molières 2010 ont récompensé pour la quatrième fois (1988 : Molière du metteur en scène pour Ce que voit Fox et 1993 : Molière du metteur en scène et Molière du Théâtre privé pour Temps contre temps) ) le grand comédien Laurent Terzieff. Il a en effet reçu le Molière du comédien pour deux rôles différents : L’Habilleur (2009) de Ronald Harwood, mis en scène par lui-même (Théâtre privé) et Philoctète (2009-2010) de Jean-Pierre Siméon d’après Sophocle, monté par Christian Schiaretti (Secteur subventionné). Et il a reçu le Molière du Théâtre privé pour L’Habilleur.
Tout en évoquant Roger Blin et Jean-Marie Serreau, compagnons de route de la première heure, il a souligné qu’il a toujours œuvré pour une mixité entre un certain théâtre privé et l’aide publique dont [il] dispose ». « Le théâtre n’est pas ceci ou cela, mais ceci et cela », a-t-il conclu.
Laurent Terzieff dans L'Habilleur
Cette récompense est l’occasion de revenir sur le parcours extraordinaire d’un fou de théâtre, qui, à 74 ans, n’a pas désarmé.
Fils d’un sculpteur russe, émigré en France lors de la Première Guerre mondiale, et d’une mère céramiste, originaire de la région de Toulouse, Laurent Didier Alex Terziev naît dans cette même ville le 27 juin 1935. Son enfance se passe dans les « odeurs de glaise, de plâtre, de poussière, de coups de marteau », milieu artiste, qui sera déterminant pour la formation de l’adolescent, lecteur de Dostoïevski et amoureux de poésie.
La représentation de La Sonate des Spectres de Strindberg, dirigée par Roger Blin, lui fait appréhender « quelque chose de la face invisible du monde et de sa rencontre avec sa face visible ». Il fera ses débuts en 1953 au Théâtre de Babylone de Jean-Marie Serreau dans Tous contre tous d’Adamov. Dès lors, sa vie sera tout entière vouée au théâtre.
C’est cependant le cinéma qui le fait connaître au public avec le film de Marcel Carné, Les Tricheurs, portrait de la jeunesse de la fin des années 1950.
Laurent Terzieff dans Les Tricheurs
Il mènera un temps une carrière au cinéma jusque dans les années 1980, jouant sous la houlette des plus grands metteurs en scène, tels Clouzot et Godard, en passant par Buňuel. Philippe Garrel, quant à lui, le dirige à quatre reprises, notamment dans Les Hautes Solitudes en 1974.
Sa silhouette longiligne, son visage émacié au regard fiévreux lui procurent des rôles singuliers. On se souvient du jeune homme « superbe », étudiant au regard vert, en quête de sens, dans Les Garçons de Bolognini (1959), film écrit par Pier Paolo Pasolini, qui fera de lui le Centaure dans Médée, avec Maria Callas. Sur un scénario du metteur en scène italien, il tourne Ostia de Sergio Citti. Il y joue le rôle d’un garçon qui se fait assassiner à coups de barre de fer, sur la plage d’Ostie, préfiguration de la mort de Pasolini, de la même façon, au même endroit.
Il sera un danseur homosexuel dans Brother Carl de Susan Sontag en 1971 ou encore Amerling dans Le Désert des Tartares de Zurlini, d’après le roman de Dino Buzzati. Plus rare par la suite sur les écrans, il est l’interprète de Souvarine dans le Germinal (1993) de Claude Berri. Dans son Journal, (1987) Matthieu Galey n’écrivait-il pas : « Avec ses cheveux longs, romantiques, il a l’air d’un nihiliste égaré au XXe siècle » ?
Parallèlement, en 1961, au Lucernaire, il a créé avec Pascale de Boysson, sa compagne à la vie et à la scène, la Compagnie Laurent Terzieff, qui va marquer l’histoire du théâtre. Pour ses débuts de metteur en scène, il choisit La Pensée de Leonid Andreïev, un théâtre poétique, car il aime les poètes. Il dit à ce propos : « Pour moi, tout ce que nous vivons n’est qu’une partie de la réalité. L’essentiel nous est caché, ou encore caché, selon que l’on croit ou non à un au-delà de la vie. Par l’intuition poétique, il peut nous être révélé. Pour moi, le théâtre doit être un miroir de la réalité. Il doit refléter les deux éléments fondateurs de l’existence : le monde intérieur et le monde extérieur […] »
Laurent Terzieff, Studio Harcourt (1959)
De Tête d’or (1959) de Paul Claudel, mis en scène par Jean-Louis Barrault à Moi, Bertold Brecht (2002), en passant par Carlos Semprún, Claude Mauriac, Rainer-Maria Rilke, Slawomir Mroezek, Oscar-Venceslas de Lubicz-Milosz, Pirandello (le rôle de Henry IV !) et bien d’autres, sa curiosité inlassable aura
procuré au public de grandes émotions théâtrales.
Désireux, comme il le dit, d’ « expérimenter le goût de l’époque » et peu intéressé par la relecture des classiques, il va surtout contribuer à faire connaître en France le théâtre anglo-saxon, en adaptant et en mettant en scène Murray Schisgal, Edward Albee, T. S. Eliot, James Saunders. Successeurs de Beckett et Ionesco dans une veine renouvelée, ces dramaturges retiennent son attention car ils prennent en compte « l’homme jeté dans le monde et qui se bat avec la vie ».
Laurent Terzieff dans Philoctète
En montant Meurtre dans la cathédrale de T. S. Eliot avec R. Hermantier, en 1995, il avait approché le genre de la tragédie. Ayant vu Oedipus rex de Bob Wilson et souhaitant aborder la tragédie, il acceptera le rôle de Philoctète, adapté par Jean-Pierre Siméon, qui avait pensé à lui en l’écrivant. Selon le comédien, la tragédie grecque, « c’est le mal injustifié, qui s’évanouit devant tout examen raisonnable, la culpabilité sans crime […] qui renvoie à la culpabilité divine. » Mais ce qui l’intéresse, « c’est la vision nouvelle qu’elle porte en elle : celle de l’homme responsable de ses actes ». Il déclare y retrouver ses véritables préoccupations théâtrales. N’a-t-il pas prôné l’insoumission dans la guerre d’Algérie, alors qu’il venait de jouer Tu ne tueras point de Claude Autant-Lara, et milité contre la guerre en Irak ?
Dimanche 26 mars, Laurent Terzieff nous est bien apparu tel qu’en lui-même et ainsi que le décrivait Matthieu Galley dans son Journal (décembre 1980), « pâle, transparent, les boucles autour de ce long visage exsangue, osseux, émacié, […] un adolescent ravagé, que son sourire illumine, sauve des années, de la mort ». Le visage même du Théâtre…
Sources :
http://www.tdg/geneve/culture/chant-magnétique-laurent-terzieff-
http://www.lexpress.fr/culture/scene/theatre/laurent-terzieff-le-theatre-reflete-ce
http://www.toutlecine.com/star/biographie/0003/00038367-laurent-terzieff.html
http://www.evene.fr/celebre/biographie/laurent-terzieff
http://fr.wikipedia.org/wiki/Laurent_Terzieff
Lundi 27 avril 2010