Un blog pour lire, pour écrire, pour découvrir et s'étonner. "La Vie a plus de talent que nous" disait Nabokov.
Par Catheau
Annie Playden et Guillaume Apollinaire
La tzigane
La tzigane savait d’avance
Nos deux vies barrées par les nuits
Nous lui dîmes adieu et puis
De ce puits sortit l’Espérance
L’amour lourd comme un ours privé
Dansa debout quand nous voulûmes
Et l’oiseau bleu perdit ses plumes
Et les mendiants leurs Ave
On sait très bien que l’on se damne
Mais l’espoir d’aimer en chemin
Nous fait penser main dans la main
A ce qu’a prédit la tzigane
Cette suite de trois quatrains d’octosyllabes aux rimes embrassées appartient au cycle rhénan du recueil Alcools d’Apollinaire. Le poète, alors précepteur de la fille de la vicomtesse de Milhau en Rhénanie, y chante son amour malheureux pour la gouvernante de la maison, Annie Playden. Commencé à l’automne 1901 et après maints atermoiements, leur amour verra sa fin en mai 1904, quand Annie émigrera aux Etats-Unis.
Dans ce poème, j’aime l’association de l’image surprenante de l’amour comparé à « un ours privé » (on remarquera l’absence de complément de l’adjectif) à celle plus classique de « l’oiseau bleu ». Le lexique péjoratif et privatif, les nombreuses assonances en [i] contribuent à créer une sorte de plainte dolente qui demeure sans écho. Le personnage de la tzigane, qui ouvre et clôt le poème, connote le thème du destin mais aussi celui de l’errance amoureuse.
Suspendu entre folle espérance et sentiment d’échec, ce poème est bien l’ « expression à la fois moderne et sans âge » du destin d’un poète qui demeure à jamais le Mal-Aimé.
Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de mots :
Thème : hasard ou destin
Eclipse Next 2019 - Hébergé par Overblog