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Vendredi 25 avril 2014, ma fille et moi-même avons visité le superbe Musée des Arts Asiatiques de Singapour. Situé sur une grande place dominée par la Dalhousie Obelisk, il permet de découvrir le riche héritage artistique de l’Asie et particulièrement les cultures ancestrales de Singapour. C’est un des rares musées asiatiques à établir des correspondances entre les nombreuses cultures de la Chine, de l’Asie de l’Est et du Sud et de la culture Peranakan.
Cette forme particulière de culture est celle des Baba-Nyonya, Chinois des Détroits, et descendants des premiers immigrants chinois installés dans les colonies britanniques des Détroits à Malacca, Penang et Singapour. Baba est un mot chinois qui signifie « père » et désigne les hommes. Nyonya vient du portugais donha, « dame », et représente les femmes. Les premiers Baba-Nyonyas sont issus, dès le XV° siècle, des mariages contractés entre des négociants chinois et des femmes malaises, birmanes ou indonésiennes. Ayant en partie adopté les coutumes malaises, ils acquirent une grande influence dans les colonies des Détroits. Pendant la colonisation britannique, ils reçurent l’appellation de Chinois du Roi. Les Chinois « baba » et « peranakan » parlent un créole malais, le « baba malay », mélange d’anglais, de malais et de « hokkien » (un dialecte chinois).
Installé dans le monumental Empress Place Building (1870), l’ACM, qui est un des plus grands d’Asie, présente donc onze galeries retraçant 5 000 ans d’art et d’histoire des cultures et civilisations panasiatiques.
Au premier niveau, on peut admirer des objets provenant de l’Asie du Sud. Le deuxième est très varié. Une galerie est consacrée à l’Asie du Sud-Est, une autre à l’art islamique de l’Asie de l’Ouest. On y voit encore une galerie dédiée à la Chine, une autre aux laques asiatiques. Particulièrement intéressante encore est la partie évoquant les origines de Singapour et la Singapore River. Le troisième niveau évoque de nouveau le Sud-Est asiatique et l’art islamique de l’Asie de l’Ouest.
La scénographie en est particulièrement réussie qui offre les objets dans une pénombre propice à l’éclat des ors de l’orfèvrerie indonésienne, à la brillance des costumes chinois en soie, à l’éclat des laques et des Corans enluminés, à la vivacité des couleurs des peintures hindoues et bouddhiques.
J’ai été très intéressée par la galerie qui présente les débuts de l’émergence de Singapour autour de la Singapore River, une rivière longue d’environ trois kilomètres, à l’origine tout en bancs de sable, marais et mangroves. Le port de la ville, situé à son embouchure, permettra le développement de la ville. C’est Sir Stamford Raffles, nommé à Singapour en 1819, qui comprend l’importance économique de ce cours d’eau et en commence le drainage, permettant ainsi le développement du trafic, l’expansion du commerce et l’urbanisation.
Les Chinois constitueront le plus important groupe ethnique vivant et travaillant au bord de la rivière. Les premières vagues d’immigration, formées de marchands venus des enclaves de Malacca et des Indes hollandaises de l’Est. Des Hokkiens (Province du Fujian), arrivèrent en 1821. C’est le début d’un courant constant d’immigrants venus là chercher fortune.
La plupart étaient issus des provinces chinoises du Sud-Est et continuaient à vivre avec leurs compatriotes, maintenant ainsi leur propre dialecte, leurs coutumes et leur manière de vivre. Les deux communautés les plus représentées étaient les Hokkiens et les Teochews (originaires de Chaozhou, dans la province du Guandong). C’était des marchands, des planteurs, des artisans et des laboureurs. Sur Boat Quay où ils vivaient les rivalités et les tensions étaient nombreuses.
Cette galerie met ainsi en lumière les différents aspects de leur vie sur la Singapore River. Y sont évoqués le commerce, l’influence des sociétés secrètes, la pratique de l’opium, les conteurs et l’opéra.
Toujours dans la partie chinoise, c’est la Hickley Collection qui a retenu mon attention. Son nom vient de Pamela Hickley, un des membres fondateurs de la Southeast Asian Ceramics Society, fondée en 1969, dont elle fut le président de 1996 à 1999. Née à Singapour en 1918, elle y passa la majeure partie de sa vie. Avec le concours de son mari Franck Hickley, elle constitua une remarquable collection de porcelaines de Chine. Centrée exclusivement sur des pièces en Dehua porcelaine, appelée Blanc de Chine par les Européens, elle fut donnée à l’Asian Civilisations Museum en 2000, en mémoire de son époux. La donation comprend environ 160 œuvres aux formes variées, et on y trouve des pièces d’une grande rareté, datant de la première dynastie Song (960-1229).
La caractéristique particulière de la Dehua porcelaine est la très petite quantité d’oxyde de fer, ce qui lui confère cette couleur blanc ivoire, dite encore blanc de lait. Nombre de pièces sont des pots à pinceaux, des tasses de libation, des objets religieux, ou encore des représentations de dieux comme la déesse de la Miséricorde, Guan Yin, particulièrement vénérée dans le Fujian. Disposée sur un fond noir, la glaçure blanche des œuvres y est vraiment éclatante.
Toujours, dans la partie dévolue à la Chine, j’ai été sensible à plusieurs poèmes que je voudrais reproduire ici.
Ce premier poème fait le portrait du lettré chinois :
Dans mon humble étude
Je suis le plus virtuose
Je pince les cordes de ma vieille cithare
Le lis les sutras de Bouddha
Nulle autre musique pour grincer à mes oreilles
Nul papier officiel pour fatiguer mon esprit et mon âme
Mon humble étude, Liu Yu Xi
Ce texte est représentatif de cette tradition Tang appelée Literati, qui réconcilie l’esthétique et l’éthique.
Un autre poème célèbre la vénération des ancêtres, si caractéristique des Asiatiques :
Piété filiale :
Tant que nos parents sont en vie
On ne devrait pas trop s’éloigner d’eux
Si on y est obligé
On devrait toujours leur en faire part
Un troisième texte mentionne l’importance du rituel :
Le toast le plus important se porte dans la plus petite tasse à vin
La boisson la moins noble se boit dans les plus grands verres
Nous avons déambulé longtemps dans ce merveilleux musée, qui présente les multiples richesses des religions du monde (le christianisme en effet n’en est pas absent avec quelques très beaux objets). S’en dégage une forme de syncrétisme, évoquée ainsi par Bernard Nadoulek : « En Chine et dans toute l’Asie, ce syncrétisme amalgame des croyances diverses : le culte des ancêtres, dont est issu le confucianisme ; l’animisme, qui donnera naissance au taoïsme ; le bouddhisme, importé d’Inde ; des bribes de christianisme et d’islamisme. La religiosité va des croyances les plus archaïques, aux théologies les plus sophistiquées, sans que les deux extrêmes soient contradictoires. » Comme le dit le proverbe bouddhiste : "Il y a plusieurs sentiers pour gravir la montagne mais, du sommet, on les voit tous".
Et c’est bien ce sentiment que j’ai éprouvé lors de la visite de ce musée.
Sources :
Guide de l'ACM
Cartouches de l'exposition
Crédit photos :
ex-libris.over-blog.com, vendredi 25 avril 2014