Richard Hannay (Jean-Philippe Bèche) et Paméla (Andréa Bescond) dans le brouillard écossais
(Photo Lot)
Vendredi 07 décembre 2012, le grand burlesque était à l’honneur sur la scène du théâtre Beaurepaire à Saumur. Dans une mise en scène imaginée par lui-même, Eric Métayer et trois autres acteurs y interprétaient Les 39 marches, une adaptation théâtrale du film d’Alfred Hitchcock (1935), lui-même adapté du roman éponyme de John Buchan. La pièce a reçu le Molière 2010 de la Pièce comique et celui de l’Adaptation décerné à Gérald Sibleyras.
Il s’agit d’une classique histoire d’espionnage dont le héros principal, avec son look so british et sa fine moustache, m’a souvent fait penser à Francis Blake, le héros de la BD de Blake et Mortimer. En août 1935, le Canadien Richard Hannay (Jean-Philippe Bèche), à la suite d’une représentation au Palladium de Londres où officie un certain Mr. Memeory (Christophe Laubion), se voit entraîné dans une folle aventure. Ayant offert l’hospitalité à une Mata-Hari à l’accent teuton, Annabella Smith (Andrea Bescond), il est accusé de l’avoir poignardée dans son appartement. Après avoir arraché à sa main crispée l’adresse écossaise du chef du réseau d’espionnage, le professeur Jordan (Eric Métayer), l’homme au petit doigt coupé, il s’enfuit avec la police à ses trousses.
L’intrigue en elle-même, riche en péripéties et en rebondissements, ne présente guère d’intérêt. Ce qui séduit dans ce spectacle parodique, c’est la mise en scène et le jeu des quatre comédiens qui jouent entre cent et cent-cinquante rôles, Eric Métayer s’en octroyant plus de soixante-dix pour son propre compte.
Cette mécanique impeccablement huilée (les comédiens jouent la pièce depuis trois ans) laisse peu de place à l’improvisation. Eric Métayer, qui a suivi les traces de son père, Alex Métayer, l’explique : « Il y a beaucoup d’objets, d’accessoires, on n’a pas le droit à l’erreur. C’est du trapèze. Une mécanique très huilée sinon on se casse la gueule. » La pièce est ainsi d’une inventivité permanente et la magie du théâtre joue ici à plein.
Les quatre comédiens interprètent toute une comédie humaine (la bonne juive, le laitier, le Bobby londonien, l’inspecteur de Scotland Yard en Colombo, le chef de gare d’Edimburg, le paysan écossais, la femme du professeur Jordan, les aubergistes de La Cigale écossaise,…). Passés maître dans la maîtrise des différents accents, jouant du comique de répétition et du comique de mots, commentant leur propre jeu, ils s’en donnent à cœur joie, croquant chaque silhouette avec justesse et humour. Le transformisme à la manière de Leopoldo Fregoli ou d’Arturo Brachetti n’a plus de secrets pour eux. Créant le décor, ils vont même jusqu’à devenir des animaux (vaches et moutons) mais aussi des réalités de la nature (de la boue, une crevasse, un buisson d’aubépines !) et la surprise jaillit à tous les instants.
Christophe Laubion, Andrea Bescond, Jean-Philippe Bèche et Eric Métayer
en voiture dans le brouillard écossais
(Photo Lot)
Le moindre objet est sujet aussi à transformation : deux caisses deviennent banquettes de train, quatre chaises se muent en voiture et les changements se font à vue, l’accessoiriste qui pulvérise la fumée, devenant parfois lui-même acteur en conversant avec les comédiens. Distanciation et mise en abyme sont sans cesse sollicitées, qui mettent en relief la puissance de l’art théâtral. Le metteur en scène Eric Métayer le souligne en ces termes : « La pièce est construite sur les décalages, l’esbroufe, le gigantesque que, seul, permet le théâtre. Remplir le vide de la scène du plein de notre imaginaire, c’est avec plaisir que je reprends mon âme d’enfant et la joie de jouer à « si on disait que ».
C’est ainsi qu’avec son comparse Christophe Laubion, il surgit avec un réverbère quand Richard observe de sa fenêtre ceux qui sont à ses trousses. Une musique romantique, toujours la même, berce les émois amoureux des deux héros. A cet égard, le travail sur le son (Vincent Lustaud) m'a semblé particulièrement intéressant : ah ! le cri de la bonne juive quand elle découvre le corps d'Annabella Smith. La mise en scène déjantée réinvente le ralenti quand Pamela et Richard nagent sous l’eau du torrent ou quand ils sautent de la loge sur la scène du Palladium. On observe encore un remarquable travail sur le corps quand le vent souffle à travers la porte de la maison écossaise de John et Margaret ou quand Richard est à moto.
Christophe Laubion et Eric Métayer
(Photo Lot)
Le spectateur ne pourra en outre qu’être séduit par les multiples clins d’œil à Hitchcock. La fameuse scène sur le pont se retrouve quasiment à l’identique : il n’est besoin que d’une échelle et de deux tréteaux. La scène avec les deux avions est évoquée en ombres chinoises à travers un grand rideau blanc, nous donnant à rêver au cinéma de papa. Quant à Hitchcock lui-même, son profil passera une fois en fond de scène, nous rappelant que le réalisateur aimait à faire toujours une brève figuration dans chacun de ses films.
Richard Hannay et Paméla dans le film de Hitchcock :
la scène dans le lit avec les menottes
Le moment des saluts a été l’occasion d’une minute d’émotion quand Christophe Laubion a salué la présence de sa mère dans la salle. En interrompant les applaudissements du public, Eric Métayer, a de plus précisé qu’ils jouaient là pour l’avant-dernière fois. Ces quatre-là regretteront, c’est sûr, ce temps où ils jouaient les héros de Hitchcock en Frégoli.