Qui a dit que l’Académie Nobel n’aimait pas les poètes ? N’a-t-elle pas deux années consécutives récompensé Seamus Heaney l’Irlandais (1995) et la Polonaise Wislawa Szymborska (1996), dont on a annoncé la mort jeudi 1er février 2012 ? Et je voudrais évoquer ici brièvement celle qui fut choisie « pour une poésie qui, avec une précision ironique, permet au contexte historique et biologique de se manifester en fragments de vérité humaine ».
C’est une œuvre singulière en effet que celle de Wislawa Szymborska, longtemps inconnue en France. Seuls Christophe Jewelski et Isabelle Macor-Filarska avait fait connaître Dans le fleuve d’Héraclite, pour le compte de la Maison de la Poésie du Nord-Pas-de-Calais.
Cette poétesse polonaise, née le 2 juillet 1923, à Bnin dans l’ouest de la Pologne, étudia d’abord la littérature polonaise et la sociologie à l’université Jagellon, de 1945 à 1948. D’une certaine manière son premier poème « Szukam slowa » (« Je cherche le mot ») (1945) est emblématique de toute son œuvre à venir, qu’on a pu qualifier de poésie gnomique.
Après avoir été liée au parti ouvrier unifié polonais, elle s’en éloignera pour fréquenter certains milieux dissidents (auxquels elle collaborera sous le pseudonyme de Stanczykówna) et le quittera définitivement en 1966.
De 1953 à 1981, elle travaille à la rédaction de la revue hebdomadaire Zycie Literackie (La vie littéraire) et déploie son art dans de nombreux domaines, du tourisme au jardinage et à la sorcellerie, en passant par l’histoire de l’art et la critique littéraire. Elle est aussi connue pour avoir traduit en polonais le poète juif Icyk Manger et les baroques français et notamment Agrippa d’Aubigné.
On ne peut guère l’identifier à aucun mouvement littéraire car elle a créé sa propre école d’écriture. Il s’agit d'une poésie « simple comme bonjour », quoiqu’elle « ne néglige nullement les innovations poétiques, mais dans une simplicité qui les fait quasiment passer inaperçues ». C’est ainsi que certains critiques la rapprochent de Queneau, Ponge ou Guillevic.
Dans La fin et le commencement (1993), voilà comment elle évoque la poésie :
Certains,
pas tout le monde,
pas la majorité, mais une minorité.
Hormis les écoliers qui le doivent,
et les poètes eux-mêmes.
Ca doit faire dans les deux mille.
Certains aiment.
Mais on aime aussi le potage aux vermicelles.
On aime les compliments et la couleur bleu clair.
On aime un vieux foulard
On aime flatter un chien. La poésie, mais qu’est donc la poésie ?
Plus d’une réponse brûlante a déjà été donnée.
Et moi je n’en sais rien.
Je n’en sais rien et je m’y accroche
comme une rampe de salut.
Alliant subtilement l’humour à la réflexion philosophique, elle s’interroge sur l’être humain, comme dans « Eloge de la mauvaise opinion de soi », extrait de De la mort sans exagérer (1996), qui rassemble plusieurs de ses oeuvres :
Le busard n’a strictement rien à se reprocher.
Les scrupules sont étrangers à la panthère.
Les piranhas ne doutent jamais de leurs actions.
Le serpent à sonnettes s’approuve sans réserve.
Personne n’a jamais vu un chacal repenti.
La sauterelle, l’alligator, la trichine et le taon
vivent bien comme ils vivent, et en sont très contents.
Un cœur d’orque pèse bien cent kilogrammes
mais sous tout autre aspect demeure fort léger.
Quoi de plus animal que la conscience tranquille
sur la troisième planète du soleil.
Dans un langage plein de compassion, elle a rendu aussi un vibrant hommage aux victimes de la guerre et des totalitarismes, ainsi que le montre cet extrait de Je ne sais quelles gens, en 1997 (par ailleurs le titre de son discours de réception au Nobel) :
Je ne sais quelles gens fuyant je ne sais quelles autres.
Dans un je ne sais quel pays sous le soleil
et sous certains nuages.
Ils laissent derrière eux je ne sais quel tout,
champs labourés, je ne sais quelles poules, quels chiens,
quels miroirs où les flammes se reflètent.
Ils portent sur leurs dos cruches et baluchons.
Plus ils sont vides et plus ils pèsent lourd […]
Et encore dans Fin et début :
[…]
Ceux qui sont au courant
du pourquoi du comment
cèderont bientôt la place
à ceux qui en savent peu.
Puis à ceux qui en savent prou.
Puis enfin, rien du tout.
Dans l’herbe qui couvrira
les causes et les effets,
il faudra que quelqu’un se couche
un épi entre les dents
à regarder les nuages.
Elle a l’art d’allier le concret à la profondeur, comme dans ce poème « Conversation avec une pierre », extrait de Sel (1962) :
« Je frappe à la porte de la pierre
devant moi, laisse-moi entrer.
je veux pénétrer dans ton intérieur,
y jeter un coup d’œil,
te respirer à fond.[…] »
« Je n’ai pas de porte, dit la pierre. »
En dépit du petit nombre de poèmes, moins de 400, (« Il y a une poubelle dans ma chambre, dit-elle. Un poème écrit le soir est relu le matin. Il ne survit pas toujours. »), c’est donc une œuvre au registre étendu, qui ne néglige pas non plus le lyrisme comme en témoigne ce quatrain, « Jamais deux fois » (1990) :
Souriants, à moitié enlacés,
nous essayons de trouver l’harmonie,
bien que nous soyons aussi différents
que deux gouttes d’eau claire
Birgitta Trotzig, un membre de l’Académie suédoise, évoque à propos de la poétesse polonaise et comme point de départ de son œuvre, « l’expérience d’une catastrophe […], l’effondrement complet d’une foi ». Et pour rendre compte du quotidien et du vide qui la remplacent, elle souligne combien lui fut nécessaire la création d’ « une langue particulière, une langue qui rend les choses relatives, une langue qui commence méthodiquement à partir de zéro ». Pour la poétesse polonaise, « il n’est pas [non plus] de questions plus importantes que les questions naïves » et elle se réclame de « vers qui n’imposent ni interdisent rien ».
Il faut donc découvrir l’œuvre de Wislawa Szymborska, tellement révélatrice de notre époque, me semble t-il. Ne disait-elle pas dans son dernier recueil : « Mes signes particuliers sont le ravissement et le désespoir » ?
Sources :
Beskid.com, La Pologne on line
Nobelprize.org
Quelques mots sur Wislawa Szymborska, Club des Poètes
Wislawa Szymborska, Babelio.com