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4 février 2012 6 04 /02 /février /2012 18:11

 

 szymborska_wislawa.jpg

 

 

Qui a dit que l’Académie Nobel n’aimait pas les poètes ? N’a-t-elle pas deux années consécutives récompensé Seamus Heaney l’Irlandais (1995) et la Polonaise Wislawa Szymborska (1996), dont on a annoncé la mort jeudi 1er février 2012 ? Et je voudrais évoquer ici brièvement celle qui fut choisie « pour une poésie qui, avec une précision ironique, permet au contexte historique et biologique de se manifester en fragments de vérité humaine ».

C’est une œuvre singulière en effet que celle de Wislawa Szymborska, longtemps inconnue en France. Seuls Christophe Jewelski et Isabelle Macor-Filarska avait fait connaître Dans le fleuve d’Héraclite, pour le compte de la Maison de la Poésie du Nord-Pas-de-Calais.

Cette poétesse polonaise, née le 2 juillet 1923, à Bnin dans l’ouest de la Pologne, étudia d’abord la littérature polonaise et la sociologie à l’université Jagellon, de 1945 à 1948. D’une certaine manière son premier poème « Szukam slowa » (« Je cherche le mot ») (1945) est emblématique  de toute son œuvre à venir, qu’on a pu qualifier de poésie gnomique.

Après avoir été liée au parti ouvrier unifié polonais, elle s’en éloignera pour fréquenter certains milieux dissidents (auxquels elle collaborera sous le pseudonyme de Stanczykówna)  et le quittera définitivement en 1966.

De 1953 à 1981, elle travaille à la rédaction de la revue hebdomadaire Zycie Literackie (La vie littéraire) et déploie son art dans de nombreux domaines, du tourisme au jardinage et à la sorcellerie, en passant par l’histoire de l’art et la critique littéraire. Elle est aussi connue pour avoir traduit en polonais le poète juif Icyk Manger et les baroques français et notamment Agrippa d’Aubigné.

On ne peut guère l’identifier à aucun mouvement littéraire car elle a créé sa propre école d’écriture. Il s’agit d'une poésie « simple comme bonjour », quoiqu’elle « ne néglige nullement les innovations poétiques, mais dans une simplicité qui les fait quasiment passer inaperçues ». C’est ainsi que certains critiques la rapprochent de Queneau, Ponge ou Guillevic.

Dans La fin et le commencement (1993), voilà comment elle évoque la poésie :

 

Certains,

pas tout le monde,

pas la majorité, mais une minorité.

Hormis les écoliers qui le doivent,

et les poètes eux-mêmes.

Ca doit faire dans les deux mille.

Certains aiment.

Mais on aime aussi le potage aux vermicelles.

On aime les compliments et la couleur bleu clair.

On aime un vieux foulard

On aime flatter un chien. La poésie, mais qu’est donc la poésie ?

Plus d’une réponse brûlante a déjà été donnée.

Et moi je n’en sais rien.

Je n’en sais rien et je m’y accroche

comme une rampe de salut.

 

Alliant subtilement l’humour à la réflexion philosophique, elle s’interroge sur l’être humain, comme dans « Eloge de la mauvaise opinion de soi », extrait de De la mort sans exagérer (1996), qui rassemble plusieurs de ses oeuvres :

 

Le busard n’a strictement rien à se reprocher.

Les scrupules sont étrangers à la panthère.

Les piranhas ne doutent jamais de leurs actions.

Le serpent à sonnettes s’approuve sans réserve.

 

Personne n’a jamais vu un chacal repenti.

La sauterelle, l’alligator, la trichine et le taon

vivent bien comme ils vivent, et en sont très contents.

 

Un cœur d’orque pèse bien cent kilogrammes

mais sous tout autre aspect demeure fort léger.

Quoi de plus animal que la conscience tranquille

sur la troisième planète du soleil.

 

Dans un langage plein de compassion, elle a rendu aussi un vibrant hommage aux victimes de la guerre et des totalitarismes, ainsi que le montre cet extrait de Je ne sais quelles gens, en 1997 (par ailleurs le titre de son discours de réception au Nobel) :

 

Je ne sais quelles gens fuyant je ne sais quelles autres.

Dans un je ne sais quel pays sous le soleil

et sous certains nuages.

 

Ils laissent derrière eux je ne sais quel tout,

champs labourés, je ne sais quelles poules, quels chiens,

quels miroirs où les flammes se reflètent.

 

Ils portent sur leurs dos cruches et baluchons.

Plus ils sont vides et plus ils pèsent lourd […]

 

Et encore dans Fin et début  :

 

[…]

Ceux qui sont au courant

du pourquoi du comment

cèderont bientôt la place

à ceux qui en savent peu.

Puis à ceux qui en savent prou.

Puis enfin, rien du tout.

 

Dans l’herbe qui couvrira

les causes et les effets,

il faudra que quelqu’un se couche

un épi entre les dents

à regarder les nuages.

 

Elle a l’art d’allier le concret à la profondeur, comme dans ce poème « Conversation avec une pierre », extrait de Sel (1962) :

 

« Je frappe à la porte de la pierre

devant moi, laisse-moi entrer.

je veux pénétrer dans ton intérieur,

y jeter un coup d’œil,

te respirer à fond.[…] »

 

« Je n’ai pas de porte, dit la pierre. »

  

En dépit du petit nombre de poèmes, moins de 400, (« Il y a une poubelle dans ma chambre, dit-elle. Un poème écrit le soir est relu le matin. Il ne survit pas toujours. »), c’est donc une œuvre au registre étendu, qui ne néglige pas non plus le lyrisme comme en témoigne ce quatrain, « Jamais deux fois » (1990) :

 

Souriants, à moitié enlacés,

nous essayons de trouver l’harmonie,

bien que nous soyons aussi différents

que deux gouttes d’eau claire

 

Birgitta Trotzig, un membre de l’Académie suédoise,  évoque à propos de la poétesse polonaise et comme point de départ de son œuvre, « l’expérience d’une catastrophe […], l’effondrement complet d’une foi ». Et pour rendre compte du quotidien et du vide qui la remplacent, elle souligne combien lui fut nécessaire la création d’ « une langue particulière, une langue qui rend les choses relatives, une langue qui commence méthodiquement à partir de zéro ». Pour la poétesse polonaise, « il n’est pas [non plus] de questions plus importantes que les questions naïves » et elle se réclame de « vers qui n’imposent ni interdisent rien ».

Il faut donc découvrir l’œuvre de Wislawa Szymborska, tellement révélatrice de notre époque, me semble t-il. Ne disait-elle pas dans son dernier recueil : « Mes signes particuliers sont le ravissement et le désespoir » ?

 

Sources :

Beskid.com, La Pologne on line

Nobelprize.org

Quelques mots sur Wislawa Szymborska, Club des Poètes

Wislawa Szymborska, Babelio.com

 

 

 

 

 

 

 

 

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commentaires

M
j'aime que vous aimiez Szymborska<br /> bonne journée<br /> <br /> Wislawa Szymborska<br /> <br /> Un coup de foudre dés la première lecture, <br /> comme les battements du cœur d’un adolescent,<br /> et chaque fois que je veux lire à nouveau ses vers, cette même inquiétude, ne vais-je pas la décevoir cette femme que j’aime?<br /> serai-je un lecteur capable de lire, de comprendre sa simplicité qui me ramène à moi ?<br /> Je ne sais jamais, <br /> je suis le lecteur inhabité<br /> qui répond à une question par une question,<br /> je suis le mille et unième, celui qui n‘existe pas,<br /> parce que les statistiques de l’histoire parleront de mille,<br /> le unième sera la fumée dans un nuage humain qui passe au dessus…<br /> Et toujours comme elle je relis l’Ecclésiaste,<br /> je regrette de ne pouvoir être tous les hommes et toutes les femmes, <br /> j’essaie de ne pas créer moi-même les raisons de mes haines et de ma sottise.<br /> J’ai du mal à le faire;<br /> et je lis à nouveau Szymborska;<br /> elle me regarde,<br /> et l’espace d’un temps, ce regard me rend beau.<br /> Elle me réinvente.<br /> Il y a tant de vers à aimer, <br /> poète sans certitude autre que son ignorance.<br /> J’ai une chance <br /> je la connais et je l’aime - je l’ai déjà dit, tant mieux….<br /> Et je sais qu’elle m’aime<br /> Chacun de ses vers est écrit pour moi….<br /> Et pour vous<br /> si vous ne l’avez encore jamais lue<br /> vous serez aussi<br /> condamnés à la Szymborgaisation à perpétuité.<br /> <br /> Un peu d’un vin du centre de l’Europe, un Tokaj me désinhibe et me permet de revenir à chaque rendez vous malgré cette angoisse de la décevoir. Ses vers me reviennent devant l’enfer de Bosch, en écoutant les suites pour violoncelle de Jean Sébastien<br /> Beaux mariages….<br /> <br /> Je n’ai trouvé ses œuvres complètes qu’en anglais (il n’existe pas à ma connaissance d’édition des œuvres complètes en français) <br /> <br /> <br /> © Mermed mars 2009
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C
Merci pour ce beau ressenti à la lecture des vers de cette poétesse méconnue.
N
Je prendrai le temps de lire un peu plus tard, mais je suis ravie car j'étais à la recherche de poètes d'Europe de l'est ou de Russie peu connus. En voici une grande.
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C
<br /> <br /> Cela ne m'étonne pas que cette poétesse  vous plaise car elle manie l'humour dans la profondeur. Ainsi, elle a écrit un extraordinaire poème sur l'oignon, dont voici la dernière strophe :<br /> <br /> <br /> "L'oignon, ça s'applaudit :/ le plus beau ventre sur terre/ s'enveloppant lui-même/ d'auréoles altières./ En nous : nerfs, graisses et veines/ mucus et sécrétions./ On nous a refusé/ l'abrutie<br /> perfection." Génial, non ?<br /> <br /> <br /> <br />
M
Des mots simples qui parlent au coeur!<br /> Moi aussi j'ai aimé la réponse de la pierre.<br /> <br /> Belle journée Cahteau<br /> Martine
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C
<br /> <br /> C'est elle qui dit aussi : "Pardonne-moi, langue, d'emprunter des mots/ pathétiques. Et de faire l'impossible pour/ qu'ils paraissent légers."<br /> <br /> <br /> <br />
M
Je découvre cette poétesse dont les poèmes sont attachants dès la première lecture. elle semblait proche de la vie et des gens même les plus humbles, merci de nous la faire connaître
Répondre
C
<br /> <br /> Une alliance originale chez elle entre philosophie et humour. Amicalement.<br /> <br /> <br /> <br />
M
J'ai aimé la réponse de la pierre "je n'ai pas de porte" !<br /> Merci Catheau pour ce billet qui nous dévoile plein de choses sur cette Dame ! Un bel hommage !<br /> Bonne fin de journée<br /> Monelle
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C
<br /> <br /> Je viens de la découvrir et j'ai eu envie de la faire connaître. Amitiés.<br /> <br /> <br /> <br />
E
voici un genre de poésie<br /> que je peux comprendre<br /> j' y accroche volontiers à cette dame<br /> et à son art<br /> bisous
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C
<br /> <br /> Oui, on a vraiment envie de découvrir d'autres poèmes. Merci de votre passage.<br /> <br /> <br /> <br />

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