Gilles Servat en concert à Etel
(Photo ex-libris.over-blog.com, mercredi 30 juillet 2014)
C’était mercredi 30 juillet 2014, après une belle journée de soleil, et Gilles Servat, venu en voisin je crois de Locoal-Mendon, chantait au cinéma La Rivière à Etel. Devant le grand et vieux rideau rouge, un peu mangé aux mites, le chanteur a d’abord cherché à savoir si le public l’entendait et le voyait bien. C’est sûr que ce n’était pas gagné avec toutes ces têtes chenues dans la salle, une sono et une lumière approximatives ! On a cherché à ouvrir le rideau mais ce n’était sans doute pas mieux et Gilles Servat a repris sa place initiale. De toute manière, lorsqu’il commence à chanter de sa voix puissante et caressante tout à la fois, même le granit en tremble !
Gilles Servat a entamé son récital avec deux chansons de ses anciens albums et notamment Je dors en Bretagne ce soir où il dit avec tant d’âme les ombres et lumières du « pays qui regarde la mer ». Ensuite, il nous a donné à entendre de nombreuses chansons de son 22ème et dernier album sorti en 2013, C’est ça qu’on aime vivre avec. Le titre est celui d’une chanson qui a donné lieu, à la fin du tour de chant, à une véritable leçon de « bretonnismes », les parlers de Groix à Nantes, en passant par Etel, Locoal-Mendon et Douarnenez. Saviez-vous qu’un « adam », c’est le premier rhum qu’on sirote au matin aux halles de Nantes ou qu’un « betterave », c’est un verre de rouge ? En amoureux des mots bretons, celui qui connaît le grec, le latin et l’irlandais ancien nous a plongés dans leur vie travailleuse et quotidienne. Gilles Servat explique dans une interview que cette chanson est « un hommage au parler des gens de chez nous, ceux avec qui j’aime vivre ». En l’écoutant, j’ai pensé au poète Gaston Couté, chanté par Gérard Pierron, et célébrant le parler « d’chez nous », celui de Meung-sur-Yèvre.
Gilles Servat a aussi évoqué ses proches à travers trois chansons. Son fils, d’abord, avec C’est mon gars, un texte tout empreint de tendresse et d’admiration paternelles : « C’est mon dragon des mangas/ Mon tigre blanc des taïgas… » Ensuite, avec une chanson à la mélodie légère et primesautière, ce sera Bleuenn, dans sa petite enfance de sept années, sa fille qui, devenue grande, chante avec son père dans son dernier CD. Enfin, à l’occasion des cinquante ans de Rozenn, sa compagne (« Cinquante ans, cinquante ans, priez pour elle ! »), En 62, quand elle est née nous a fait revivre les sixties et les seventies, en une rétrospective précise de sa vie : « C’est comm’ça que 33 ans plus tard/ Après une soirée musicienne/ Rozenn rattrapait son retard/ Et qu’ma vie devenait la sienne. »
Certes, pour beaucoup, Gilles Servat est le chanteur rebelle et militant. Ainsi, il ne pouvait pas manquer de chanter son succès mythique La blanche Hermine. Celui-ci n’a-t-il pas été repris récemment par les Bonnets rouges, tout comme il pourrait l’être pour une nouvelle géographie des régions, puisqu’il définit les frontières historiques de la Bretagne avec Fougères et Clisson ? Sans oublier de célébrer les bénévoles (sans qui nombre de festivals ne pourraient exister) avec Sur le front des bénévoles, Gilles Servat a rendu hommage au Peuple des Dunes, par le biais d’une chanson écrite par Brigitte Grésy. Elle y remémore le combat victorieux des habitants de la baie d’Etel contre le projet catastrophique d’une extraction de sable, destructrice de la faune et de la flore marines. Mobilisé entre 2005 et 2009, le Peuple des Dunes n’aura pas été le « dindon de Lafarge » ! L’indignation du chanteur éclate surtout dans une chanson au vitriol, La Paroisse de Prêchi-Prêcha. A l’occasion d’un voyage en Irlande et du film les Magdalena’s sisters, il fustige la pédophilie dans l’Eglise, les lâchetés auxquelles elle donne lieu et une vision conservatrice de la femme pécheresse. Ce qui impressionne chez Gilles Servat, c’est sa sincérité alliée à une force de conviction inentamée par les années. La chanson Sans d’mander la permission l’exprime à son tour avec puissance : « Nous-mêmes, nous-mêmes, mieux vaut l’aventure que la mort ! »
Cette rébellion viscérale, ce message qui dit à chacun de résister pour tenir debout, est bien sûr un des aspects essentiels du chanteur, mais ce à quoi je suis, pour ma part, le plus sensible, c’est à sa voix poétique. Lorsqu’il célèbre le moulin de Guérande « au grain de ses années » et les œillets pris dans le sel de Saint-Guénolé, c’est une Bretagne intime et viscérale qu’il chante. Lorsqu’il évoque Tad er martelod et qu’il transforme la mère du marin en père du marin pleurant son fils péri en mer, l’émotion est palpable : la mère de Dieu avait un corps à pleurer, le père du marin n’en a pas. Lorsqu’il chante La Forêt sur la rade, métamorphosant les mâts des bateaux en fûts des forêts, c’est le regard du poète, celui qui voit autre chose dans la réalité du monde. Lorsque, dans Hiérarchies, il s’imagine être au monde en de multiples avatars et qu’il souligne la relativité de nos existences dans l’univers infini, sa poésie se fait philosophie. Il l’affirme haut et fort : « Je ne chante pas que des textes militants, je cherche à partir des choses qui m’environnent, à créer des chansons universelles. » (23-24 juillet 2011, Ouest-France)
Après presque deux heures de chanson, avec beaucoup d’élégance et de délicatesse, Gilles Servat, toujours dans une proximité simple avec son public, s’est excusé d’avoir dû parfois reprendre une ou deux phrases à cause d’une lumière trop forte. Mais de cela, nul ne s’est soucié. Sa voix profonde, qu’il sait moduler avec tant de nuances, nous a envoûtés. Et je me suis dit que, depuis les années 70 où il nous a toujours accompagnés, nous et nos enfants, Gilles Servat, c’est vraiment celui « qu’on aime vivre avec » !
Gilles Servat en concert au cinéma La Rivière à Etel
(Photo ex-libris.over-blog.com, mercredi 30 juillet 2014)