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20 novembre 2010 6 20 /11 /novembre /2010 18:59

saché

 

Pénétrer dans le petit manoir de Saché, en Indre-et-Loire, c’est pénétrer en quelque sorte dans la fabrique d’écriture d’Honoré de Balzac. Pendant une dizaine d’années, entre 1829 et 1837, invité par M. Jean de Margonne, il y revint fréquemment pour s’adonner à l’écriture. Il y alla régulièrement au cours de ces années et s’y rendra pour la dernière fois en 1848. On peut s’étonner de ces visites fréquentes chez cet homme qui fut l’amant de sa mère et le père de son frère puîné Henry-François, enfant que Mme de Balzac lui préféra toujours. Si le fils aîné n’éprouvait guère de sympathie véritable pour M. de Margonne, ce dernier ne manquait pas de l’admirer et le jeune tourangeau sut profiter largement de son hospitalité, considérant par ailleurs que son hôte lui « devait bien ça ».

Balzac se rend de Paris à Tours, en diligence en vingt-trois heures ; puis il part parfois à pied pour Saché, distant d’une vingtaine de kilomètres. Il écrit dans une des premières versions du Médecin de campagne : « J’avais entrepris d’aller de Tours à Saché, vieux reste de château, qui se recommande chaque année à ma mémoire par des souvenirs d’enfance et d’amitié. » C’est ce petit trajet qu’il fait aussi parcourir à Félix de Vandenesse dans Le Lys dans la vallée.

Nombre de pages (mais jamais une œuvre en entier) d’une trentaine d’œuvres de Maître Cornélius au Lys dans la Vallée, en passant par Louis Lambert, La Recherche de l’Absolu, Le Père Goriot, Séraphita, César Birotteau, Les Illusions perdues, ont été écrites dans cette gentilhommière du début du XVI° siècle, édifiée sur les vestiges d’un premier château du XIII° siècle. Agrandie au XVII° siècle, elle fut encore prolongée aux XVIII° et XIX° siècles, ce qui explique que Balzac parlait d’elle comme d’un « débris de château » ; jugement sévère car la demeure ne manque pas de charme.

Nous savons que Balzac aimait terminer ses romans en les datant précisément. Il en va ainsi pour Maître Cornélius : « Au Château de Saché, novembre 1831 » ; Louis Lambert : "Au château de Saché, juin 1832". Quant au Père Goriot, qui ne fut pas achevé en ce lieu, il porte pourtant la mention, « Saché, septembre 1834 ».

 

saché campagne

 

Venu en ce lieu pour la première fois alors qu’il n’avait que treize ans, il en fit par la suite un de ses lieux de prédilection : « A Saché, je suis libre et heureux comme un moine dans son monastère. Le ciel y est si pur, les chênes si beaux, le calme si vaste… » Après Paris, la Touraine et ses environs est la région dans laquelle le romancier situe le plus grand nombre de ses œuvres, la plus emblématique étant Le Lys dans la vallée. L’action s’y déroule principalement à Saché et dans les châteaux à l’entour.

Dès l’entrée, la cloche, que sonne le guide pour appeler les visiteurs déambulant dans le jardin, rappelle la présence de l’auteur des 17 volumes de La Comédie humaine. Alors qu’il s’était attelé à l’écriture dès 2 ou 3 h du matin et qu’il y avait travaillé une quinzaine d’heures sur un manuscrit, il renâclait à lui obéir pour venir dîner, disant qu’elle lui « étranglait les idées ». Certaines pièces de cette maison que Balzac affectionnait particulièrement proposent le décor qu’il connut en réalité. D’autres, et ce sont les plus nombreuses, sont muséographiques et sont consacrées à l’œuvre. Elles présentent lettres, manuscrits, épreuves corrigées de la main de l’auteur, portraits originaux, bronzes et plâtres des études de Rodin pour la célèbre statue de l’écrivain. Au rez-de-chaussée, a été reconstitué un atelier d’imprimeur, semblable à celui que Balzac posséda et qui le conduisit à la faillite. Cette expérience de jeunesse lui inspirera Les Illusions perdues.

 

saché manuscrits 2

 

La salle à manger, le salon, le vestibule (au premier étage) et la chambre à coucher (au second étage) témoignent de ce que fut ce lieu de villégiature, situé dans un petit parc sans prétention et près d’un vallon boisé. Le vaste vestibule, qui fait communiquer le salon et la salle à manger présente un buste en marbre de Balzac par Marquet de Vasselot, des représentations de Paris, et un paysage romantique qui ornait le salon de Madame de Berny, la « Dilecta » à Villeparisis.

On sait que Le Père Goriot, qui inaugure le procédé qui fera florès du retour des personnages, fut commencé en 1834. On se demande si la description du salon de la pension Vauquer n’aurait pas été inspirée par le motif de la frise du papier peint de la salle à manger de Saché, visible entre le poêle de faïence et le tableau d’une femme en rouge et noir, peut-être une ancêtre de la famille de Paul Métadier, à l’origine du musée.

 

Saché Télémaque

 

On y lit en effet, dans la première partie du Père Goriot, « Une pension bourgeoise » : « Le surplus des parois est tendu d’un papier verni représentant les principales scènes de Télémaque, et dont les classiques personnages sont coloriés. Le panneau d’entre les croisées grillagées offre aux pensionnaires le tableau du festin donné au fils d’Ulysse par Calypso. Depuis quarante ans, cette peinture excite les plaisanteries des jeunes pensionnaires, qui se croient supérieurs à leur position, en se moquant du dîner auquel la misère les condamne. » Cette partie bien conservée du papier peint d’origine de la salle à manger de Saché a permis d’ailleurs la restauration à l’identique de l’ensemble.

 

Saché salle à manger

 

Le grand salon du manoir, d’une dizaine de mètres de long, possède quant à lui un superbe papier peint en trompe l’œil, imitant des draperies d’un beige doré. Nommé par Balzac lui-même dans sa correspondance « le papier aux lions », il date de 1803. Il est aisé de l’imaginer jouant au whist ou au tric-trac, animant les soirées de ses hôtes en faisant des lectures des passages de son œuvre en cours d’élaboration ou en donnant vie à certains de ses personnages. Si cet imposant salon est recouvert d’un parquet, les autres pièces sont dallées de carreaux de Châteaurenault blancs, conférant à l’ensemble une grande sobriété.

saché salon 3

 

Quant à sa petite chambre, au second étage, elle émeut par sa simplicité monacale. Le lit- bien petit et étroit pour un homme de sa corpulence- et dans lequel il écrivait sur une planchette, le bureau, et peut-être le fauteuil, sont d’origine. C’est un lieu reposant et serein, dont la fenêtre s’ouvre sur les bois, et qui fut propice à la création. « C’est là, dit-il, que j’ai fait mes premiers pas dans les chemins de la pensée et que se sont passées les heures les plus solennelles de ma vie intellectuelle […] Là, j’ai écrit Louis Lambert, rêvé Le Père Goriot, repris courage pour mes horribles luttes d’intérêts matériels… » C’est là aussi qu’il se droguait à un café très serré, ce fameux mélange de moka, bourbon et arabica, dont il buvait des tasses sans nombre et qui ne fut pas sans effet sur sa fin prématurée.

 

saché chamabre

 

Outre ces trois pièces, qui permettent d’imaginer la vie quotidienne et campagnarde de l’auteur en villégiature, les autres salles passionneront tous ceux qui s’intéressent au processus mystérieux de la création littéraire. Au premier étage, deux d’entre elles sont réservées à des expositions temporaires, l’une étant décorée d’un papier peint à l’ancienne, dont le motif à fleurs de lys évoque Le Lys dans la vallée.

Dans la salle du Lys, sont présentés des œuvres et des documents qui évoquent la vie de Balzac, certains en lien avec la Touraine. On y voit ainsi la plaque indiquant la maison natale du romancier à Tours, retrouvée sous les décombres après le bombardement de Tours en juin 1940.

 

saché plaque

 

On y fait la connaissance de son père, Bernard-François Balzac, directeur des vivres de la 22e division militaire à Tours ;

 

saché le père

 

de sa mère, Anne-Charlotte Sallambier ;

 

saché la mère

 

 

de sa sœur très aimée Laure, née un an après lui et qui sera mise en nourrice avec lui. Un autre petit portrait, assez peu connu, le représente dans sa jeunesse, peu-être pour la réception du duc d’Angoulême à Tours en 1814. En le regardant, on pense au jeune Félix de Vandenesse, se préparant pour le bal où il rencontrera pour la première fois Madame de Mortsauf.

 

Balzac 4

 

L’attention est encore retenue par la copie du célébrissime portrait par Boulanger (1842) et qui est exposé au musée de Tours. Le « forçat des lettres » y est représenté de face, les bras croisés, vêtu d’un froc de bure monacal, que ceint une cordelette. Le modèle appréciait tant ce portrait qu’il en fit faire par l’artiste une réplique pour Madame Hanska.

 

Balzac 6

 

Mais c’est sans doute l’unique photo de Balzac, le célèbre daguerréotype de Nadar (1842), qui restitue de lui l’image la plus fidèle.

 

 Balzac 3

 

Laure de Berny, la « Dilecta », en médaillon, voisine avec le beau profil dans les tons gris de Madame Hanska veuve, par Gigoux. Un dessin représente La Grenadière (demeure de lady Dudley dans Le Lys) où il séjourna avec celle qui avait vingt-deux ans de plus que lui, tandis que d’autres évoquent le domaine de Wierzchownia, propriété du comte Hanski, dont le raffinement étonna Balzac.

 

saché mme Hanska

 

La salle Louis Lambert permet au visiteur de comprendre la genèse de La Comédie humaine. L’on sait que ce projet prométhéen lui vint d’une « comparaison entre l’humanité et l’animalité, les « espèces sociales », devant correspondre aux « espèces zoologiques », projet qu’il explique dans l’extraordinaire Avant-Propos de l’œuvre. N’écrit-il pas à son amie Zulma Carraud en janvier 1845 : « Vous ne vous figurez pas ce que c’est que La Comédie humaine ; c’est plus vaste littérairement parlant que la cathédrale de Bourges architecturalement » ?

En 1834, la structure est trouvée : les Etudes de mœurs, les Etudes philosophiques, les Etudes analytiques. La récurrence des personnages (plus de 2000) empruntée à Walter Scott, les correspondances et les filiations d’une œuvre à l’autre sont des éléments-clés de cette entreprise unique.

En 1842, Balzac publie sous le titre de Comédie humaine ses œuvres complètes, c’est-à-dire la grande majorité des romans et quelques essais dans ce classement, qui ne suivait pourtant ni l’ordre de publication des textes ni la chronologie de la vie des personnages. Cette édition, prévue pour comporter 32 volumes, n’en comporta que 17. Par rapport au plan prévisionnel précis de 1845, il existe de nombreux manques. Il apparaît que ce sont les Etudes de mœurs qui sont les plus fournies avec les Scènes de la vie privée, les Scènes de la vie de province, les Scènes de la vie parisienne, les Scènes de la vie politique, les Scènes de la vie militaire, les Scènes de la vie de campagne. En dépit de cette disproportion avec les deux autres grandes parties envisagées, l’ensemble demeure une somme gigantesque. Dans la salle Louis Lambert, de nombreuses caricatures d’époque évoquent avec humour Balzac et ses personnages.

 

Balzac 7

 

Connue sous le nom d’édition Furne, nom de son principal éditeur, La Comédie humaine fut rééditée. La mort de Balzac en 1850 mit un terme à son projet mais il avait eu le temps de faire de nombreuses corrections manuscrites. Cet exemplaire, baptisé « Furne corrigé », est le texte de référence de nombre d’éditions postérieures, faisant ainsi disparaître d’autres états du texte. N’oublions pas en effet que les œuvres de Balzac furent publiées plusieurs fois de son vivant, en revue, dans des journaux en feuilletons, reprises en éditions séparées chez divers éditeurs, puis intégrées dans l’édition Furne entre 1842 et 1847. Si l’on compte aussi les manuscrits, les brouillons, les épreuves et le « Furne corrigé », les variantes sont innombrables et composent un fascinant palimpseste. Dans le Cabinet des manuscrits, une autre salle, une vitrine éclaire admirablement ce travail de titan, qui consista pour Balzac à récrire sans fin son œuvre. On y découvre le manuscrit, l’épreuve d’imprimerie corrigée à la main, la pré-publication, l’édition en librairie…

 

Saché manuscrits

 

Dans la salle Béatrix, la Touraine est l’élément fédérateur. On y retrouve de nombreuses figurines représentant les personnages des romans et notamment les Tourangeaux : ceux du Curé de Tours, de La femme de trente ans ou de L’Illustre Gaudissart. C’est Le Lys dans la vallée, publié en 1836, qui va clôturer les Etudes de mœurs. On connaît la place essentielle de ce roman, qui était selon Alain, « l’histoire des Cent-Jours vue d’un château de la Loire ». Ce qu’on en retient surtout, c’est qu’il est un magnifique roman d’initiation, sous la forme de deux lettres : la première de Félix de Vandenesse qui conte son amour fatal pour Madame de Mortsauf à Natalie de Manerville, la seconde étant la réponse de Natalie à Félix. L’auteur Balzac s’y confond avec le narrateur, qui « sonde le cœur humain aussi profondément que le style épistolaire ». L’aspect autobiographique d’un roman qui met en scène un enfant mal-aimé par sa mère et l’amour d’un jeune homme pour une femme plus âgée n’occulte pas pourtant la poésie d’une histoire que Claudel considérait comme un « admirable poème ».

 

saché Mortsauf

 

Quant à la topographie du roman, elle est typiquement tourangelle. Le château de Clochegourde ressemble à s’y méprendre au manoir de Vonne tout proche ; le château de Frapesle, c’est Valesne où Balzac séjourna avec Madame de Berny. Tout Saché et ses environs sont enclos dans ce roman et l’on se souvient de l’exclamation de Félix, évoquant l’inconnue dont il a baisé les épaules dans un mouvement fou au bal de Tours : «  Si cette femme, la fleur de son sexe, habite un lieu dans ce monde, ce lieu, le voici ! »

saché les châteaux du lys

 

Le visiteur terminera la visite au rez-de-chaussée en parcourant la salle Rodin, avec la réplique de la fameuse statue, qui fut présentée au Salon des Beaux-Arts de 1898, et suscita la polémique. Le manteau de la cheminée Renaissance présente un bas-relief, fourmillant des personnages de La Comédie humaine.

 

Saché comédie humaine

 

Enfin, la salle de l’imprimerie reconstitue un décor tel que Balzac put en connaître de 1826 à 1828, lors de son expérience malheureuse d’imprimeur, rue des Marais-Saint-Germain.

Ainsi, en dépit d’une enfance de fils mal-aimé à Tours, d’une triste vie de pensionnaire à Vendôme, d’un terrible sentiment d’abandon familial, Balzac ne reniera jamais la Touraine. Et en quittant Saché, on comprend qu’on ne peut dissocier la Touraine de l’œuvre d’un romancier, qui avouait à travers la voix de Félix de Vandenesse,  : « Ne me demandez plus pourquoi j’aime la Touraine, je ne l’aime ni comme on aime son berceau, ni comme on aime une oasis dans le désert… je l’aime comme un artiste aime l’art. Sans la Touraine, peut-être ne vivrais-je plus. »  

       

  Saché église

 

Sources :

Balzac à Saché, Société Honoré de Balzac de Touraine, 1998.

Dictionnaire des Littératures de Langue française, "Article Balzac", J-P de Beaumarchais, D. Couty, A. Rey, Bordas, Tome I, 1987.

Balzac, Annette Rosa, Isabelle Tournier, Armand Colin, Paris, 1992.

http://www.terresdecrivains.com /Honore-de-BALZAC

 

Photos personnelles le 11 novembre 2010.

 

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commentaires

M
<br /> merci de cette belle visite, enrichie de toute ta culture,tout cela me rappelle la découverte que ns en avions fait, il y a qqtemps<br /> <br /> <br />
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C
<br /> <br /> Une visite faite un onze novembre, jour de mon anniversaire, et que j'ai beaucoup aimée.<br /> <br /> <br /> <br />

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