Mon grand-père au front, écrivant (Collection personnelle)
C’est le triste sort des amantes, des épouses et des mères, depuis tout temps, d’attendre l’homme parti guerroyer et de vivre « l’amour de loin », tel que le chanta l’époque courtoise. Ma grand-mère ne fit point exception à la règle, puisque mon grand-père participa à la Grande guerre.
Dans son Carnet de Poésie, j’ai retrouvé sur un feuillet libre un texte, intitulé Prière de Mercier (si je déchiffre bien), évocatrice d’un éloignement douloureux qui dura quatre longues années. Je la restitue avec la ponctuation d’origine.
Cette préoccupation tendre de la femme aimée qu’éprouve le soldat au front m’émeut. Alors que la peur sans doute tenaillait sans relâche mon grand-père, il souhaitait que son épouse soit épargnée par l’inquiétude et les « effrois obscurs ». Très classique dans sa forme, cette prière de demande, dans sa simplicité, est ainsi le témoignage de l’amour qui liait mes grands-parents.
Seigneur mon Dieu veillez sur l’absente qui m’aime
De tout le grand amour dont je l’aime moi-même
Donnez à ses matins un rayon de clarté
Pour que son pauvre cœur en soit réconforté
Qu’elle ne sente pas dans la douteuse aurore
Que la maison est vide, hélas, et trop sonore
Qu’en se mettant à table elle ne pleure point
En songeant qu’elle est seule et que je suis bien loin
Par ces après-midi où l’hiver est si triste
Qu’un rayon de soleil de temps en temps l’assiste
Mais surtout, ô mon Dieu, que les soirs, les longs soirs
Ne l’environnent pas de pressentiments noirs
Au retour de la nuit, gardez sa solitude
Des souffles de la peur et de l’inquiétude
Que le grand vent plein d’ombre et dont tremblent les murs
Ne la pénètre pas de ses effrois obscurs
Que celle dont elle a le charme, que la lampe
D’une lueur de paix illumine sa tempe
Donnez-lui de dormir d’un sommeil calme et doux
Qu’un songe la visite et qu’il vienne de vous
Seigneur mon Dieu veillez sur l’absente qui m’aime
De tout le grand amour dont je l’aime moi-même
Prière de Mercier ( ?)
Samedi 11 septembre 2010