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Un blog pour lire, pour écrire, pour découvrir et s'étonner. "La Vie a plus de talent que nous" disait Nabokov.

La folie Almayer : Chantal Akerman inspirée par Joseph Conrad.

Almayer (Stanislas Mehrar) et Nina (Aurora Marion)

Je n'ai pas lu La folie Almayer (1895) de Joseph Conrad mais le titre m'était suffisamment évocateur pour éprouver l'envie d'en voir l'adaptation filmique (2012) de Chantal Akerman. D'autant plus que ce qu'elle avait réussi avec La Prisonnière de Proust en réalisant La Captive (2000) m'avait fascinée.
Si fascination il y a pour le spectateur (ou ennui, c'est selon) tient à la manière dont la réalisatrice filme la forêt malaise. Ce décor vert, touffu, bruissant, inquiétant, devient un véritable personnage qui emprisonne, cache ou, pourquoi pas, révèle les personnages, distillant une atmosphère onirique, voire fantastique.

La rivière sombre, glissante, mouvante, éclairée par les lueurs d'un trop rare bateau ou les étincelles factices d'un minable feu d'artifice, emmène ces êtres perdus vers la civilisation d'une ville populaire et fourmillante, ou les ramène vers la "folie Almayer". Il s'agit de la pauvre cabane de planches et de roseau qui eut son temps de gloire quand Kaspar Almayer (Stanislas Mehrar, hâve, efflanqué dans sa blondeur mélancolique)s'y installa en quête de l'or. Mais il est vrai que ce titre est polysémique : la "folie" d'Almayer ne réside-t-elle pas dans le fait de demeurer éternellement dans ce qui est devenu un enfer ? Quant au seul compagnon masculin du chercheur d'or, c'est son "boy" (Zac Andianas), d'une fidélité à toute épreuve.

C'est le capitaine Lingard (Marc Barbé), auréolé du surnom de "roi de la jungle", qui l'avait entraîné en quête de ce mythique Eldorado. Il lui avait même fait épouser sa fille adoptive, une Malaise, Dahira (Sakhna Oum) qu'Almayer n'aimait pas. De cette union sans amour était née Nina (Aurora Marion), une "sang mêlé" d'une stupéfiante beauté, objet de l'amour exclusif de son père.

Dans la perspective d'un hypothétique retour en Europe, le capitaine Lingard avait fait éduquer Nina dans une école catholique afin de lui offrir une éducation de "blanche". Elle y avait subi un enseignement rigide, aride, associé à un mépris non-dit face à son métissage. La ritournelle "V'là l'vitrier qui passe" rythme ce temps routinier et sans affection de la pension. Au décès de Lingard, la jeune fille doit quitter le pensionnat (ou s'en échappe) et erre dans ville au milieu des "siens". Elle revient chez son père mais son "cœur est mort". Elle ne sait plus qui elle est, ni ce qu'elle désire, alors que son père, consumé d'amour pour elle, est dans l'incapacité de le lui exprimer.

C'est à ce moment-là que Nina croise la route de Daïn (Zac Andrianasolo), un petit braconnier sans doute assassin, qui tombe éperdument amoureux d'elle. Elle se laissera aimer et le suivra pour espérer échapper à son sort étouffant et sans lumière. Almayer, tenté de les tuer, y renonce, et les laisse partir. La fin du film focalise sur le visage désespéré de ce père à qui tout a échappé, sa quête de l'or, de l'amour de sa fille, et qui murmure des conseils, désormais inutiles et sans destinataire.

Film sur la perdition d'un aventurier occidental en pays malais, réflexion sur l'identité et le métissage,
quête de tous les paradis perdus, le film est tout cela à la fois. Lent, méditatif, il déplaira à ceux qui veulent un minimum d'action et qui sont insensibles à la beauté d'une nature admirablement filmée.
Et s'il ne fallait retenir qu'une scène de ce film étrange et fascinant, c'est celle de l'ouverture. Dans un dancing asiatique, l'on découvre Daïn se déhanchant et chantant sur l'iconique "Sway", créée par Dean Martin en 1954 : "Quand les rythmes de marimba commencent à jouer/Danse avec moi, fais-moi balancer/Comme l'océan paresseux embrasse le rivage/Tiens-moi serré, balance-moi davantage."
Derrière lui, c'est Nina, accompagnée de danseuses. On suit alors la marche d'un homme qui s'avance vers la scène et poignarde le chanteur. Tous s'enfuient, sauf Nina. Dans une sorte d’hébétude, elle continue à danser avant de cesser progressivement pour venir face à la caméra et entamer un "Ave verum" mystérieux et déchirant : "Ô véritable corps [...] qui a été sacrifié et immolé [...]. Adieu, peut-être à une éducation chrétienne qu'elle rejette. La suite de ce film hypnotique ne sera qu'un long flash back désespéré.

 

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M
Bonjour Catheau,<br /> <br /> Ce film est certainement magnifique mais quelle noirceur! J'avoue que ce n'est pas le genre d'ambiance que je recherche pour m'évader, me changer les idées.<br /> Merci pour ce beau et long compte-rendu, Catheau<br /> <br /> Prenez soin de vous<br /> Bien amicalement
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C
Merci, Martine. Je suis heureuse de vous relire. Je reconnais que ce n'est pas un film facile et distrayant mais qu'il est bien filmé !