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Dédié à Gilberte Enthoven, « proustienne par sa bonté, son prénom et son amour des fleurs », Le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, publié en 2013, est une œuvre à quatre mains, écrite par Jean-Paul Enthoven et son fils Raphaël. De sensibilité différente, ils se sont amusés « à se donner raison puis tort à mesure qu’ils se promenaient, ensemble ou séparément » dans la Recherche.
Dans une interview à deux voix sur France-Culture, Proust de A à Z, le 04 octobre 2013, ils expriment leur passion pour ce « bréviaire de l’esprit français », sans équivalent dans la littérature européenne. Expliquant que le lecteur peut entamer l’œuvre à n’importe quel endroit, ils multiplient les entrées de leur dictionnaire, en se promenant « à sauts et à gambades, d’ « Agonie » à « Zinédine (de Guermantes) », en passant par « Caca » ou « Sartre (Jean-Paul) ». La surprise est ainsi au rendez-vous.
C’est un ouvrage de 700 pages qui est un véritable kaléidoscope, « un tourbillon paperollien », dans lequel la dimension comique de l’œuvre est mise en relief. Insistant sur la « prolifération interne » (paperolles et béquets) qui fait que « la phrase grossit de l’intérieur », Raphaël Enthoven précise que le livre a augmenté entre deux mots « long » et « temps », « longtemps » étant le premier mot de la Recherche et « temps », le dernier.
Citant de multiples anecdotes, s’interrogeant sur ce que pouvait être la voix de Marcel Proust, « juchée, ouatée, de velours », le père et le fils expliquent comment l’auteur fut « l’entomologiste des insectes humains », dans ce roman de 3 000 pages qui « parle le mieux des hommes ». Et de citer la phrase extraordinaire de Céleste Albaret à son maître partant pour une soirée mondaine : « Ce soir, Monsieur se fait pèlerin de ses personnages. »
Ils insistent aussi bien sûr sur la prééminence du sens de l’olfaction (l’odeur des asperges, de la marquise aux Champs-Elysées…), la présence de 367 variétés de fleurs, et les innombrables métaphores végétales. Alors que l’orchidée (le catleya) est la fleur vénéneuse, obscène, associée à Odette la cocotte, l’aubépine symbolise l’innocence et Gilberte.
Ils font aussi de multiples remarques sur les noms, remarquant que dans Gilberte et Albertine, on retrouve sans doute le souvenir de Berthe Bovary ; deux personnages féminins ayant la particularité d’avoir des yeux qui changent de couleur. Evoquant les derniers mots de Proust lors de son agonie avec son frère à ses côtés (« Mon petit Robert »), ils remarquent que cet asthmatique mourra sans air, et que sont très nombreux les noms de famille possédant le son [R] (Cambremer, Bréauté, Guermantes…).
Enfin, entre autres remarques éclairantes, ils expliquent que le Narrateur n’est ni asthmatique, ni homosexuel et qu’il est dreyfusard sans plus. Certes, il se nomme Marcel (prénom trois fois cité), mais il n’est pas Proust !
C’est donc un dictionnaire érudit mais non dénué d’humour et de surprises qui ravira les proustolâtres.