Un blog pour lire, pour écrire, pour découvrir et s'étonner. "La Vie a plus de talent que nous" disait Nabokov.
Le Nouveau-né, Georges de La Tour
Nativité
Pour Malène
qui voulait un poème
sur le tableau de Georges de La Tour
Les mains ! Voyez les mains qui tiennent
Cet enfançon silencieux.
L’une étreint fort le petit Dieu,
Et l’autre le soulève à peine.
C’est un marmot emmailloté
Au visage gros de sommeil.
Ses yeux clos fixent le soleil
De la ténébreuse Beauté.
Marie écoute la lumière
Qui respire contre son sein.
"Mon lumignon, mon tendre rien,
Tu embrases toute ta mère."
Ce poème, que je viens de découvrir dans un recueil de poèmes consacré au feu, me donne l’occasion d’évoquer la figure de Jean Mambrino (1923-2012), un poète, devenu membre de la Compagnie de Jésus en 1954.
Pendant quinze ans, à Amiens et à Metz, il est professeur de lettres et de langue anglaise tout en enseignant le théâtre, découvert grâce à Jean Dasté. C'est ainsi qu'il aura pour élève l'un des plus grands dramaturges français, Bernard-Marie Koltès. Passionné par le Septième Art, il se liera d’amitié avec Roberto Rossellini et des cinéastes de la nouvelle vague comme François Truffaut ou Eric Rohmer.
Après sa rencontre avec T. S. Eliot et Kathleen Raine, il entre en relation avec René Char. Trois rencontres importantes marquent également ces années : celles de Henri Thomas, d'André Dhôtel et de Georges Simenon. C’est grâce à Jules Supervielle qu’un ensemble de ses poèmes paraît en 1965 au Mercure de France sous le titre Le Veilleur aveugle. Dès lors, il se partagera entre son travail de critique littéraire à la revue jésuite Etudes, à la rédaction d’ouvrages sur la littérature et à l’élaboration de son œuvre poétique. Sa poésie, simple dans sa forme, trouve son originalité dans ses riches évocations symboliques de la nature. « La poésie, écrivait Jean Mambrino, est un langage silencieux qui efface ses propres traces, pour qu’on entende ce que les mots ne disent pas. »
Avec des ouvrages comme Lire comme on se souvient ou La patrie de l’âme, on peut dire aussi qu’il fut un passeur. De Walter Pater à Kawabata en passant par Jean Giono, l’auteur y évoque des écrivains célèbres ou méconnus en conciliant réflexion et émotion, ainsi que le disait Claude Roy.
Pratiquant aussi bien la forme brève que le style narratif, la poésie, jamais apologétique, de ce jésuite poète « s’inscrit dans la tradition d’un humanisme ouvertement catholique ». « Il a su inventer un nouvel espace où célébrer l’insondable richesse du Christ », écrit le jésuite Claude Tuduri qui commente ainsi son œuvre : « « La poétique de Jean Mambrino se situe d’emblée dans la ligne de celle des écrivains qui cherchent à traduire la réalité dans ce qu’elle a d’essentiel, la présence de l’Être en ce qu’il a de plus authentique et de plus pur. »
Dans toute sa poésie, Jean Mambrino est hanté par la lumière. On ne s’étonnera donc pas qu’il ait écrit sur ce tableau en clair-obscur de Georges de La Tour, intitulé Le Nouveau-né. Tout en accordant une attention extrême aux détails de la vie quotidienne, ce chef-d’œuvre nocturne de la maturité du peintre exprime un profond mystère. La flamme vacillante de la bougie « fait écho à la fragilité de la vie et révèle en même temps l’essence divine de l’enfant ». Même si le rouge de la robe de Marie préfigure la Passion future de son fils, la lumière qui émane de Lui l’éclaire et l’ « embrase » toute, ainsi que le dit magnifiquement le poète. La description précise et réaliste des mains de Marie (« étreint », « soulève ») et du nourrisson endormi (« marmot emmaillotté », « gros de sommeil ») s’allient ici harmonieusement avec une approche mystique de la scène. Ce que souligne la synesthésie de « la lumière/ qui respire contre son sein. » Le poème exprime donc remarquablement, me semble-t-il, cette « sensation spirituelle », dont Jean-Pierre Lemaire parle à propos de la poésie de Jean Mambrino.
Sources :
Jean Mambrino, wikipédia
La poésie de Jean Mambrino, L’innocence retrouvée du sensible, Claude Tuduri