Un blog pour lire, pour écrire, pour découvrir et s'étonner. "La Vie a plus de talent que nous" disait Nabokov.
Vendredi 10 novembre 2017, les Saumurois inauguraient au Dôme le Centre de Rencontres de la Poésie Contemporaine. Une soirée non-stop de 17h 30 à 23h pour célébrer la poésie dans tous ses états. C’est Silvio Pacitto, directeur artistique du théâtre, convaincu avec Jean-Pierre Siméon que « la poésie sauvera le monde », qui a souhaité créer ce lieu ouvert à toutes les formes poétiques. Une profession de foi affirmée avec force lors de sa lecture d’un puissant poème de Thomas Vinau et d’une phrase de René Char, soulignant ce « plus » indicible ajouté par la parole poétique.
Photo ex-libris.over-blog.com, le 10/11/2017
La soirée a débuté avec une lecture-performance électroacoustique d’Armand le Poête, auteur d’une quinzaine de recueils, au sein même de l’exposition qui présente ses œuvres. Sur les hauts murs blancs de la Galerie Loire, se succèdent les 36 « Poêmétals » en acier, aux couleurs vives, réalisés avec Guypierre, les très fins « Poêmench’veux, brodés en cheveux par Alic Calm, les « Vidéopoêms » en collaboration avec Laurent Vichard. Ceux-ci s’écrivent sous l’œil de la caméra avec bruitages, montages et objets divers. Avec Armand le Poête, pour qui amour rime avec toujours, foin de l’orthographe : les mots s’amusent, se bousculent, ne craignant ni ratures ni maladresse, dans une liberté foisonnante et ludique. On notera qu’Armande le Poête est timide et qu’il délègue la lecture de ses poèmes en public à son « colocataire », Patrick Dubost.
Photo ex-libris.over-blog.com, le 10/11/2017
Après cette lecture fantaisiste et inventive, les spectateurs ont investi le foyer du Dôme, aux éclatantes couleurs or, bleu et rouge, pour un cocktail amical. Puis ils se sont dirigés vers la salle de conférences afin d’écouter les voix de deux poètes saumurois, Yves Leclair et Albane Gellé. Le groupe de poésie auquel j’appartiens, les Poédiseurs, a proposé une lecture de poèmes d’Yves Leclair, qui fut professeur de Lettres dans le même lycée que moi. Ecrivain saumurois nourri d’humanité(s), fin critique littéraire, grand connaisseur des poètes T’ang, Yves Leclair a reçu le prix Alain Bosquet 2014 pour le cinquième tome de son journal poétique Cours s’il pleut et l’ensemble de son œuvre. Nous avions choisi des extraits de ses textes en fonction des goûts de chacun des neuf diseurs, admiratifs que nous sommes devant cette poésie d’un quotidien banal sublimé par son regard de poète. A la fin de notre lecture nous l’avons remercié de nous avoir permis de tamiser avec lui « l’or du commun », à l’image de ce bref poème, intitulé « A la corde » :
« Eté qui sent la corde
quand tout au fond des fermes on tire les volets
et devise à voix muette à remailler le vrai
cotylédon de la pénombre on se raccorde
au rien
qui vibre en orbe au fond des mondes »
(En contemplant des semelles de corde tressées)
23 juillet 1988
Yves Leclair, Photo ex-libris.over-blog.com, le 7/10/2014
Ensuite, c’était autour de la poétesse Albane Gellé de dire certains de ses textes. Derrière une apparente fragilité, avec une voix douce mais ferme, elle nous a fait entendre les échos d’une écriture résistante et en mouvement, notamment dans le premier texte, « Debout ». Elle nous a distillé des portraits de ses Eblouissants et fait aussi partager son amour des chevaux. Nous avons entendu des extraits d’un texte plus ancien Je, cheval et de son dernier opus bouleversant, Chevaux de guerre :
"Où ? vont nos chevaux, leurs souffles chauds, leurs jambes sûres. Où? partent leurs façons dignes, leurs courbes claires, leur élégance, et cette entière fidélité à ce qu'ils sont. Où ? le bruits de leurs allures, leurs appels, leur fatigue. Où ? l'odeur de leurs encolures, leurs têtes basses, les signaux de leurs oreilles. Où ? leurs poils brillants, leurs flancs nourris, le doux soyeux de leurs poitrails sous des mains caressantes et fines."
Une écriture en harmonie avec les animaux et les êtres, pour une amoureuse de la nature qui vit à la campagne au milieu des enfants et des poneys.
Albane Gellé, Photo ex-libris.over-blog.com, le 10/11/2017
Après cette double lecture, la soirée poétique s’est poursuivie dans la salle à l’italienne avec le concert Kalamna par la compagnie Eoliharpe. Ce groupe inspiré de jeunes artistes est composé du pianiste Gilles Constant, du contrebassiste François Marsat, avec aux percussions Bachir Rouimi, à la flûte, clarinette et saxo Darian Zavatta. Quatre musiciens qui, avec la danseuse Telma Pereira, accompagnent la chanteuse Claire Bossé. Ils ont magnifiquement interprété les poèmes de la poétesse syrienne Maram Al-Masri, celle dont « les mots enregistrent le fond et le tréfonds/ le scandale et le scandaleux ». Un spectacle prenant et émouvant qui nous a emmenés loin dans ce pays en proie à la violence aveugle de la guerre.
Soutenue et accompagnée par la danse expressive de Telma Pereira, fine silhouette blanche, c’est avec puissance que la chanteuse, altière et sensible, a exprimé le déchirement de la femme syrienne, aussi bien amante que mère, qui aspire de tout son être à l’amour et à la liberté et à laquelle la poétesse s’identifie pleinement. Elle donne la parole à toutes ces femmes qui « ne savent pas parler », dont « la parole reste dans la gorge/ comme l’épine elles préfèrent l’avaler », celles qui « ne savent que pleurer », dont « les pleurs rebelles soudain jaillissent/ comme une veine rompue », celles qui « reçoivent des gifles ». Un désir violent d'une autre vie qui se manifeste dans la belle image : « Comme un lion en cage les femmes comme moi rêvent de liberté ». Chant magnifique repris sur scène à l’unisson aussi bien par les hommes que les femmes.
La compagnie Eloliharpe
J’ai beaucoup aimé l’équilibre de ce spectacle qui voit le percussionniste venir doubler en arabe le chant en français, la danseuse se faire le reflet des émotions de la chanteuse ou bien se lover dans les bras du flûtiste, ou encore les six artistes se rejoindre pour une superbe chorégraphie silencieuse. Le concert a connu encore un supplément d’âme quand Claire Bossé, au moment des saluts, a souhaité la bienvenue aux migrants présents dans la salle et accueillis à Saumur. Heureuse de marquer cette arrivée par la grâce de la musique et de la poésie.
Maram Al-Masri
Le programme proposait encore deux événements poétiques : L’apparition, création en lecture et musique par Perrine Le Querrec accompagnée par Ronan Corty à la contrebasse et Makasutras, conférence gesticulée par Nicolas Vargas, poète performeur. Je reconnais avoir renoncé à y assister, préférant demeurer sur la belle impression du concert de Kalamna.
Toujours est-il qu’il faut absolument saluer la réussite de cette soirée d’ouverture de la Maison des Rencontres de la Poésie Contemporaine. Elle a attiré un public attentif et passionné, d’excellent augure pour des rencontres à venir pleines de découvertes, faisant mentir l’idée toute faite que les Français n’aiment pas la poésie.
Mes billets sur Yves Leclair :
http://ex-libris.over-blog.com/article-36881119.html
Le site d'Albane Gellé :
http://albanegelle.canalblog.com
Le site d'Armand le Poête :
http://armand.le.poete.free.fr
Le site de Eoliharpe :
http://www.eoliharpe.com/créations/