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L'église de Saint-Sulpice-sur-Loire
Samedi 05 août 2017, accompagnée d’une amie et de son petit-fils, nous avons parcouru le circuit d’Art et Chapelles en Anjou. Intitulé Au fil de la Loire, 6 artistes, 6 chapelles, ce parcours nous promène sur les bords de la rive gauche de la Loire, de Saint-Sulpice-sur-Loire à Saint-Hilaire-Saint-Florent. Aux artistes invités à exposer dans les différentes chapelles il est demandé de créer une œuvre inspirée par le lieu et son environnement. S’il est souvent surprenant de découvrir leurs choix et leurs thématiques, il est toujours intéressant de voir comment un endroit chargé de spiritualité infuse dans une œuvre contemporaine et lui donne son aura particulière.
Le château de l'Ambroise
Parties de Saumur, nous avons commencé par l’extrémité du circuit, l’église paroissiale Saint-Sulpice, de Saint-Sulpice-sur-Loire. Avant d’y parvenir, nous avons jeté un coup d’œil sur le joli château de l’Ambroise (XVI°, XVII°, XVIII°) dont nous avons aperçu la fuie et les toits, et notamment celui de l’ancien jeu de paume. Après avoir été habité par l’archevêque de Tours, il est aujourd’hui la propriété de Dominique d’Orglandes. J’y fus reçue autrefois lors d’une magnifique soirée, organisée par un ami, le frère du propriétaire actuel.
Linteau de la porte d'entrée de l'église de Saint-Sulpice-sur-Loire
Entourée de très belles demeures, l’église de Saint-Sulpice fut sans doute la chapelle primitive du château de l’Ambroise. Reconstruite au XVIII°, elle possède une nef unique, séparée du chœur par un arc triomphal en plein cintre. Curieusement, cette église a partie liée avec la Révolution française puisque, sur le linteau de la porte d’entrée latérale, on lit la mention suivante : « Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme. » En effet, craignant de perdre le soutien du peuple devant les réactions de déchristianisation conduites contre l’Eglise, l’Incorruptible avait institué ce culte qui disparut immédiatement après sa mort sur la guillotine en 1794. A l’intérieur, des vitraux rappellent le martyre de deux prêtres réfractaires, le curé Louis Jumereau, tué à coups de fusil en décembre 1793, et le bienheureux Noël Pinot, guillotiné le 21 février 1794.
Lithographie et texte de Bente Hoppe
C’est la phrase, située à l’entrée de l’église, qui a impressionné l’artiste danoise Bente Hoppe. Elle y a lu « l’affirmation (ou le désir) d’une réconciliation entre le spirituel et la Révolution ». Fascinée par « l’épaisseur de ces mots et les notions essentielles qui en émanent », elle a voulu créer un grand livre avec textes et images, leur faisant écho de près et de loin ». Diplômée des Beaux-Arts d’Angers et d’études de Lettres au Danemark et à la Sorbonne, cette artiste propose un travail essentiellement graphique, marqué par l’abstraction. Ici, elle utilise la lithographie (dessin sur pierre avec des encres de couleurs différentes), qu’elle a accompagnée de textes personnels ou encore de l’Ecclésiaste ou de Cioran. Ces œuvres m’ont fait penser à celles du peintre chinois Zao Wou-Ki, que j’avais admirées au musée d’Ixelles il y a trois ans je crois.
Vitrail rappelant le martyre d'un prêtre réfractaire
Tout en étant étonnée que la Révolution française et l’idéologie violente de Robespierre soit à l’origine de cette œuvre, j’ai aimé le dialogue que Bente Hoppe instaure ainsi entre peinture et poésie :
qui n’a jamais
un beau jour de printemps
pensé être
dans le seul vrai
qui n’a jamais
un jour de grand soleil
cédé
à la tentation de l’absolu
qui n’a jamais
oublié de chercher
bien plus loin
un autre essentiel
d’instants d’éternité
et
de grâce
Chapelle du château de la Giraudière
Notre deuxième étape nous a conduits à Blaison-Gohier, dans la chapelle du château de la Giraudière, que l’on aperçoit, esseulée, en bas d’une grande pelouse. Si l’ancien château du XVII° siècle a été transformé en 1866, la chapelle a été aménagée dans une ancienne tour médiévale et bénite seulement en 1884. Dédiée à sainte Anne, la mère de la Vierge Marie, elle présente une toile représentant la première enseignant la seconde avec un livre qu’elle tient dans la main gauche.
L'Education de la Vierge et une partie de l'installation de Vincent Chudeau
C’est cette Education de la Vierge qui a inspiré Vincent Chudeau pour une « installation », riche et complexe. Cet artiste, qui fut professeur d’Arts plastiques dans le lycée privé Saint-Louis de Saumur où j’ai enseigné moi-même, a été sensible au thème de la transmission de la connaissance et du partage de celle-ci. Sur l’autel, il a placé nombre d’ouvrages savants, témoignant d’une quête du savoir au XIX° siècle. Sur le cerclage du poutrage de la chapelle, il a inscrit les mots d’un abécédaire, noms étranges d’animaux aquatiques disparus, noms de demi-dieux, tel Bellerophon…
Les animaux marins de Vincent Chudeau
Vincent Chudeau a encore évoqué la Loire proche par une vidéo montrant des images du fleuve en crue, qui diffuse une lumière bleutée sur les tomettes et deux des pierres tombales de la chapelle. Au mur sont accrochées des illustrations d’animaux marins, transposées en négatifs et insérées dans les photographies de détails de la chapelle soulignant le passage du temps. Avec ce procédé il a aussi reproduit la main de sainte Anne sur le livre, que l’on peut voir sur la toile, motif qui est ici au cœur de son travail artistique.
Les mains de sainte Anne et de Marie sur la toile et sur le négatif créé par Vincent Chudeau
Lorsque l’artiste a entamé son travail, la restauration de la chapelle était en cours. Lors de la remise en place des dalles funéraires, il a eu l’heureuse surprise d’y découvrir des gouttes ou des larmes gravées, subtil écho à sa réflexion sur l’eau et sur le temps. Certes l’ensemble surprend au premier abord, puis, peu à peu, grâce aux explications éclairées de la jeune guide, on est séduit par la manière dont Vincent Chudeau a animé ce lieu. L’art et la manière dont il a associé nature, science et spiritualité laisse le visiteur rêveur et admiratif.
Le prieuré de Saint-Rémy-la-Varenne
Ensuite, quittant le paysage de vignobles pour celui de la Loire, par de jolies petites routes fleuries nous avons atteint le prieuré de Saint-Rémy-la-Varenne. Ce remarquable ensemble, qui va du XII° au XVII°, a bénéficié de travaux communaux de remise en valeur en 1988. La salle capitulaire y a été restaurée après de nombreux aléas, et présente sur son tympan une fresque représentant la Crucifixion.
La Crucifixion de la salle capitulaire de Saint-Rémy-la-Varenne
C’est cette fresque qui a présidé à la réalisation des peintures de Michel Hénocq, présent par un hasard heureux lors de notre visite. Il nous a expliqué que c’est bien la représentation de la mort de Jésus, homme et Dieu, qui a guidé son pinceau. Se référant aux danses macabres qu’il avait admirées autrefois sur les murs des petites églises des Côtes d’Armor, en deux grandes toiles en vis-à-vis, il a fait danser hommes et squelettes de son imaginaire pictural intime. Dans la mort qui tout égalise, au milieu de gibets, d’incendies, de cimetières s’agitent et se démènent des personnages de toutes conditions et de toutes époques. On pourra aussi y reconnaître un chevalier faisant songer au Saint Georges terrassant le dragon, de Paolo Ucello, un évêque, peut-être réminiscence L’Innocent X de Francis Bacon, des souvenirs de Goya ou encore des personnages monstrueux rappelant ceux de Jérôme Bosch. Et implacable, sur la toile de gauche, tourne la roue du supplice ou du Temps. Accompagnant ces deux grandes toiles, on verra aussi une peinture plus ancienne de La Tentation de saint Antoine, et autres squelettes ou diablotins.
Danse macabre de Michel Hénocq sur le mur de droite
Michel Hénocq, tout en admirant les commentaires passionnants de la jeune guide, a souligné que ces toiles peuvent être vues comme la synthèse de tout son travail d’artiste, marqué par l’inconscient collectif et la dérision. Pour ma part, en regardant ses toiles, au trait ferme et torturé, aux personnages grimaçants de damnés, je n’ai pu m’empêcher de penser aux carnavals flamands de James Ensor, ce peintre belge au pinceau expressionniste et fantastique.
Danse macabre de Michel Hénocq sur le mur de gauche
Continuant notre périple, nous avons gagné la voûte protectrice de la petite église de Saint-Pierre-en-Vaux, dressée dans son superbe isolement. Bordée par un charmant cimetière campagnard, cet édifice dont la façade date du XI°, doit sa renaissance à l’archiviste André Sarazin (que je connus autrefois) et à son association, Chapelles et Calvaires.
Eglise de Saint-Pierre-en Vaux
Connue sous le vocable de saint Pierre, cette église évoque surtout saint Barnabé, devenu le saint patron des villageois. Le 11 juin, on y vient en effet en pèlerinage à son intention. Un vitrail très lumineux, réalisé par l’atelier Théophile, le représente et orne encore le dessus de la porte d’entrée.
Vitrail de saint Barnabé réalisé par l'atelier Théophile
Dans le chœur, on peut admirer un retable en tuffeau très sobre, entouré des statues de saint Pierre et de saint François de Sales. Remarquable encore est le retable latéral de la Vierge, édifié en 1639, sculpté d’une seule pièce avec la chaire.
Le retable de l'église Saint-Pierre-en-Vaux
Nous avons passé du temps à écouter les explications architecturales du guide, faute d’œuvres artistiques à contempler. En effet, les toiles de l’artiste Francky Criquet avaient été enlevées suite à une polémique suscitée par les paroissiens de Saint-Georges-des-Sept-Voies, certaines œuvres les ayant choqués. J’ignore tout de ce désaccord et ne peux qu’imaginer la déception de l’artiste qui avait réalisé une création inspirée par ce lieu. Le jeune guide nous a dit qu’il avait suivi le catéchisme en cet endroit précis. Ne dit-il pas à propos de son travail : « Simplement, j’ai retrouvé dans ce projet une folie caressante de souvenirs de mon enfance » ? Toujours est-il que l’association Art et Chapelles a toujours précisé que Francky Criquet avait bien respecté le cahier des charges…
La nef de la chapelle du Bon Pasteur à Saint-Hilaire-Saint-Florent
Il était déjà tard et ce samedi-là, nous n’avons pas terminé le parcours. Le lendemain, je me suis rendue seule à l’ancienne chapelle du Bon Pasteur à Saint-Hilaire-Saint-Florent, plus connue sous le nom de la Sénatorerie. Vestige d’une des plus grandes abbayes bénédictines angevines, celle de Saint-Florent, qui rayonna jusqu’au XVIII° siècle, ce haut lieu fut victime du système de la création des sénatoreries par Bonaparte. Une grande partie des bâtiments fut alors rasée. Ne subsisteront que la crypte et le narthex, transformé en chapelle par la congrégation du Bon Pasteur au XIX° siècle.
Chapiteaux de la nef
On peut y admirer la très belle voûte d’ogive de la nef, retombant sur des chapiteaux au décor sculpté foisonnant et fabuleux. On y pénètre par un arc triomphal, orné de palmettes et de rinceaux. Rosaces et vitraux, datant de la restauration du XIX° siècle, diffusent une douce lumière. J’ai un beau souvenir d’un mariage familial dans ce lieu inspiré !
Saint Florent par Jean Robinet
L’artiste Jean Robinet n’est bien sûr pas resté indifférent à l’histoire mouvementée de cette abbaye. Il propose ici une « installation » historico-géographique, rappelant la vie, les pérégrinations et les miracles du saint. S’inspirant des vitraux de l’ancienne abbatiale de Saint-Florent-le-Vieil et de l’église voisine de Saint-Barthélémy, Jean Robinet a créé un « chemin de vie », en insistant sur les lieux de passage du saint. Son œuvre est d’ailleurs réalisée à partir du fonds IGN autorisé.
Rosace de la nef de la chapelle du Bon Pasteur
L’ensemble est clair, tout en couleurs primaires qui se détachent sur le tuffeau. C’est un peu comme le rêve lumineux de l’abbaye disparue. Associant passé et présent, l’artiste propose une sorte de livre d’images légendaire et instructif. J’avoue cependant que je préfère la superbe tapisserie de saint Hilaire et de saint Florent que j’avais admirée il y a quelques années dans la salle Saint-Jean à Saumur.
Oeuvre de Chantal Verdier-Sablé (Photo du site Art et Chapelles)
Pour achever ce parcours, je voulais me rendre à l’ermitage Saint-Jean à Chênehutte-les-Tuffeaux en bordure de Loire. Le guide m’en a un peu dissuadée, ayant appris par d’autres visiteurs que l’accès en était malaisé à cause d’une foire à la brocante. J’ai donc regretté de ne pas voir les tapisseries de porcelaine de Chantal Verdier-Sablé, sûrement sublimées par ce bel endroit que j’avais déjà visité avec un ami, ancien maire de la commune.
L'ermitage Saint-Jean (Photo du site de la commune)
C’est encore et toujours André Sarazin qui a permis la restauration de cet ancien ermitage, afin de conserver la mémoire de la vie érémitique en Anjou. L’existence d’une chapelle romane y est attestée dès le XII° siècle. Si elle fut d’abord dépendante des moines de Saint-Florent-le-Vieil, elle devint ermitage au XV° siècle sous la seigneurie de Trèves. A cette époque, le lieu est composé d’une grande chapelle, de la maison des ermites, d’une aumônerie ou maison des pèlerins, et d’un enclos. Après destruction et reconstruction diverses, l’ermitage tombe en déshérence à la Révolution.
Le chœur de la chapelle présente les vestiges de peintures murales du XV° siècle représentant le Christ et les anges porteurs de la Passion. On y a posé des tomettes anciennes, l’atelier Théophile y a créé des vitraux dans les tons verts et c’est un de nos amis, le sculpteur François d’Orglandes, qui a réalisé la table d’autel en tuffeau. C’est un endroit tout empreint de sérénité et de spiritualité que j’aime beaucoup.
Au terme de ces parcours toujours stimulants et enrichissants, on ne peut que remercier les organisateurs d’Art et Chapelles de permettre l’association du « patrimoine d’hier et [d]es artistes d’aujourd’hui ».
Sources :
Livret d'accompagnement Art et Chapelles en Anjou
Photos : ex-libris.over-blog.com