Un blog pour lire, pour écrire, pour découvrir et s'étonner. "La Vie a plus de talent que nous" disait Nabokov.
Le 14 octobre, j’avais écrit un petit poème sur une mante religieuse venue chercher la chaleur de la maison sur le seuil de la porte de ma cuisine. J’y évoquais les mœurs cannibales de la dame verte. Je n’avais nullement songé que ce bref poème pût être prémonitoire.
Et voilà que lundi 19, mon petit-fils découvre une autre de ses congénères à l’orée de la porte du salon. Nous nous sommes donc amusés à la placer dans le vase où se trouvait la première afin qu’elle lui tienne compagnie. Certes, tout au fin fond de mon esprit, une petite voix m’avait alertée mais je ne l’avais pas écoutée.
Puis, insoucieux du danger, nous sommes partis faire une balade par les sentiers d’automne. En revenant, quelle n’a pas été notre stupéfaction horrifiée de voir que la première mante avait dévoré la moitié du corps de la visiteuse, n’en laissant sur la feuille de salade que les ailes et l’arrière-train !
Nous n’avions pas identifié précisément les protagonistes de cette tuerie mais, au vu de leur taille, il nous a semblé qu’il s’agissait plutôt de deux femelles que d’une femelle et d’un mâle. Ainsi, il est vraisemblable que l’une, affamée, n’ait point accepté la présence intempestive de l’autre.
Une cruelle leçon de choses pour mes petits-enfants mais qui m’a inspiré cette petite fable !
La Dame et les deux Mantes
Quand octobre survient
Avecque ses matins humides et brumeux,
Ses soleils capricieux et ses ors somptueux,
Les Mantes frissonnantes recherchent la tiédeur
Des maisons où crépite un foyer plein d’ardeur.
Et c’est ce qu’il advint
A la Mante pesante aux trois centaines d’œufs,
Promesse d’héritiers et de printemps heureux.
Elle trouva accueil en une maison forte
Au seuil d’une cuisine et la Maîtresse accorte
Lui offrit un doux havre en un pot de cristal,
Orienté aux rayons d’un soleil automnal.
La Mante jubilait
D’avoir été élue, d’être ainsi admirée
Pour ses grands yeux ardents, ses pattes acérées.
Or il ne dure point
Le temps des préférés et l’Hôte, en bonne mère,
Donna bientôt asile à une congénère.
La première attitrée fut en proie à l’envie,
Sa nouvelle compagne devint son ennemie.
« Que faites-vous ici - dit-elle à l’importune -
C’est moi que Madame aime, je suis la seule et l’une ! »
Dressant ses mandibules, ses vibrantes sensilles,
Ses pattes antérieures effilées en faucille,
Dans le champ clos du lieu, la femelle jalouse
Se jette sur l’intruse : voilà qu’elles en décousent !
Acharnée à tuer, elle coupe, elle hache, cisaille et décapite
Celle qui aspirait à être favorite.
La tête a disparu qui plaisait à l’Hôtesse,
Dévorée toute crue par la verte tigresse :
De la belle n’est plus qu’un tronc mort mutilé,
Pattes déchiquetées et ailes arrachées.
Sans scrupules ni honte et sans remords aucun,
La Mante victorieuse rit à son suzerain.
Moralité
La faveur d’un monarque est toujours exclusive ;
Elle ne tolérera ni ami ni rival.
Quand on veut la garder, foin de bel idéal !
La lutte est sans merci, il faut que mort s’ensuive.