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29 juin 2015 1 29 /06 /juin /2015 18:19
Deux voies poétiques : Christine et Catherine.

 

Par l’intermédiaire d’une relation commune, j’ai rencontré il y a trois mois environ une amie qui écrit de la poésie. Si nos textes sont de  genres et de styles bien différents, nous avons cependant souhaité les faire se rencontrer pour une lecture à voix haute. Jeudi 18 juin 2015, nous avons donc reçu chez moi une quinzaine d’amies pour une rencontre et un partage amicaux.

Si j’ai déjà eu la chance d’entendre certains de mes poèmes dits par des voix amies, lors notamment du Printemps des Poètes 2014 et 2015, pour Christine, c’était la première fois qu’elle dé-voi-lait ses poèmes. Pour l’avoir vécu moi-même, je sais que ce moment est toujours empreint d’émotion. Par ailleurs, c’était pour moi l’occasion de présenter certains des poèmes de mon dernier recueil, Mais l’ancolie… qui vient de paraître chez Mon Petit Editeur.

Aucune thématique particulière n’a présidé à l’ordonnancement des poèmes choisis. Nous les avons simplement disposés en fonction des échos qu’ils ont suscités en nous et des associations qu’ils ont fait naître. Dans l’alternance, la succession ou l’union de nos voix, les poèmes se sont donc succédé deux par deux, les Gymnopédies d’Erik Satie venant en intermède afin d’apporter une respiration bienvenue entre les textes.

 

Depuis Apollinaire, on sait que « Sous le pont Mirabeau/ Coule la Seine/ Et nos amours… ». « Au fil de l’eau » (Christine) nous a dit d’abord le temps qui passe, la danse de la vie :

 

Je t’ai vu grandir

Je t’ai vu grossir aussi

J’ai aperçu tes cailloux

Tes genoux dans l’eau claire de la source

« Sourcier » pourquoi te cacher

Puisque tu as trouvé

Le bonheur « au fil de l’eau » […]

 

« A la verticale de l’été » a été écrit alors que je venais de voir le film éponyme du Viêtnamien Anh Hung Tran qui raconte le destin de trois sœurs :

 

A la verticale de l’été

Trois femmes se déploient

Souples corps de lianes

Orbe bombée de leurs paupières

Sous leurs obscurs cheveux de nuit […]

 

Avec le poème « Cadeau de la vie » (Christine), il s’agit tout simplement de rendre grâce en une forme de « magnificat » :

 

[…] Attendre

Attendre longtemps

Ce bien si précieux

 

Source qui coule

Dans nos veines

Sans trop de peine […]

 

« Le ciel est bleu il fait du vent » m’a été inspiré le 3 juin 2012, un jour de Fête des Mères :

 

[…] Le brun le blond la douce infante

Se sont enfuis comme eau courante

 

Le ciel est bleu il fait du vent

Où sont partis mes trois enfants

 

Miennes amours infiniment

 

« Entre passé et avenir, nous ne possédons que le petit instant présent. » « Une pensée peut-être » (Christine) évoque la beauté de  l’instant :

 

Heure exquise

Etape requise

Espace glycine

Couleur mauve bleutée

Un peu violette

Une pensée peut-être […]

 

« Métamorphose » est un poème qui m’a été inspiré par le vol léger d’un papillon ; il reprend le thème de Psyché :

 

[…] Doux rêve flottant

Mystérieux moment

Mon âme qui ose

Sa métamorphose 

 

La faculté de choisir est sans doute l’expression de notre liberté. Le poème « Aimer choisir » (Christine) dévoile la difficulté du choix :

 

Aimer à l’envers

De travers

Sous couvert

 

Aimer droit

Aimer cœur

Aimer Vers […]

 

Dans La Folle allure, Christian Bobin écrit : « Tu sais ce que c’est la mélancolie ? Tu as déjà vu une éclipse ? Eh bien c’est ça : la lune qui se glisse devant le cœur, et le cœur qui ne donne plus sa lumière […] ». « Mais l’ancolie… » (qui est le titre de mon dernier recueil) propose un jeu avec les syllabes du mot « mélancolie » :

 

Elle

 

L’amie innée

La lente liane

A l’élan las

 

La mal-aimée

L’ancolie calme

Ame en allée […]

 

« Attentat » (Christine) est un texte écrit à chaud (puis revisité) après les attentats de janvier 2015. Il exprime la surprise devant le mal du monde :

 

Attenter à la vie

Ici

Devant Lui

 

Lui l’autre

Pense

Fait la guerre

 

Guerre du papier du dessin

Guerre du feu […]

 

J’ai écrit « Le cœur à Ground Zero » au lendemain du 11 septembre 2011, dix ans après la destruction des tours jumelles. J’avais vu en effet un reportage télévisé qui évoquait la souffrance toujours vive de ceux qui y ont perdu un être cher :

 

[…] Là

C’est désormais le creux

Rectangulaire

Celui de la douleur

Où pleurent

Les eaux du souvenir

Et où celui qui reste

Avec un papier calque

Vient retrouver

Vient caresser

Vient réécrire le nom

De celle qu’il aima

 

Le cœur à Ground Zero 

 

« Ecrire » (Christine) suggère la joie de la lecture et de l’écriture :

 

[…] Une pensée

Une ligne sur le papier

Un stylo levé

Dressé pour mettre un frein à son destin

 

 […] Ecrire

 

Un essaim

Le dessin de l’écriture

 

« Ecrire en ce jardin », composé au cours d’un atelier d’écriture (animé conjointement par un poète et une haptonomiste), suggère que la joie du cœur, née de la joie du corps, est une voie possible vers l’écriture :

 

«Tiens ! Peut-être… Pourquoi pas ?

Diseuses, les larmes au bord de mes paupières ?

Quoi ?

Dans ce labyrinthe de mots et de feuilles

Qui tombent comme neige

Peut-être… […]

 

Ecrire en ce jardin

 

« Bijoux » (Christine) et « Dans ta robe flammée » (Catherine) sont deux poèmes dont le premier pourrait être une offrande au second :

 

Beauté à genoux

 

Biseautés

de petits clous

 

Brillantés de pierres précieuses […]

 

A genoux dans les Cieux

 

« Dans ta robe flammée », c’est Marie-Madeleine, revêtue d’une éclatante robe jaune, dans un tableau de Theodor van Thulden, qui la représente au pied de la Croix :

 

Toi Marie-Madeleine pénitente exaltée

Arrosant de tes pleurs les pieds de l’Inspiré […]

Que n’avais-tu songé dans ta robe flammée

Qu’un jour Il te dirait Noli me tangere

 

« Ce qui compte, c’est la puissance de la joie qui éclate à la vitre de nos yeux. Une apparition, une seule, et tout est sauvé » écrit Christian Bobin dans L’Homme-joie. « La joie » (Christine) et « Echappée belle » (Catherine) sont deux poèmes consacrés à la joie, sentiment de liesse et de plénitude : une joie à retrouver et une autre qui naît de la surprise :

 

Sur la table

Allongée dans le sable

Dans les ruelles de l’étage

Inférieur de ton être

La joie est là […]

 

Sur le sable

Fin léger

Une pensée furtivement

Se glisse

Des petits grains

S’enkystent

La joie revient

 

Et la joie de naître au moment où l’on s’y attend le moins :

 

La cascade surgie des rochers tortueux

Le soleil qui tombe à l’envers de la mer

Le lever de perdreaux par-dessus les maïs

Le cheval hennissant en dehors du licol […]

 

Sublime et frêle

Irrationnelle

Providentielle

Telle est rebelle

En sentinelle

Toujours nouvelle

L’échappée belle

 

Dans L’éternité n’est pas de trop, François Cheng écrit : « Puisque la beauté est rencontre, toujours inattendue, toujours inespérée, seul le regard attentif peut lui conférer étonnement, émerveillement, émotion, jamais identiques. » « Merveille des merveilles » (Christine) en est l’illustration :

 

Touché en plein cœur

L’odeur du bonheur

Délirante de douceur

Se dessine dans l’herbe grise

De ton sourire

 

Merveille des merveilles […]

 

Assis là

Raconte-moi

De surcroît

L’étendue saugrenue

De l’immensité du bonheur

De te trouver « Emerveillé »

 

Qui ne connaît Les Très riches heures du duc de Berry qu’illustrèrent les frères de Limbourg, Pol, Hermann et Jannequin ? « Jean et Ursine » est un poème qui m’a été inspiré par une de leurs merveilleuses enluminures, « L’homme zodiacal » :

 

Ô vous ma belle Ursine dont le corps est d’ivoire

Et dont les cheveux d’or sont reflets de soleil

Vous ma céleste sœur ma jumelle-miroir

Je vous ferai captive dans l’orbe des merveilles […]

 

Du Zodiaque absolu le temps viendra toujours

Et j’y ajouterai l’ours noir et le cygne

Gémeaux nous brillerons à l’éther de l’Amour

Dans la constellation seront Jean et Ursine

 

Les deux poèmes qui suivent pourraient être lus dans les lignes de la main ; ils sont comme deux lignes de vie. Le premier est intitulé « Advenir » (Christine) et le second « Ma vie » :

 

Venir avec

Naître

Jamais seul

 

Ici

Toujours […]

 

Avenir serein

Avenir certain

 

Mentalement

Avènement

 

J’ai écrit ce poème, « Ma vie »,  en pensant aux toiles du peintre scandinave Vilhelm Hammershøi. Il peint des intérieurs blancs où se succèdent des portes ouvertes :

 

Ma vie

Une marche tout au long de couloirs

Blancs

Où des portes s’ouvrent

Sans bruit […]

Ma vie

Une avancée dans les sables mouvants du temps

Comme dans un tableau déchiré

De Vilhelm Hammershøi

 

" Tout objet aimé est le centre d'un paradis" affirmait le poète romantique allemand Novalis. Les deux poèmes qui suivent, « Bien-être » (Christine) et « S’il est un paradis » (Catherine) disent chacun un instant délicieux de paix et de béatitude :

 

Etre bien

Etre là

Assis

Dans l’instant

 

Etre aussi

Avec toi

Avec moi

Avec Lui

Dans l’instant […]

 

Etre là

Bien-être

Etre bien

 

« S’il est un paradis » a été écrit après ma visite des merveilleux jardins du palais Viana à Cordoue.

 

S’il est un paradis

C’est le palais Viana

Où sans fin à l’envi

Je mènerai mes pas

Aux patios parfumés

Où jase à l’infini

Clair et jamais lassé

Le tendre chuchotis

Des fontaines [z] aux losanges

Qu’enivre et que ravit

La senteur des oranges

 

"Le noir est le refuge de la couleur" disait Gaston Bachelard. Les deux poèmes qui suivent, « Gant noir » (Christine) et « Walpurgis » (Catherine) évoquent deux connotations de la couleur noire :

 

C’est un rêve galant

Un gant tendu

Noir […]

 

C’est noir pourquoi

 

C’est noir pour croire

En Toi

 

C’est noir pour dire

Que tu es là

 

C’est noir pour Toi

La nuit de Walpurgis est une fête néo-païenne qui a lieu dans la nuit du 30 avril au 1er mai. Célébrée clandestinement dans toute l'Europe, elle fut identifiée au sabbat des sorcières et c’est cela qui m’a inspirée :

 

J’ai entendu des aboiements

C’était Hécate et ses grands chiens

Qui s’en venaient sur le chemin […]

 

J’ai rêvé la nuit des sorcières

Porte béante des Enfers

La lune ne s’est pas levée

 

Dans l’Antiquité, les mirabilia, ce sont les choses extraordinaires. Mais l’extraordinaire, le merveilleux, n’est-il pas partout pour qui sait s’étonner et admirer ? Les poèmes « Les merveilles » (Chistine.) et « Pour des prunes » (Catherine)  illustrent cette faculté du regard naïf :

 

Peut-on parler de merveille

A un être surdoué

 

Peut-on parler de merveille

A l’oiseau enchanté […]

 

Peut-on compter merveille

A qui aime la pâtisserie

 

Petite merveille

De notre enfance

Réjouis-toi d’être un délice

Pour la langue et le palais

 

Et puisque nous étions dans la confiserie… nous y sommes restées en faisant des confitures de prunes !

 

Pruniers en ligne

Dans l’été qui meurt

En meules de foin

Et vignes mûries […]

 

Alchimie du feu

Et transmutation

Rondeurs lie-de-vin

En sirop lilas

 

Géométrie calme

Des pots bien rangés

Sur les étagères

 

Tout ça pour des prunes !

 

" Le poète, c'est l'homme attentif à des riens" disait Jacques Chardonne  dans une « Lettre à Roger Nimier ».  « Poète en herbe » (Christine) nous le dit aussi :

 

Avenir incertain

Mais divin

C’est pour Toi

Poète de surcroît […]

 

Poésie recouverte

Poésie étroitesse

Oblige la poétesse

A transmettre

Sans le couvercle

Le délice du dedans

 

Poète en herbe

Poétesse qui désherbe

 

Selon moi, l’écriture d’un poème se réalise souvent dans un dialogue intime avec soi-même et loin du monde. Elle naît dans « Les terres de ma solitude » :

 

Dans les terres de ma solitude

Les empreintes de mes pas ont disparu

Le son de ma voix a décru […]

 

Dans les confins de ma solitude

Je me love aux tréfonds de moi-même

Pour que bruisse farouche un unique poème.

 

Le canapé est un objet prosaïque du quotidien. Mais il peut inspirer le poète ! Confortable, il a suggéré à Christine « Un rêve sur canapé » :

 

Assise reposée

Heureuse

Soirée délicieuse

Profiter

Bonheur approuvé

Un rêve sur canapé […]

 

Porteur de rêves

Sur canapé allongé

 

Le poème « Couchée » (Catherine) est une rêverie sur tout ce temps de la vie où l’on est allongé…

 

La nacelle d’osier où l’on me déposa

Et le petit lit bas de l’enfance muette

Le si grand lit carré de la jeune mariée

Une ancienne chanson […]

 

Il y aura un temps

Je les retrouverai

Je m’y endormirai

Dans mon  lit de verdure

 

Les peintres savent bien que la peinture est toujours une forme de tempête et d’orage. Le poème « Peindre » écrit par Christine, elle-même peintre, s’attache à le dire : 

 

Si joliment posé

Là sur la toile

Le dessin de la vie

L’émotion du moment

 

Peindre à l’encre bleue

De tes yeux

Peindre en simple lieu

De tes creux de mains […]

 

Peindre souvent dans le vent

Sous la pluie à midi

Juché sur un lit au milieu des Iris

Mais peindre « peindre » encore les Myosotis

 

« Regard dans La Tempête » est une songerie sur la toile du Giorgione, La Tempête, qui est un de mes tableaux préférés :

 

Je suis

A Venise à L’Académie

Devant

La Tempête du Giorgione

 

Sur des cieux d’un bleu de cobalt

Tel un serpent brille un éclair

La ville blême s’illumine

Un oiseau rit sur un toit gris

Des feuilles dansent au firmament

Des arbres verts vibrent au vent

Un pont de bois regarde l’eau

Des ruines crient leur solitude […]

 

Et moi

Je voudrais m’ensommeiller là

En l’intime des éléments

Dans ce lieu vert et utopique

Etre la femme et son enfant

Que l’homme enfin regarderait

De son œil d’amant lumineux

Sous le plombé d’un ciel d’orage

 

“La peinture est une poésie qui se voit au lieu de se sentir et la poésie est une peinture qui se sent au lieu de se voir » disait Léonard de Vinci. Peinture et poésie ne sont-elles pas deux manières de célébrer la beauté du monde ?

Avec cet écho pictural s’est achevé ce moment poétique, qui nous a permis à Christine et à moi-même de lancer notre modeste appel du 18 juin en faveur de la poésie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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commentaires

N
Délicieux partage, merci.
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C
Merci, Nuage Neuf, dont je viens de découvrir le nouveau blog. A bientôt donc.
M
Echanges poétiques ou l'amour, le temps qui passe, les enfants, les odeurs, les voyages... Tout est analysé, et chacune à sa manière rappelle que les mots sont de vrais passeurs d'âme!
Répondre
C
Une petite pause poétique et amicale dans le quotidien des jours, appréciée de nos amies. Amitiés.

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Voie lactée ô soeur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses

 

La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

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