Samedi 21 mars 2015, à 18 h, dans le cadre du Printemps des Poètes, la MJC de Saumur accueillait le groupe d’amateurs de poésie auquel j’appartiens pour une lecture à sept voix. Les textes, en lien avec le thème de l’Insurrection poétique, ont été dits avec conviction et passion, séparément, ensemble, à voix alternées et ils ont été aussi chantés. Nous étions accompagnés par notre fidèle guitariste Ahmed Kéchi et par un ami qui joue du violon baroque. Bernard Faucou, administrateur de la MJC, les a aussi rejoints spontanément avec sa guitare.
Dans notre désir de mettre les mots à l’honneur, nous avons commencé notre lecture avec « Démasquons les feux » (un texte inédit), une exhortation dense à une épiphanie du monde, écrite par un de nos diseurs, François Folscheid : « […] capturons les en-deçà noirs, sabotons le jour, et créons une lumière nouvelle. »
Edith a dit le flamboyant pouvoir des vocables, exalté par Henri Lachèze dans Feux du cœur : « Les mots, ce ne sont que des mots, du vent peut-être
Mais caressez les mots, ils deviendront berceuses
Eperonnez le vent, il deviendra tempête. »
François a fait entendre la voix d’André Doms, extrait de Sérénade, qui décrit la « pierre de seuil », aux lisières de la torture et du rayonnement tandis que, par la voix de Dany, « Les point sur les i » de Luc Bérimont nous transportait dans la métamorphose magique des mots : « Je te promets qu’il n’y aura pas d’i verts… »
J’avais choisi le beau portrait du poète que Maria Tsvetaeva brosse dans Insomnie et autres poèmes. N’est-il pas l’homme « qui brouille les cartes, celui « dont on a tous perdu la trace » et dont la « voie » n’est « pas dans les calendriers » ?
Véronique en a proposé l’illustration éclatante avec le poème de Dany Lecènes, une de nos diseuses. « Par la fenêtre circassienne », le poète qu’elle est a « saigné à [l]a misère » de l’homme, a « défié sa nature vile » mais a reconnu en lui un être capable de s’éveiller au « galop des anges » et à la beauté de l’aurore.
Avec « Témoigner » de Philippe Boursin, Claude a souligné l’humilité choisie de celui qui n’aspire plus qu’à se « laisser écrire »/ pour témoigner/ d’une possible trace ».
Pour clore ce premier temps, dans une belle ronde cacophonique, Edith et Claude ont entrechoqué les joyeux jurons gaulois de Maître Rabelais et de Georges Brassens.
Une deuxième période a donné la parole aux femmes, surtout celles qui sont opprimées. J’ai d’abord dit un de mes poèmes, « Rond de ciel » (à paraître bientôt dans un prochain recueil). J’y évoque le puits profond et noir de la condition féminine, et pourtant : « […] du plus profond de l’eau/ En haut sur la margelle/ Elle voit un rond de ciel ».
Les cinq femmes ensemble, puis les deux hommes de concert, nous avons fait revivre l’existence douloureuse et courageuse de « la femme qui casse les briques » de Talisma Nasreen (Femmes, poèmes d’amour et de combat).
« […] La femme elle-même devient une brique.
Plus dur que les briques, le marteau peut casser une brique
Mais ne peut pas casser la femme.
Rien, ni la chaleur du soleil, ni le ventre vide, ni le regret de ne pas avoir
Un toit en tôle,
Rien ne peut la briser. »
J’ai ravivé le sort terrible et infamant des femmes tondues à la Libération, avec le poème d’Eluard, si plein de compassion, « Comprenne qui voudra ». Celui-là même que Georges Pompidou avait cité spontanément de mémoire, à l’annonce du suicide de Gabrielle Russier :
« […] Moi mon remords ce fut
La malheureuse qui resta sur le pavé
La victime raisonnable
A la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue […] »
Véronique a de nouveau convoqué les mots dénonciateurs de Talisma Nasreen avec « Femmes marchandises », qui fustige la sujétion de la femme soumise au bon vouloir du mâle :
« […] Ce modèle femelle est à utiliser comme bon vous semble !
Libre à vous de lui enchaîner les pieds ou les mains,
De lui enchaîner l’esprit. […] »
Les mots de Guy Chambelland, quant à eux, ont souligné avec force et pudeur le martyre quotidien de la femme battue, toujours tentée par l’espoir d’une rémission :
Car après les coups,
« […] Il se penche, il l’embrasse avec la douceur extrême de l’enfant
qui dort dans les brutes.
Elle reprend espoir
Il oubliera vite. »
Pour détendre un peu l’atmosphère, Edith a fait heureusement sourire l’auditoire, en disant de mémoire « Pétronille » de René de Obaldia, extrait de Innocentines. Elle en a de la personnalité, cette petite fille, un brin garçon manqué !
« […] Non Maman, pas ma robe, je veux mon pantalon
Ma ceinture de cuir, mon colt, mes munitions
Je vais faire un hold-up
A Plessis-Robinson. »
Je dois avouer que la transition était malaisée avec les sept textes suivants qui traitaient de la guerre ! Mais nos musiciens ont su trouver la musique qui nous a permis d’évoluer sans heurts d’une tonalité à l’autre.
C’était en effet à mon tour de dire le poignant poème d’Aragon, « Chanson pour oublier Dachau » (Le Nouveau Crève-Cœur). Les mots du poète résistant y évoquent avec un lyrisme tout en retenue l’impossible retour à la vie des déportés, à jamais incompris, qui connurent la « conscience de l’abîme » :
« […] Oh vous qui passez
Ne réveillez pas cette nuit les dormeurs »
Et c’est tout naturellement qu’Edith a pris le relais avec « Le dormeur du val » de Rimbaud, dont chacun a en mémoire le dernier tercet :
« […] Les parfums ne font pas frissonner sa narine :
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. »
Dans cette perspective d’une mort imminente, Françoise a ressuscité les instants vécus pleinement par « l’évadé » de Boris Vian. Entre la fuite loin de la colline et « l’abeille d cuivre chaud » qui soudain le foudroie, s’est tenu le véritable espace de sa courte vie :
« […] Le temps d’atteindre l’autre rive
Le temps de rire aux assassins
Le temps de courir vers la femme
Il avait eu le temps de vivre »
Avec les alexandrins de « Demain » (1942), de Robert Desnos, le poète mort à Theresienstadt, Dany a rappelé l’espoir qui aide à vivre en temps de guerre :
« […] Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent. »
Avec « Saint George Dobeliou Bush » de Pierre Lartigue, Véronique a évoqué les causes de l’intervention américaine en Irak et les mensonges des politiques :
[…] La preuve glisse sous la table :
On a menti. Chacun savait.
Le silence est épouvantable.
Six mille morts pour une fable
Et une terre ingouvernable !
Ah qui se sent morveux se mouche !
Les dragons sortent de la bouche
De Saint George Dobeliou Bush. »
Dans une veine plus discrètement mélancolique, Dany a fait danser la « Gigue » de Luc Bérimont. Elle est celle d’une jeune institutrice dont le fiancé est mort à la guerre :
« […] C’est un très grand malheur quand on n’en compte qu’un.
Crève le ciel d’orage et meurt la bergère
C’est avec nos cœurs sourds que nous dansons la guerre. »
Pour achever cette troisième partie, nous avons dit à plusieurs et alternativement mon poème « Aux innocents massacrés » (Vers rêvés). J’y évoque l’enfance victime de la guerre et du mal à travers le monde. Tout enfant n’est-il pas Abel ?
[…] Lui c’était Caïn
Moi c’était Abel
Yahvé m’agréait
Mon frère m’a tué […] »
C’est toujours une émotion particulière d’entendre les mots que l’on a inventés dans le secret prononcés à haute voix et j’en remercie vivement mes amis.
Nous avons ensuite dit des textes sur le thème de la révolte. J’ai entamé avec « Cauchemar » (Une syllabe de sang) de la poétesse sud-africaine Antjie Krog, qui a dénoncé les horreurs de l’Apartheid. Ce poème inscrit l’acte de l’écriture dans une révolte de tout le corps et de tout le décor :
« […] j’écris parce que je suis furieuse »
Alternativement puis ensemble, nous avons fait entendre le cri d’orgueil et de révolte des esclaves noirs à qui Aimé Césaire restitue la parole dans Cahier d’un retour au pays natal :
« […] debout dans les cordages
debout à la barre
debout à la boussole
debout à la carte
debout sous les étoiles
debout
et
libre […] »
François a dit « La révolte » (Les Flambeaux noirs) de Emile Verharen, poème dans lequel le poète s’identifie de manière hallucinée aux « gueux » et aux « déracinés », ceux qui n’ont plus d’espoir que dans leur désespoir :
« […] C’est l’heure – et c’est là-bas que sonne le tocsin ;
Des crosses de fusils battent ma porte ;
Tuer, être tué ! – Qu’importe !
C’est l’heure.
Avec le septième poème des Premiers Chants de l’homme, Claude a rendu hommage à Marcel Martinet, ce poète anarchiste qui vécut la fin de sa vie à Saumur. On y entend les errances d’un « cœur en révolte », tout plein de l’amour de ses semblables :
« […] – Ô compagnons tendus vers le jour qui renaît,
Renierez-vous ce cœur si multiple et si lourd,
Votre cœur plein d’amour et que nul ne connaît ? »
Claude, toujours, avec un inédit intitulé « Qu’ai-je appris ? », a fait entendre la voix tout à la fois inquiète et sereine de Philippe Boursin :
« […] qu’apprendrai-je de ma mort
quand le souffle glissera
une dernière fois
entre mes lèvres blêmes ?
alors, peut-être,
l’ombre la lumière la vie
m’enseignera. me nommera m’habitera »
Nous avons ensuite chanté tous ensemble « Le chant des partisans », composé par Anna Marly, Maurice Druon et Joseph Kessel. Ce chant célèbre, largué par la Royal Air Force sur la France occupée, et écouté clandestinement, devint le signe de reconnaissance de la Résistance et connut un succès mondial. Tout le monde est en effet capable de le fredonner :
« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ? »
Enfin, pour achever cette quatrième partie, Claude a dit deux poèmes de Abdellatif Laâbi, extraits de Tribulations d’un rêveur attitré. « Ce n’est pas une affaire d’épaules » souligne le courage des hommes, « ces roseaux humains », dont les « corps lardés » deviennent « autant de flûtes » pour jouer « la symphonie de la résistance ». « Ruses des vivants », en une forme d’examen de conscience inquiet, invite chacun à s’interroger sur ses manques, ses faiblesses, ses mensonges afin de s’extraire du « néant de la vie ».
Nous avons poursuivi cette lecture avec des textes empruntés au quotidien le plus banal. Celui de Georges Brassens d’abord, dont nous avons chanté « Le temps ne fait rien à l’affaire » :
« Quand ils sont tout neufs
Qu’ils sortent de l’œuf,
Du cocon,
Tous les jeun’s blancs-becs
Prennent les vieux mecs
Pour des cons […] »
Dany a célébré la banale cérémonie du trottoir, celle de Dominique Sorrente, qui laisse la porte ouverte à la contemplation. « Le balayeur du dimanche » y laisse les feuilles « s’allonger sur le dos/ sur le tapis d’or d’octobre », la pelle s’y repose, « bien au chaud dans son abri » et « tout ce petit monde » prend « le temps de s’arrêter/ pour regarder passer/ le vol somptueux des oies blanches ».
Claude a slamé « Saint-Denis » de Grand Corps Malade, ode moderne à la ville de son enfance :
« J’voudrais faire un slam pour une grande dame que j’connais depuis tout petit
J’voudrais faire un slam pour celle qui voit ma vieille canne du lundi au samedi
J’voudrais faire un slam pour une vieille femme dans laquelle j’ai grandi
J’voudrais faire un slam pour cette banlieue nord de Paname qu’on appelle Saint-Denis […] »
Dany a de nouveau rendu hommage à Luc Bérimont, en disant son dernier poème inédit, « La Tentation du requiem ». Il s’agit d’une très belle supplique à Dieu, à l’approche de la mort :
« Pitié, Seigneur ! aussi pour Vous
Qui nous cherchez dans la ténèbre
Que la route, en son dernier bout
Pure et droite, parmi les houx
Dorée de lune en son décours
Survolée de l’Ange aux trompettes
Soit celle qui mène à la fête
Eternelle de votre Amour. »
Et Véronique a donné la parole à tous ceux qui sont « en fin de droits », avec un extrait du texte du même nom de Yvon Le Men :
« Emploi
avant j’avais un métier
maintenant j’ai un emploi
m’a dit un jour
un paludier
dont le sel brillait encore en blanc dans ses yeux
un employé qui ploie
comme le roseau
contre les mauvaises nouvelles du chômage […]
Enfin, pour mettre le point d’orgue à notre lecture, nous avons dit alternativement, en les enchaînant, les vingt-et-une strophes de « Liberté » (Poésie et Vérité) d’Eluard. Œuvre majeure de la poésie de la Résistance, cette éloquente litanie ne peut que trouver un écho en nous dans les temps dangereux que nous vivons, qui voient la liberté d’expression grandement menacée :
« […] Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté. »
Nous sommes reconnaissants à la MJC de Saumur qui nous accueillis pour ce partage en poésie et l’apéritif amical qui s'en est suivi. Nous remercions aussi la quarantaine d’auditeurs qui nous a écoutés et nous a réservé un accueil indulgent. Merci encore à l'historien Jacques Sigot qui nous a offert en lecture un de ses poèmes sur la guerre et à un autre auditeur qui nous a dit plusieurs poèmes, dont certains ont été à l'honneur dans la défunte émission de Daniel Mermet, Là-bas si j'y suis. Nous espérons aussi que cette lecture leur aura donné l’envie d’aller retrouver les textes de ces poètes debout, qui se font les hérauts d’une vie insoumise et toujours plus intense.