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14 mars 2015 6 14 /03 /mars /2015 15:24

 

Mercredi 11 mars 2015, Anne Faucou et Gino Blandin ont fait découvrir aux Saumurois le poète pacifiste et révolutionnaire, Marcel Martinet. En effet, dans le cadre du Printemps des Poètes, en partenariat avec Saumur, Ville d’art et d’histoire et la Bibliothèque-Médiathèque de Saumur, ils ont évoqué tour à tour ce poète méconnu, qui a terminé sa vie à Saumur. Leur communication était par ailleurs entrecoupée par des lectures de textes, dits par Sophie Sassier.

C’est d’abord Gino Blandin, écrivain et président de Sciences, Arts et Lettres du Saumurois, qui a retracé la biographie de ce poète méconnu. Né à Dijon le 22 août 1887, il est le fils d’un préparateur en pharmacie et d’une directrice d’école primaire. Il perd son père alors qu’il a douze ans et fait ses études au lycée Carnot de Dijon. Après sa khâgne à Louis-le-Grand (on voit une belle photo de lui en dandy devant ce grand lycée), il entre à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm en 1907. Renonçant à passer l’agrégation, il obtient un poste de rédacteur à l’Hôtel de Ville de Paris, période à laquelle il se lie avec Louis Pergaud. Il épouse Renée Chervin dont il aura deux enfants, Marie-Rose et Jean-Daniel.

Il publie dans de petites revues comme L’Ile sonnante et fait paraître sa première œuvre poétique, intitulée Le Jeune homme et la vie (1911). C’est un recueil intimiste dont Sophie Sassier nous a lu « Le Vigneron » qui, s’il est de Bourgogne pourrait aussi bien être de Saumur : « Nos filles de la côte ont le vin dans le sang… »

Collaborateur de Jean-Richard Bloch dans L’Effort libre, en 1913, il y fait paraître un texte intitulé L’Art prolétarien où il précise les fondements d’une littérature prolétarienne. Intéressé par les problèmes sociaux,  il rencontre les rédacteurs de La Vie ouvrière, le journal de la CGT, et surtout Pierre Monatte, son créateur, en 1909. Sympathisant plus que militant, il rêve d’un socialisme différent et fréquente le local de la rue de Jemmapes. En juillet 1914, alors qu’il est profondément pacifiste et que se profile la guerre, il demeure désemparé devant le vote des crédits de guerre par la majorité des syndicalistes socialistes. Comme Lénine, il « n’en revient pas ». Ce dernier ne pardonnera pas ce reniement du SPD allemand qui consacre la faillite de l’Internationale ouvrière (dite Internationale socialiste ou Deuxième internationale), qui avait été créée en juillet 1889.

En communion d’idées avec Romain Rolland (1866-1944), qui vient de faire paraître Au-dessus de la mêlée, il entame avec ce dernier une correspondance suivie. Exempté pour raison de santé (il souffrira du diabète sa vie durant), il participe à la conférence de Zimmerwald, du 5 au 8 septembre 1915.  L'objectif de la conférence était de rassembler les socialistes fidèles à l'internationalisme et de lutter contre la guerre et contre le triomphe du chauvinisme et du militarisme dans la social-démocratie.

Désireux de reconstruire une Troisième Internationale, Marcel Martinet souhaite une union et  des travailleurs contre la guerre et le capitalisme. La lecture d’un extrait (daté du 30 juillet 1914) de son œuvre poétique Les Temps maudits nous a montré cet engagement :

[…]

Ô pauvre ouvrier, paysan,

Regarde tes lourdes mains noires,

De tous tes yeux, usés, rougis,

Regarde tes filles, leurs joues blêmes,

Regarde tes fils, leurs bras maigres,

Regarde leurs cœurs avilis,

Et ta vieille compagne, regarde son visage,

Celui de vos vingt ans,

Et son corps misérable et son âme flétrie,

Et ceci encor, devant toi,

Regarde la fosse commune,

Tes compagnons, tes père et mère…

Et maintenant, et maintenant,

Va te battre.

Après avoir informé Pierre Monatte du résultat de la conférence de Zimmerwald, Marcel Martinet participe aux travaux de la Société d’études documentaires et critiques sur les origines de la guerre. Il fréquente aussi avec sa femme le groupe des Femmes pacifistes de la rue Fondary. Proche des socialistes russes en exil, il rencontrera Trotski (1879-1940) entre 1914 et 1916. Ce dernier en fera un beau portrait : « Je connus Marcel Martinet avant tout en qualité de révolutionnaire, et plus tard seulement en qualité de poète. Aux réunions d'une poignée d'internationalistes, quai de Jemmapes, dans le local de la Vie ouvrière d'alors, Marcel Martinet était peut-être bien le plus silencieux. Il prenait place à l'extrémité de la table, non point seulement, peut-être, par modestie, mais pour avoir un poste d'observation plus avantageux : l'artiste vivait en lui côte à côte avec le révolutionnaire, et l'un et l'autre savaient agir avec ensemble. Une magnifique barbe soyeuse semblait ne servir qu'à mieux souligner la limpidité enfantine des yeux. L'air contemplatif de l'artiste se réchauffait de la flamme cachée du rebelle. Sous la douceur du regard se devinaient la profondeur et la fidélité. Toute sa personne respirait la simplicité, l'intelligence, la noblesse d'âme. »

Le poète est alors surveillé en tant que pacifiste et il est victime de sanctions administratives : en 1917, on le déplace de la Direction de l’enseignement primaire à une autre Direction. On lui reproche aussi sa correspondance avec Michel Alexandre, « pacifiste des plus dangereux ». Les Temps maudits, poèmes écrits sous son vrai nom, sont interdits en France et publiés en Suisse. Ils sont recopiés à la main et circulent dans la clandestinité. En mai 1917, Romain Rolland et lui-même rendent hommage à la révolution de février avec le Salut à la Révolution russe, édité à Genève par la revue Demain.

En 1918, il lance le journal La Plèbe qui rassemble ceux qui sont restés fidèles à l’internationalisme. Romain Rolland y écrit quelques articles mais le journal ne résistera pas à la censure et disparaîtra. Marcel Martinet suit alors avec passion les débuts de la nouvelle Russie soviétique et s’attache à lutter contre les campagnes d’intoxication menées par la grande presse. Il appartient au Comité pour l’adhésion à la IIIème Internationale. En 1920, à l’issue du Congrès de Tours, est créé le Parti communiste auquel il adhère.

En 1921, Amédée Dunois fait de Marcel Martinet le directeur littéraire de L’Humanité.  Il y écrit de nombreux articles en compagnie du poète Georges Chennevière, du critique d’art Jacques Mesnil et du traducteur Maurice Parijanine. En charge de la critique dramatique, il s’y montre tout à la fois esprit libre et révolutionnaire. Fortement marqué par Walt Whitman (1819-1892, il encourage Henry Poulaille et l’écrivain roumain Panaït Israti (1884-1935). En 1921, il écrit une série d’articles sur la culture et l’éducation de la classe ouvrière qui seront réunis en 1935 sous le titre de Culture prolétarienne.

Si Marcel Martinet resta toujours en dehors du dadaïsme et du surréalisme, il rencontra néanmoins André Breton quand ce dernier sollicita sa signature pour un Appel à la lutte (10 février 1934), destiné à unir toutes les forces contre le fascisme montant. On notera de plus qu’aux côtés de Dorgelès (Les Croix de bois), il eut sa place, avec La Maison à l’abri, dans la sélection du Goncourt qui fut attribué à Proust pour A l’ombre des jeunes filles en fleurs, en 1919.

La radicalisation du bolchévisme et sa santé déclinante entraînent un éloignement de Marcel Martinet du Parti communiste. En 1924, il renonce à écrire dans L’Humanité mais se consacre à une écriture plus personnelle, marquée par sa préoccupation pour le peuple et les conflits de classe. Son recueil de poèmes, Les Chants du passager, paraît en 1934 et il poursuit son œuvre dramatique : La Nuit (1921) est créée à Paris et elle voyage en URSS et au Japon. Elle sera suivie de La Victoire, en 1937, et des Chefs, sa dernière pièce qui ne sera jamais montée. Il écrit encore une adaptation pacifiste de Polyeucte, montée à Paris en octobre 1930.

En 1929, Jean-Richard Bloch, le directeur littéraire de la revue Europe, fait entrer Marcel Martinet comme lecteur dans la maison d’édition Rieder. Il y encourage les œuvres novatrices et souhaite faire connaître Louis Pergaud, Eugène Dabit, Henry Poulaille, Charles Plisnier. Il projette une Histoire du mouvement ouvrier, à laquelle Gallimard s’intéressa mais qui ne vit pas le jour. En 1933, il prend fait et cause pour Victor Serge qui dénonçait les excès du stalinisme, et avait été condamné à la déportation. L’Affaire Victor Serge date de 1933.

Marcel Martinet quitte les éditions Rieder en 1934. Il se rapproche d’Alfred Rosmer, historien du mouvement ouvrier, de Maurice Chambelland, partisan du syndicalisme révolutionnaire. Ils débattent de sujets politiques, dénoncent le colonialisme et luttent pour un retour aux sources du communisme (Civilisation française en Indochine, 1936). Le témoignage de Pierre Monatte met en valeur la fidélité de Marcel Martinet à ses idéaux : « Je n’en ai vu qu’un seul, c’est Martinet […] il reste fidèle à ses Temps maudits. »

A cette époque, le poète correspond avec la philosophe Simone Weil et l’écrivain Stefan Zweig et il exprime l’idée d’aller travailler en usine. L’aggravation de sa maladie, le diabète, par la tuberculose l’en empêchera. Il est hospitalisé dans une clinique de la banlieue de Strasbourg. En 1938, sa femme, enseignante, ayant été nommée à Saumur, ils s’y installent au 14, boulevard Louis Renault. Près des prairies du Thouet, Marcel Martinet y vivra en compagnie de ses amis Gabrielle et Louis Bouët, militants syndicalistes révolutionnaires, et du groupe des Amis de l’Ecole émancipée. Cependant, la guerre le trouvera fatigué et malade et il dira : « Je souhaite mourir assez vite. Ca suffira comme ça ! » Il meurt le vendredi 18 février 1944, à 56 ans, d’une congestion pulmonaire. Il est enterré au cimetière de Saumur et c’est le peintre Gaston Pastré qui réalise la stèle qui surplombe sa tombe.

En 1970, se crée l’association des Amis de Marcel Martinet. Après trois assemblées et l’inauguration d’une plaque, l’association est dissoute. A Dijon, en novembre 1972, une exposition est organisée en sa mémoire et une rue à son nom est inaugurée. Le 13 novembre 1981, se tiendra encore un colloque sous l’égide d’Henri Frossard, qui avait épousé Camille Bouët, la fille des amis de Marcel Martinet.

Après la présentation précise de la biographie de Marcel Martinet par Gino Blandin, Anne Faucou a pris la parole pour une approche plus intimiste de ce poète pacifiste. Grâce à l’aide de documents découverts dans les archives et de photos envoyées par une des petites-filles de Marcel Martinet, Anne Faucou a évoqué ce poète qui fut malade sa vie durant. C’est en effet un grand diabétique qui arrive à Saumur en 1938. Elle nous a rappelé que cette maladie n’était en partie soignée que par une diète stricte jusqu’à la découverte de l’insuline dans les années 20. Diagnostiqué en 1923, Marcel Martinet, sous la menace permanente du coma diabétique, et tuberculeux de surcroît, n’en était pas moins à l’écoute du monde, « du fond de [son] ermitage ». Cet « esprit fin et cultivé » aimait à promener son chien sur les bords du Thouet, en contrebas de sa maison, et à bavarder avec Robert Amy, pacifiste lui aussi et franc-maçon.

Anne Faucou nous a rappelé qu’à la veille de la guerre, Saumur est une ville semi-rurale de 17 000 habitants. Outre les activités liées au vin, on y trouve les industries de la bijouterie, des chapelets, des masques. En 1936, elle compte 1 300 militaires et la Cavalerie lui confère un vernis aristocratique et mondain.

On y rencontre la frêle silhouette de Marcel Martinet, vêtu d’une grande pèlerine et coiffé d’un chapeau gris. Sa vie quotidienne est faite de restrictions, de méfiance ; à cause de ses idées pacifistes, il est toujours surveillé par la police et s’attend à être arrêté d’un jour à l’autre. L’avenir s’assombrit et ceux dont il a partagé les convictions disparaissent : Trotski est assassiné au Mexique (21 août 1940) et Zweig se suicide au Brésil (22 février 1942).

La fin de la vie de ce poète, aux ancêtres piémontais militants et aux parents républicains anticléricaux, fut ainsi marquée par la tristesse de deux guerre. Il écrira : « Les hommes contre les hommes, l’épouvantable sottise de ces morts, de ces blessures […], de tout […], début août, je ne crus plus en rien. »

Le roman de Marcel Martinet, Le Solitaire, dont la publication sera posthume (1946), présente de nombreux caractères autobiographiques. Son personnage, Pascal Rabutin, lui ressemble et lui permet de transmettre sa vision de l’humanité. L’auteur lui fait dire : « Dans mon destin banal et étrange [on trouve] quelques traces sensibles de la belle aventure humaine. » Il y propose une vision de l’amour, « excuse et raison d’être au monde »,  qui est loin d’être éthérée. Le héros vit en effet une aventure amoureuse avec Adrienne et frôle l’inceste avec sa tante Jacqueline. Mais son grand amour sera Paola avec qui il vivra un amour charnel passionné pendant deux semaines. Paola sera tragiquement assassinée par son frère. Quant à Pascal Rabutin, il mettra fin à ses jours. Ce roman est l’occasion pour l’auteur de nous proposer une analyse fine des sentiments partagés et de belles descriptions de la nature. Par ailleurs, on y perçoit ce souhait de « maintenir la foi en les hommes ».

La communication d’Anne Faucou a été illustrée de nombreuses photos, notamment de Marcel Martinet avec son épouse, Renée Chervin. Marcel Martinet dira : « Le dévouement entre époux n’est pas un attribut mais un devoir. » Les témoins évoquant Renée Martinet soulignent « [sa] distinction, [son charme] et [son] autorité ». Née à Moulins, elle fut diplômée de l’Ecole de Jeunes Filles de Sèvres. Ensuite, elle sera chargée de cours puis d’enseignement. On  a dit d’elle qu’elle était « un véritable chef d’œuvre  d’adaptation et de maïeutique », beau compliment pour une enseignante. Atteinte elle aussi de la tuberculose, elle demeura à Saumur jusqu’en 1950 et mourra à Paris le 21 octobre 1973.

Anne Faucou nous a précisé que Marcel Martinet était mort le même jour qu’Anne Marie Timoléon François de Cossé, 11e duc de Brissac, qui habitait rue du Temple. Ils furent enterrés le même jour. La célébration pour le duc de Brissac eut lieu en l’église Saint-Pierre, en présence de l’aristocratie angevine et des membres des sociétés des courses hippiques qu’il animait. La sépulture de Marcel Martinet se fit au cimetière de Saumur, dans l’intimité d’un milieu plus littéraire.

Anne Faucou a conclu cette conférence en évoquant les enfants et petits-enfants de Marcel Martinet. Son fils Jean-Daniel fut toute sa vie au service des gens en difficultés. Après un accident de tramway, à l’origine de l’amputation d’un pied, il se tourna vers la médecine et la chirurgie. Père d’une fille nommée Claire, il est mort à Pétra en janvier 1976. C’est lui qui a formé sa nièce Françoise, la fille de sa sœur Marie-Rose, devenue un des premiers chirurgiens-femmes dans le traitement des varices.

Agée de 75 ans, cette dernière avait joint par téléphone Anne Faucou, peu de temps avant la conférence. Elle lui a fourni des documents par Internet, et notamment une chanson de son grand-père, mise en musique par Gérard Pierron. Elle lui a raconté ses souvenirs, les Noëls passés avec Louis Pergaud, ses rencontres avec la femme d’Albert Camus et la petite-fille d’Emile Zola.

Au terme de cet entretien, on retiendra de ce poète pacifiste et révolutionnaire qu’il demeura toujours fidèle à ses engagements, qu’il aima le peuple « sans le leurrer » et qu’il fut cet « ange révolté qui dit non » (La Plèbe, 1918).

 

Lire un poème de Marcel Martinet: "Ô on coeur de désir et d'ombre" :

http://www.google.de/imgres?imgurl=http://www.pleinchant.fr/revue/imagesrevue/1975martinet.jpg&imgrefurl=http://www.pleinchant.fr/revue/pagesplus/martinet75no26.html&h=220&w=1

 

Cette conférence était suivie de la diffusion du film de Joseph Losey, L’assassinat de Trotski (1971), avec Alain Delon, Richard Burton et Romy Schneider, à la Bibliothèque-Médiathèque de Saumur. Le film retrace les derniers mois de la vie du révolutionnaire russe au Mexique, assassiné sur ordre de Staline.

 

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commentaires

E
Voilà un grand poète méconnu et merci pour ton article très intéressant ! . Bonnes fêtes de<br /> Pâques à toi et à Alain , je vous embrasse ,
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C
Un poète des humbles. Je t'appellerai bientôt, après toutes mes pérégrinations.

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