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15 avril 2010 4 15 /04 /avril /2010 15:14

 

P1000322

 

Dans le carnet de poésie de ma grand-mère, au milieu d’une page, une main inconnue, qui signe CR dans un élégant arrondi, a dessiné d’une main ferme au crayon de bois un paysage. L’ensemble, inscrit dans un cadre précis, utilise le feuillet transversalement dans sa hauteur. La page précédente, une écriture régulière indique que le dessin représente l’aspect du front belge devant Pervyse en février 1917.

Il s’agit d’une nature désolée, animée par quelques arbuste étiques, qui se détachent entre eau stagnante et ciel gris. Un chemin noir et gras serpente à travers ce qui ressemble à de la neige. Une impression de tristesse et de désolation émane de cette image en dégradés de gris. N’est-elle pas symbolique de l’attente des soldats, et d’une guerre qui ne veut pas finir ? Nous sommes en février. En avril, ce sera l’échec tragique de l’offensive du Chemin-des-Dames, menée par le général Nivelle. Mon grand-père y participera.

Pervyse (en flamand Pervijze) est aujourd’hui une section de la ville belge de Dixmude, située en région flamande dans la province de Flandre-Occidentale. Cette commune, qui était située le long du front de l’Yser, fut complètement détruite pendant la Grande Guerre. La ligne de chemin de fer Nieuport-Dixmude y passait, délimitant une zone, délibérément inondée par les Belges ; elle séparait les belligérants. Je pense que ce dessin représente bien la ligne de front inondée. Il m’apparaît très éloquent dans sa simplicité et son dénuement.

En le regardant, je songe aux premiers et aux derniers vers de La complainte de ceux qui vont combattre, un poème d’Edmond Rostand, publié dans Le Figaro, le 10 mai 1917 :

 

Voilà mille jours qu’on se bat.

Mille fois que le jour est né.

Mille fois qu’ils ont frissonné !

Les fins de nuits sont le moment

Du plus mauvais frissonnement.

[…]

C’est l’heure où l’on sort de son trou

La bouche amère et le cœur mou.

Pour souffrir ce qu’on a souffert,

On remet son chapeau de fer.

Des hommes passent, lourds, pliés,

Et la route est sans peupliers.

 

 

 

 

  Pervyse Soldats morts

Champ de bataille de Pervyse,

Cadavres de soldats morts au champ d'honneur

 

 

 

 

 

Jeudi 15 avril 2010

Pour le Jeudi en Poésie de Brunô

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1 avril 2010 4 01 /04 /avril /2010 11:01

  P1000348-1

 

Quand j’étais enfant, au bout d’un jardin ]

Je trouvais un jour un bouton de rose ]

La fragile fleur était presque éclose ]

Je le recueillis d’une pieuse main. ]

 

Depuis ce jour-là, comme une relique ]

Par des soins jaloux je l’ai conservé- ]

Sur mon cœur naïf  je l’ai reposé,

- Mon cœur de quinze ans- comme un viatique. 

 

Sous les purs rayons des premiers beaux jours ]

Le petit bouton grandit à merveille

Il est devenu une fleur vermeille-

-Une fleur vermeille au teint de velours.

 

  P1000349

 

 

 

Quand je suis entré sur la mer du monde ]

J’ai cru que le vent l’aurait [emporté] agité ] 

L’aurait même un jour peut-être emporté ]

Le vent qui gémit- l’océan qui gronde. ]

 

Mais bien près de moi, plus d’un a péri ] 

Mes bras ont tremblé sous  les flots  en rage ]

Ma petite fleur a bravé l’orage

Son teint délicat ne s’est pas flétri

 

    

Elle est toujours là, là sur ma poitrine

Frêle talisman d’amour et de paix

Fraîche comme au jour où je la trouvais

Au bord du jardin, près de la colline

 

Lorsque le fardeau me semble trop lourd

Que mon cœur brisé d’une angoisse amère

Ne voit près de lui que doute et misère

Lorsque je suis las- en mes mauvais jours-

 

Je penche mon front sur sa pâle (fraîche ?) rose

Mon regard se grise à son coloris

Son parfum discret m’embaume l’esprit

Je me sens bientôt l’âme moins morose

 

Et d’un pas plus fort je suis le chemin.

Ô petite fleur, charmante et légère

Fleur de poésie, éclose naguère

Quand j’étais enfant, au bord d’un jardin

 

                                                M. Torris

 

Dans le carnet de poésie de ma grand-mère, non datée, mais située entre des textes des années 1915 et 1917,  se trouve cette suite de neuf quatrains en décasyllabes de rimes suivies. Je la restitue avec sa ponctuation d’origine et son « repentir » dans le quatrième quatrain. J’ai eu du mal à déchiffrer l’adjectif du premier vers de l’avant-dernier quatrain (« fraîche » ou « pâle » ?).

Ce poème a été recopié d’une petite écriture ronde, dont la plume noire bave un peu, par le beau-frère de ma grand-mère, Maurice Torris, le mari de sa sœur Ghislaine. Quand nous allions goûter chez cette jolie tante aux grands yeux noirs, elle nous servait des tartes à la rhubarbe, dont le souvenir violâtre et sirupeux est encore présent dans ma mémoire. Son mari et elle habitaient tous deux dans une belle maison de la petite ville de Gravelines, célèbre pour ses remparts édifiés par Vauban.

Le poète utilise ici le thème classique de la rose, renouvelé pourtant, dans la mesure où l'auteur conserve la fleur comme une "relique" et un  "viatique". Quant à ma grand-mère, elle a, elle aussi, conservé entre les feuillets de son carnet de poésie une petite branche de mimosa, souvenir sans doute d'un instant heureux.

Si ce texte, qui file la métaphore, devenue un cliché, de l’océan du monde,  peut apparaître désuet par bien des aspects, il m’émeut pourtant par la personnalité de son auteur. En effet, cet oncle, que je n’ai guère connu mais dont je me souviens très bien, n’avait pu réaliser son rêve secret : être officier de marine. On m’a raconté qu’il passait des heures avec des jumelles à scruter les allées et venues des bateaux sur la Mer du Nord. L’image de l’océan, sous sa plume, me semble révélatrice de cette aspiration inaboutie.

Ce poème me touche enfin parce qu’au plus fort de la guerre, un beau-frère attentif et affectueux offre à sa belle-sœur, dont le mari est au front, un poème plein d’espérance, un bel hommage à la poésie, seule capable de redonner le goût de vivre.

 

                                                                                                  P1000384      

                                                                            Branche de mimosa séchée entre les feuillets

                                                                            du carnet de poésie de ma grand-mère

 

Jeudi 1er avril 2010

 

Pour le Jeudi en Poésie de Brunô

 

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29 mars 2010 1 29 /03 /mars /2010 18:00

  P1000345-1

 

P1000346


















Le logis que j’habite est toujours [abrité ;

Je le trouve parfois un peu grave [en été,

Car il est entouré d’un bois de [pins austère

Qui fait au gai soleil un voile de [mystère.

Quand tout est dépouillé, le [logis toujours vert

Prend sa revanche alors : notre [été, c’est l’hiver.

 

Tous ces sapins, si noirs dans nos jardins si roses,

Alors que tout riait, nous les trouvions moroses ;

Et voici maintenant que ces êtres à part,

Contre le froid nous font de leurs corps un rempart.

Près de nous l’épaisseur de leur sombre verdure

Est comme une amitié sévère, mais qui dure.

 

Je ne les aimais pas pourtant : je les ai vus

Dans les mois éclatants si sombrement vêtus,

Impassibles parmi cette gaieté des choses.

Quand ces splendeurs s’en vont en des apothéoses,

Quand l’automne est venu sur la terre allumer

Un feu brillant qui dore avant de consumer,

 

Quand la couleur s’exhale en de plus chaudes gammes,

Je les ai vus rester si froids parmi ces flammes,

Indifférents encore au seuil du lendemain

Que j’ai dit : ces géants n’ont pas un cœur humain.

 

La neige vint et, seule, elle a vieilli ces arbres,

A glacé leur jeunesse en des froideurs de marbre.

Aux autres, sa blancheur est un charmant décor,

Mais, sur les hauts sapins touffus, elle a pris corps,

Elle éteint leur couleur, elle agrandit leur masse,

Il me semble que tout le froid sur eux s’amasse.

Mais voici qu’un rayon de soleil ce matin

S’est joué sur le bois neigeux ; et lui, hautain,

Lui, si farouche et fier, est vaincu par ces armes,

Et j’entends le grand bois de pins qui fond en larmes.

 

                                         Comtesse de Galard Bearn

 

Dans le carnet de poésie de ma grand-mère, se trouve ce poème, non daté, en alexandrins, composé de trois sizains, un quatrain et un dizain, en rimes suivies. Je ne sais s’il a été copié à l’encre noire par son auteur elle-même, lors d’une rencontre avec mon aïeule. Toujours est-il qu’il semble que ma grand-mère ait rajouté au-dessous au crayon de bois le nom de celle-ci : la comtesse de Galard Béarn.

Le poème, très anthropomorphique, est la description d’un bois de pins austère et froid qui borde la demeure de la comtesse. Celle-ci, qui n’aimait pas ces arbres, s’est mise à apprécier leur amitié fidèle et leur protection. Soudain, par un matin de neige, alors que le soleil les frappe de ses rayons, elle entend le bois de pins, morose et grave, fondre en larmes.

Si le poème peut sembler convenu par certains aspects, il n’en demeure pas moins qu’il révèle une plume sensible et attentive aux spectacles de la nature. La dernière strophe est teintée de fantastique avec la présence de la neige qui vieillit les pins, les durcit comme le marbre, augmente leur taille et cristallise le froid sur eux. Et l’on pense au premier vers du sonnet « Obsession » de Baudelaire :

« Grands bois, vous m’effrayez comme des cathédrales… »


Ce poème m’a donné l’occasion de découvrir Martine-Marie-Pol de Béhague, comtesse de Galard de Béarn, née en 1869 et morte à Paris, le 26 janvier 1939.  Mécène et grande collectionneuse, elle taquina aussi la plume.

Fille cadette du comte Octave de Béhague et de la comtesse, née Laure de Haber, elle-même fille d’un banquier berlinois, elle épousera à Paris, le 10 février 1890, René-Marie-Hector de Galard de Brassac de Béarn, lieutenant de cavalerie. Elle lui apportera en dot 3 5000 000 francs-or. Rapidement séparés, ils ne divorceront qu’en 1920.

Grande voyageuse, la comtesse sillonne les mers sur son yacht vers l'Egypte ou la Chine. Elle y fut même reçue par l'impératrice de la Cité interdite, Tseu-Hi. Elle est par ailleurs sans cesse à la recherche de pièces rares, des manuscrits anciens aux objets extrême-orientaux en passant par des antiques et des porcelaines de Saxe. Elle rassemble aussi des toiles de Watteau, Fragonard, Tiepolo, Guardi et même un Titien, constituant ainsi une fabuleuse collection.

Devenue propriétaire de l’hôtel particulier de ses parents, au 123 de la  rue Saint-Dominique dans le VII°, elle le fait reconstruire à partir de 1893 par l’architecte Walter-André Destailleur. Il édifie un véritable palais, surnommé la « Byzance du Septième » par Robert de Montesquiou. L’écrivain Henri de Régnier écrivit que cet hôtel était « un des plus beaux palais de notre ville ». Il deviendra l’ambassade de Roumanie, l’année de la mort de la comtesse de Galard de Béarn. Celle-ci contribua de plus à la restauration de l'hôtel de Sully.

Ambassade de Roumanie hôtel de béhague

En 1902, les travaux comportent la création de la façade sur jardin, ornée de colonnes ioniques jumelées, et en 1904, la construction de la façade d’entrée sur rue. Le décor de la Salle du Chevalier, éclairée par une lumière zénithale, est un chef-d’œuvre de Jean Dampt (désormais au Musée d’Orsay). Ce dernier exécutera également une figure en haut-relief du Temps emportant l’Amour qui fut présentée au salon de 1898. Cette œuvre décore le grand escalier de marbre polychrome, qui est inspiré de l’escalier de la Reine à Versailles.

hôtel de behague

La Salle de Concert, conçue en 1898 par l’architecte Gustave-Adolphe Gerhardt dans le style byzantin, est le plus grand théâtre privé de Paris et bénéficie d’une décoration d’une richesse exceptionnelle. « Un beau lieu dont on ne sait s’il est théâtre ou église », se demandera Robert de Montesquiou.


hôtel de béhague salle de concert

Dans ce lieu raffiné, la comtesse de Galard de Béarn accueillait le Tout-Paris des arts et des lettres. Coiffée parfois d’une perruque verte, elle recevait, étendue sur un sofa recouvert de peaux de bêtes. Ses hôtes sont des peintres, des sculpteurs, des musiciens, des écrivains dont notamment les symbolistes : elle soutiendra Verlaine et, égérie de Paul Valéry, fera de ce dernier son bibliothécaire particulier. Helleu, Pascal Dagnan-Bouveret, Carlos Schwabe, Jean Dampt, Ferdinand Bac se pressaient dans ses salons. Dans son hôtel particulier, on jouera Wagner, Carmen de Bizet, Fauré y dirigera son Requiem et Isadora Duncan y dansera.

Dans la Bibliothèque de l’Institut de France, on peut consulter la correspondance de cette femme cultivée et éclairée, composée de plus d’une centaine de lettres. On y trouve aussi un ouvrage original, intitulé Livre du bord, par les passagers de la dahabieh Hathor, en croisière sur le Nil, et rédigé par les happy few de l'époque. La comtesse de Galard de Béarn s’y trouve en élégante et érudite compagnie : le prince Pierre d’Arenberg, le comte et la comtesse de Ganay,  le comte et la comtesse Paul Le Marois et Gustave Schlumberger, historien politique et célèbre numismate.
 

Robert de Montesquiou
Le comte Robert de Montesquiou, Giovanni Boldini

Martine-Marie de Galard de Béarn possédait aussi le  château de Fleury-en-Bière (XII°-XVIII° siècles), en Seine-et-Marne, qu'elle contribua à sauver entre 1910 et 1939.

Fleury en bière seine et marne

Elle fit encore construire La Polynésie, propriété sur la presqu’île de Giens, selon les plans de l'architecte René Darde. A Hyères, elle fréquente les Noailles et reçoit Paul Valéry. Le jardin de cette villa est exemplaire de la vogue des "jardins méditerranéens" après 1925. Il est ainsi organisé autour de terrasses, patios et pergolas, à partir d'axes constitués par des allées et des escaliers. Un escalier descend vers un bassin circulaire puis vers la mer. Il est bordé de plantations à la floraison estivale, caractérisant le passage de la villégiature d'hiver à celle d'été.

La Polynésie Martine de Béhague

Dans ce domaine, elle fit édifier la maison des Vigneaux, à l’intention du peintre anglais Robert Norton, qui n’y résida qu’un an, puisqu’il mourut en 1939, la même année que sa bienfaitrice. Cette maison fut acquise et rénovée en 1957 par un groupe d’admiratrices américaines, pour être offerte au poète et diplomate Saint-John-Perse. Quittant son exil américain commencé en 1940, l’auteur d’Eloges et d’Anabase résidera aux Vigneaux jusqu’à sa mort en 1975 et il évoquera cette demeure dans sa correspondance.

Par-delà la mort, la comtesse, qui aimait tant la littérature, dut être heureuse que sa demeure fût habitée par celui qui écrivait :

« Et nos poèmes encore s’en iront sur la route des hommes, portant semence et fruit dans la lignée des hommes d’un autre âge. » (Vents, 1964).

Et, n’est-ce pas cet étonnant voyage que le poème de la comtesse, intitulé « Les Pins » (dont je ne saurai jamais s'ils bordaient son "logis" de Fleury-en-Bière ou de La Polynésie), a entrepris à travers le carnet de poésie de ma grand-mère ?

 

 

Sources :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Martine-Marie-Pol_de_B%C3%A9hague

http://www.calames.abes.fr/pub/

http://www.inventaire.culture.gouv.fr/public/mistral/merimee_fr?ACTION=RETROU...

 


Lundi 29 mars 2010 

 

 

 

 

 

 

 

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25 mars 2010 4 25 /03 /mars /2010 18:29

                                                                                   Dans le cimetière les tranchées sont creusées au milieu

 

Dans le carnet de poésie de ma grand-mère, j’ai trouvé ce sonnet en alexandrins, recopié (ou plutôt copié) à l'encre noire sur un feuillet  libre, apparemment arraché à un autre livret, car les bords en sont finement dentelés. Il est comme écrit à la hâte, dans une sorte d’urgence fiévreuse à dire l’horreur, exprimée par les nombreux enjambements.

Son titre « Après la bataille », m’a évidemment fait penser au poème de Victor Hugo, dans La Légende des Siècles et qui porte le même titre. Le poème de ce dernier évoque la figure du général Hugo, lors de l’avancée des troupes françaises pendant la guerre d’Espagne. Poème célèbre par sa dramatisation et son art du récit, dans lequel le fils poète exalte le souvenir du père illustre, qui donne à boire au soldat « mort plus qu’à moitié » qui le vise au front. Tout le monde a en mémoire le dernier vers :

« Donne-lui tout de même à boire », dit mon père. »

Ici, le sonnet a une tonalité beaucoup plus tragique (proche peut-être du Dos de mayo peint par Goya qui y stigmatise les exactions des Français) et se clôt sur un vers empreint de mysticisme.

J’ignore à qui appartiennent les initiales A. V. écrites à la fin du texte, mais c’est sûrement quelqu’un qui a vu de près le spectacle horrible de la guerre. Peut-être est-ce même un soldat qui a participé à cette phase de ce que les historiens de la Grande Guerre ont appelé la guerre de position, qui fait suite à la guerre de mouvement de 1914. Au mois d’octobre de cette même année, après avoir occupé Lille, les Allemands sont arrêtés à Vimy lors de la bataille de l’Artois mais ils ont détruit le beffroi d’Arras.

Le 9 mai 1915, c’est la prise de la Targette à Neuville-Saint-Waast dans le Pas-de-Calais, village qui sera totalement détruit. La division marocaine réussit alors une percée sur la crête de Vimy. La situation décrite dans le poème est celle de l’Armée française avant qu’elle ne se lance dans la Deuxième Bataille de l’Artois et ne soit arrêtée à Lorette. Neuville-Saint-Waast ne sera dégagée qu’au mois d’octobre.

 

J’ai recopié le poème tel qu’il se présente, en respectant les majuscules, l’orthographe et la ponctuation employées.

 

Neuville Saint Waast- Sonnet- 12 mai 1915.

 

Après la bataille

 

La route, entre deux rangs d’arbres

                                       [déchiquetés

longe les murs béants d’un verger. La mitraille

a d’informes monceaux de pierre et de

                                                  [ferraille

Jonché le sol meurtri des jardins dévastés

                       -------

Tout fume encor ; du fond des boyaux empestés

Monte un affreux relent de mort et de

                                                  [bataille

Les cadavres gisants (un surtout qui vous

                                                            [raille

En un rictus hideux, pêle-mêle jetés

                      -------

Un chemin creux, au fond l’enclos du

                                             [cimetière

Au revers des talus, dormant dans la

                                             [poussière

les vainqueurs effondrés sur les corps

                                         [des vaincus ;

 

Parfois le sifflement d’un obus, un cratère

qui s’ouvre, et le couchant qui nimbe de lumière

la face en pleurs du Christ et ses bras étendus

 

                                                 A.V.

 

Les combats eurent lieu dans le cimetière lui-même (ainsi que le montre la photo), ce qui explique la présence d’un Christ "aux bras étendus", mais en même temps confère au poème toute sa portée symbolique.
Actuellement, le cimetière de La Targette à Neuville-Saint-Waast s’étend sur 44 525 m2.
12 210 corps y sont inhumés, dont 11 443 Français...

Je pense avec émotion à l’inconnu qui a pris la plume pour témoigner du scandale de la guerre et à ma grand-mère qui a conservé avec soin dans son carnet ce papier plié, sur lequel son nom est écrit au crayon de bois, preuve que ce poème lui était bien destiné.



Après la bataille 2


Pour le Jeudi en Poésie de Brunô
Jeudi 25 mars 2010

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18 mars 2010 4 18 /03 /mars /2010 18:39


P1010266

Dans le carnet de poésie de ma grand-mère, j’ai découvert ce poème, écrit de sa main au crayon de bois, d’une élégante écriture remontant vers la droite. Les initiales de la signature  (celle du prénom de ma grand-mère, Yvonne, et celle du prénom de son mari, Edouard, suivies de l’initiale de leur patronyme) y apparaissent à l’encre bleue, au stylo plume.

Les pages de la fin du carnet étant quasiment collées, je n’avais jamais vu ce texte ! Il semble avoir été écrit sous le coup d’une inspiration soudaine,  après peut-être une promenade sur la digue éventée de Malo-les-Bains.
Ce sont trois quatrains de trois tétramètres (malgré un pentasyllabe à la deuxième strophe), ponctués par un trisyllabe ou trimètre, aux rimes suivies. Pour dire un spectacle qui lui était familier, ma grand-mère a su trouver un rythme qui convient bien aux sautes d’humeur de la Mer du Nord.

 

 

 

 

La Mer du Nord

 

Les flots méchants
Aux tons changeants

Comme l’opale

… Elle râle

 

Teinte en vermeil

Par le clair soleil

Qui l’enchante

… Elle chante

 

D’un bleu d’azur

Sous le ciel pur

Calme et sans lie

… Elle prie.

 

Y E D




 

Digue de Malo les bains






Pour le Jeudi en Poésie de Brunô.
  

Jeudi 18 mars 2010.

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16 mars 2010 2 16 /03 /mars /2010 16:01

Ces quatre quintils, dans lesquels trois rimes alternent avec deux rimes, recopiés dans le carnet de poésie de ma grand-mère, sont datés du 05 mars 1915. Le 03 août 1914, l'Allemagne a déclaré la guerre à la France. Le 13 janvier 1915, contre l'avis du maréchal French et de Joffre, Churchill et le conseil de guerre ont décidé l'opération navale des Dardanelles, qui subira un cuisant échec le 18 mars 1915. En avril commencera l'offensive française à l'est sur la Meuse et la Moselle et les Allemands emploieront pour la première fois des gaz asphyxiants à Langemack, au nord d'Ypres, en Belgique.
Le poème n'est pas signé. Devant la date, on peut lire  l'abréviation du lieu de création, "Copp.". Je pense qu'il s'agit de Coppenaxfort, village du Nord où était située la propriété familiale de mon grand-père, alors sous les drapeaux.  Il échappera miraculeusement à la mort lors de la bataille de Verdun. Je crois me rappeler que lui-même m'a raconté que la balle qui aurait dû le tuer a ricoché sur le portefeuille qu'il portait sous son uniforme. 
Mon père était né en 1911 et j'imagine que ce texte a pu être écrit par mon grand-père à l'intention de son épouse, au cours d'une de ses permissions. On y perçoit la douleur de la séparation, la persistance dans la mémoire de l'image de la femme aimée, le souvenir des serments échangés, l'expression d'un amour véritable, "si tendre et si rêveur". Et j'aime que ce poème mélancolique, recopié aux débuts d'une guerre qui sera longue, s'achève sur le pronom personnel "Nous", écrit avec une majuscule.



P1000343P1000344-1





























J'écouterai toujours, même [quand le destin
M'aura trahi, vibrer le murmure [incertain
De ta voix dans mon coeur... Je [suivrai son sillage
Dans une silhouette imprécise [au lointain
Que mon rêve fera fera  sa plus [vibrante image.

Je chercherai tes yeux aux [braises du foyer
Qui brûleront ma chair bien [moins que ta caresse !
Je sentirai passer, comme un [parfum d'ivresse,
Dans l'air triste du soir que l'ombre va noyer,
Ton haleine de fleur, ton charme de déesse.

Et je retrouverai ton amour et ton coeur
Dans mon coeur désolé de sa longue souffrance.
Je redirai les mots d'immortelle espérance
Que tu savais trouver, exquise de ferveur,
Pour dire notre amour si tendre et si rêveur.

Et quand tu songeras, plus tard, à la folie
De nos espoirs déçus, de nos serments si doux
Tu ne sauras jamais dans ta mélancolie
Que je rêve de toi toujours, ô ma jolie !
Et que mon rêve encor, c'est notre rêve à Nous.

Copp. 5 Mars 1915







Coppenaxfort

Mardi 16 mars 2010

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11 mars 2010 4 11 /03 /mars /2010 23:00

P1010267

Dans le carnet de poésie de ma grand-mère où ses hôtes et amis ont écrit des poèmes, j'ai découvert  quatre quatrains de sa main, perdus au milieu de pages vierges. Ils sont rédigés comme un cri, au crayon de bois, et m'ont beaucoup émue. Ayant la chance d'avoir une fille et depuis peu une petite-fille, je mesure soudain la souffrance secrète de ma grand-mère qui s'est confiée à son carnet.
Voici ses vers, non datés, tels qu'ils se présentent sur la page, légèrement relevés vers la droite. J'en ai reproduit exactement la ponctuation.


Ses fins cheveux d'or sont bouclés
Ses beaux yeux d'un bleu de pervenche
Joues roses, longs cils recourbés.....
Sur son front si pur je me penche

Je voulais tant qu'elle soit "Lui"
Physique et moral tout ensemble
Avant d'être mon rêve a fini....
Je voulais qu'elle "Lui" ressemble!

Frais et joyeux, j'entends ses ris
Que ses frères l'auraient gâtée
Elle eût été vraiment la fée
La fée de notre vieux logis

Pourquoi n'es tu jamais venue
Toi, si désirée de mon coeur
Pourquoi n'es tu jamais venue
Compléter notre grand bonheur

Petite fille aimée que je n'ai jamais eue

                                                     Y. E. D.


Pour le Jeudi en Poésie de Brunô.
Jeudi 11 mars 2010.

P1000330

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24 février 2010 3 24 /02 /février /2010 19:01

P1000333
Pendule offerte au Maréchal Foch , par la Ville de Cassel, en 
souvenir de son séjour en cette Ville, du 23 Octobre 1914 au
 22 Juin 1915.   (Carte postale trouvée entre les pages du carnet
de ma grand-mère.)                                           
        


Dans le carnet de poésie de ma grand-mère, ce poème de quatre strophes alternées de quatre et six vers inaugure la période de la Grande Guerre. Les textes s’y font plus sombres, et l’on y sent frémir la douleur de l’absence de ceux qui sont au front. Non daté et intitulé « Après la guerre… », avec sept points de suspension, ce poème est comme une sorte de préfiguration des bouleversements affectifs à venir. Ecrit d’une petite écriture ronde et régulière, il est signé M. Gay.

 

Lorsque je reviendrai, je ne trouverai plus,

Dans la lourdeur des soirs qui bruniront la plaine,

Le rêve dont mon âme aimante est encore pleine

Car mes pleurs du passé, l’oubli les aura bus !

 

Le cadre de ma vie, où vous étiez venue

Comme la bonne fée, au bout de l’avenue

Qui montre le chemin conduisant au bonheur,

Les vents l’auront terni de toute leur poussière,

Et les festons jaunis qui joncheront la terre

En les brisant, je les arroserai de pleurs ! …….

 

Si je ne reviens pas, vous n’écouterez plus,

Dans la langueur du soir illuminant la plaine,

Cette chanson d’amour dont notre âme était pleine,

Qu’à chanter pour nous seuls, nos deux cœurs s’étaient plûs. (sic)

 

Et lorsque, solitaire, au bout de l’avenue,

Lassée, au soir mourant, d’attendre ma venue

Vous vous ressouviendrez de tout notre bonheur !

Triste vous reviendrez, pensant que cette terre,

C’est un peu notre amour qui s’envole en poussière !

Et vos yeux, vos beaux yeux se rempliront de pleurs !

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Qui était ce jour-là l’hôte de ma grand-mère qui lui écrivait un texte aussi mélancolique ? Sans doute pas cette Madame M. Gay qui publia en 1922, aux éditions de la Librairie Geldage, un manuel scolaire, intitulé Claude et Francine, Premier Livre de Lecture courante. Poésie de Madame Genty ! Je pencherais plutôt pour un très jeune homme, un de ceux que la guerre engloutira, et qui imagine l’après-guerre avec pessimisme. Les deux premières strophes évoquent son retour et ses larmes car l’amour a fui. Les deux dernières envisagent sa mort et les larmes de celle qui l’a aimé. Dans un cas comme dans l’autre, la guerre aura tout détruit !

 

Pour le Jeudi en Poésie de Brunô.

Mercredi 24 février 2010.

 

 

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23 février 2010 2 23 /02 /février /2010 17:11

Le 25 septembre 1910, dans le carnet de poésie de ma grand-mère,  un certain L. Chavane de Dalmassy, d'une écriture pleine de tempérament et qui m’apparaît comme étant masculine, a rédigé deux paragraphes sur sa conception de la Femme.

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                                                   Amazone à la chasse à courreC. M. , 1909. 


La première partie reprend une vision très traditionnelle du sexe dit faible. Partagée entre fausseté et effronterie, la femme n’aurait d’autre ressource que d’être parfaite. La dernière phrase n’est guère un modèle de galanterie : « On doit avouer que la perfection est rare. »


Quant au second paragraphe, il cantonne la femme dans le rôle passif que la société judéo-chrétienne lui a toujours attribué. Certes les femmes sont nombreuses qui ont été des muses pour les écrivains mais dire qu’ « elles n’écrivent pas » est une affirmation qui, je l’espère, aura  fait réagir ma grand-mère !

Voici ce texte d'une grande lisibilité, tel qu'il apparaît sur la page, écrit d'une plume bien appuyée, dans une disposition très équilibrée :

" Si une femme dissimule, c'est fausseté ; si elle ne dissimule pas, c'est effronterie. Elle n'a de ressource que d'être parfaite. On doit avouer que la perfection est rare.-

Les femmes sont pareilles aux Muse qui inspirent et n'écrivent pas : les hommes ont l'action ; les femmes, l'influence.- "

1910, c'est l'année où Colette se sépare de son pygmalion de Willy et prend son envol, l'année aussi où La Vagabonde obtient trois voix au Goncourt. Alors, j'imagine ma grand-mère, qui s'enivrait aux vers de Marcelline Desbordes-Valmore et d'Anna de Noailles, se lançant avec répartie et vivacité dans un catalogue des femmes de plume choisies parmi ses lectures, et je l'entends dire.

- Mon cher Chavane, on n'écrit pas avec son sexe ! Avez-vous oublié les vers enflammés de Louise Labé ? Comment pouvez-vous méconnaître le "premier roman psychologique français" de Madame de La Fayette ?  Que faites-vous des vues pénétrantes de Madame de Staël dans De l'Allemagne ?

Et ce discourtois Chavane de Dalmassy, alors qu’il prend congé, de faire à ma jolie grand-mère ses excuses les plus plates, tout en lui alléguant, dans un baise-main très incliné, qu’il ne s’agit que d’ironie mondaine !


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Car, en 1910, on commence enfin à se demander si la femme doit demeurer un « objet de luxe », quoique la condition féminine soit encore souvent envisagée sous l’angle unique de la mode. Ainsi, l’on peut lire dans Le Figaro du 26 septembre 1910, à l’occasion des défilés de couture du grand couturier Martial et Armand : « Cette mode est nouvelle de couleur et de forme surtout. Car on aperçoit non seulement le pied, mais aussi la cheville. Voilà qui va faire le bonheur des femmes aux attaches aristocratiques… »

Cependant, grâce aux campagnes féministes des suffragettes, anglaises notamment, les femmes, qui remplacèrent les hommes pendant la Grande Guerre, seront bientôt à leurs côtés dans presque toutes les professions.

 

Mardi 23 février 2010.

 

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18 février 2010 4 18 /02 /février /2010 19:15

                                                           
                          

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                                                                                       Mimi, 24 décembre 1910.

Sur la page encore blanche où mes vers vont éclore

Qu’un souvenir parfois ranime votre cœur

De votre vie aussi la page est blanche encore

Je voudrais la remplir d’un seul mot :

Le bonheur !…

C’est le vœu le plus ardent

Que forme pour toi, ma chère Yvonne, ta vieille amie

 

                  J. Diraud

                           E de M

 

             Fresnes le 17 Décembre 1910

 

Voilà ce qu’a écrit sur le carnet de poésie de ma grand-mère une de ses relations, très chère sans doute, puisqu’elle mentionne qu’elle est une « vieille amie ».

Sous la signature de cette dernière, J. Diraud, on peut lire deux initiales, écrites en petits caractères : E de M. Que signifient-elles ? Ce sont peut-être celles de son patronyme de jeune fille ; ou bien les initiales d’une autre personne qui les accompagnait. Une femme ?  Un homme ? Mystère d’une rencontre, un 17 décembre 1910, à Fresnes.

Je pense que Fresnes est ici Fresnes-sur-Escaut, ma grand-mère vivant alors dans le Nord. Je l’imagine avec son amie au cours d’une excursion.

Les mains dans leurs manchons de fourrure (on est en décembre), elles marchent avec élégance. On aperçoit leurs pieds fins, sanglés dans de hautes bottines, sous leurs longues jupes qui soulèvent les petits cailloux du sentier du Cavalier, le long des berges de l’Escaut. Des cormorans et des mouettes les accompagnent de leurs criaillements piailleurs, dans le froid vif. Elles ont admiré le Christ de Pitié, ornement de  l’église Saint-Martin, et qui date du XVII°siècle. Tout à l’heure, elles déambuleront dans le parc du château de Gédéon Desandrouin, le fondateur des verreries qui firent la renommée de la petite ville.

Et c’est peut-être à côté du temple de l’Amour, édifié pour le parc du château par Chalgrin, qui en construisit un aussi pour le Petit Trianon de Versailles, que l’amie de ma grand-mère lui a écrit ces quelques vers, reflet de son amitié tendre.

Quant au charmant dessin à la plume et à la peinture à l'eau de deux petites filles dansant une ronde, il a été réalisé par Mimi, une autre amie sans doute, sept jours après cette promenade.  
                                                                               

 

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Pour le Jeudi en Poésie de Brunô.

Jeudi 18 février 2010.

 


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