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3 décembre 2011 6 03 /12 /décembre /2011 17:29

 la femme de gilles cuisine

Emmanuelle Devos (Elisa) et Gilles (Clovis Cornillac) dans La femme de Gilles,

(Crédit photo : Pathé Distribution)

 

Dimanche 20 novembre 2011, la comédienne Emmanuelle Devos présentait au cinéma Le Palace, à Saumur, La femme de Gilles (2003), de Frédéric Fonteyne, un réalisateur belge. Après Jérôme Clément, Robin Renucci, Nicole Garcia et Benoît Jacquot, elle avait choisi ce long métrage dans le cadre de la cinquième Carte blanche offerte à une personnalité par le Ciné-Club Plein Ecran.

Dans la semaine a suivi la projection de cinq autres films de sa sélection personnelle : Raging Bull (1980) de Scorcese, présenté par Christian Rouillard ; Crimes et délits (1989) de Woody Allen, présenté par Patrice Gablin ;  Les Quatre cents coups (1959) de Truffaut, présenté par Pierre Pucelle ; Le bonheur d’Assia (1967) de Andrei Konchalovsky, présenté par Christel Gillet et Ceux qui restent, réalisé et présenté par Anne Le Ny. C’est un choix très personnel qui reflète les intérêts de l’actrice pour la place de la femme de la société et le rôle de l’actrice. Le premier et le dernier film appartiennent à sa filmographie.

Après la projection Emmanuelle Devos a expliqué qu’elle avait choisi La femme de Gilles pour plusieurs raisons. Ce film n’avait pas trouvé son public à l’époque et le rôle d’Elisa l’avait particulièrement marquée. Pendant un an, elle n’a pas tourné, comme s’il lui fallait ce temps pour se remettre de l’impression très forte que ce film avait laissée en elle.

Le film est adapté du roman au titre éponyme très connu en Belgique. Son auteur en est Madeleine Bourdouxhe (1906-1996). Cette œuvre fut admirée et de Jean Paulhan et de Marguerite de Beauvoir. Elle exalte l’amour fou, celui qui conduit à l’abnégation de soi-même.

Le Belge Frédéric Fonteyne a adapté ce roman en maintenant l’action dans les années 30. Emmanuelle Devos a aimé cette histoire d’une épouse qui découvre l’infidélité de son mari Gilles (Clovis Cornillac), ouvrier sidérurgiste, qui la trompe avec sa propre sœur Victorine, interprétée par Laura Smet. Tout d’abord jalouse, elle se met à épier son mari, puis devient sa confidente, persuadée que cette histoire n’est qu’une passade et que Gilles l’aimera de nouveau. « Attends, ça passera », lui dit-elle. Gilles, à cause de sa violence, perdra Victorine mais Elisa reconquerra-t-elle son mari ?

Avec ce personnage féminin, Frédéric Fonteyne propose une manière très originale de traiter du thème rebattu de la jalousie et un très beau portrait de femme. Une personnalité très loin de celle d’Emmanuelle Devos elle-même et qu’elle qualifie d’ « autiste de l’amour ». Elisa n’a pas les mots pour exprimer sa souffrance, pour sortir de son isolement et elle ne trouve nulle part de secours ni de consolation. Ni chez ses parents ni auprès de ses deux filles. Les dialogues sont très peu nombreux et Emmanuelle Devos a fait un superbe travail pour exprimer les sentiments variés et contradictoires qui envahissent son personnage. Tout passe sur son visage, de la jalousie à l’apaisement en passant par l’abnégation et une infinie patience. "Elle est comme une sainte de l'amour", fera remarquer une spectatrice.

la femem de gilles enfant

En même temps, Emmanuelle Devos considère qu’Elisa a un côté manipulateur dont elle n’est sans doute pas consciente elle-même. En devenant la confidente de son amri, elle espère maîtriser la situation. Elle apparaît ainsi à la comédienne comme une femme forte, de la force de ces femmes belges qu’elle a pu rencontrer. Elle demeure cependant assez mystérieuse comme une spectatrice l’a indiqué. Celle-ci a souligné avec justesse une des répliques du film : « Si tu savais… », confie Georges à Elisa dans une scène où il reconnaît qu’il est amoureux fou de sa belle-sœur Victorine. Ce pourrait être une des phrases-clés du film, les personnages demeurant opaques les uns aux autres, sans espoir de communication.

Le film a été très exigeant pour Emmanuelle Devos car, dit-elle, Frédéric Fonteyne « ne m’a pas protégée ». «  Il était Elisa », rajoute-t-elle d’une façon un peu sibylline. Il en va tout autrement avec Arnaud Depleschins avec qui elle a souvent tourné et qui sait l’entourer d’un cocon protecteur. « Il connaît bien les acteurs », précise-t-elle. Pourtant, Emmanuelle Devos a beaucoup apprécié ce tournage en Belgique. Elle aime la simplicité des relations que savent instaurer les Belges, chez qui l’esprit de hiérarchie est totalement absent.

Esthétiquement, le film est une réussite, tant par son travail sur la lumière (solaire dans le jardin l’été, tamisée derrière les volets clos, inquiétante et froide durant l’hiver), que par son goût du détail et de la reconstitution. Le passage des saisons est quant à lui particulièrement bien rendu, qui se fait sur deux années dans le petit jardin de la maison de Gilles et d’Elisa. Emmanuelle Devos a expliqué que la demeure avait été créée de toutes pièces, avec un soin tout particulier.

J’ai par ailleurs beaucoup aimé cette caméra intime qui n’est que le regard d’Elisa et qui, à la fin, dans le grenier se pose sur la chemise vide de Gilles qui sèche sur un fil. « Je ne sens plus rien… », vient -il de lui avouer dans le lit conjugal.

On pourra peut-être regretter la reconstitution un peu trop léchée des années 1930, quoique la scène de la guinguette soit particulièrement réussie. Elisa et Victorine me semblent vêtues avec un excès d’élégance peu en rapport avec le milieu social auquel elles appartiennent. Et le passage où la famille va pique-niquer dans la campagne est lui aussi teinté de maniérisme.

La femme de gilles en bleu

En dépit de ces quelques remarques, on espère que la diffusion de ce film plein de sensibilité contribuera à parfaire l’image que l’on peut avoir d’Emmanuelle Devos, celle d’une comédienne à l’intériorité irradiante.

 

 

 

 


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29 novembre 2011 2 29 /11 /novembre /2011 21:48

 

 Bassin.JPG

      Reflet dans le bassin du jardin, 

(Photo ex-libris.over-blog.com, Novembre 2012)

 

 

Le monde a basculé sous les verts nénuphars

Le toit est à l'envers sous l'eau divinatoire

Je me sens vaciller sur le bord du bassin

Aux confins bleus du ciel comme au bout d'un tremplin 

 

 

 

Pour la communauté de Hauteclaire, Entre Ombre et Lumière,

Thème : l'image dans l'image

 


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26 novembre 2011 6 26 /11 /novembre /2011 15:12


Maurice-Denis-Crepuscule-Musee-Bonnat-Bayonne.jpg

Crépuscule, Maurice Denis, Musée Bonnat, Bayonne

 

 

Dans le puits de la nuit

Quelque chose a pâli

Un pinceau incertain

Un blanc reflet sans tain

Le silence est un drap

Qui frôle nos corps las

Et l’on se sent flotter

Léviter à jamais

Dans les limbes du temps

Quand le jour hésitant

Tremble au fond de l’alcôve

Au beau falot de l’aube

 

 

Samedi 26 novembre 2011

Pour Papier Libre de Juliette

Thème : l’Aube

 


 

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25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 22:49

 la-grande-vague-1831

La grande vague, Hokusaï, 1831

 

Ce que j’aime avec Raphaël Enthoven, c’est qu’il nous invite à philosopher sur tout. C’est ainsi que dimanche 20 novembre 2011, lors de son émission Philosophie, sur Arte, à 13h30, il recevait Frédéric Schiffter, qui a évoqué son dernier ouvrage, Petite philosophie du surf. Selon lui, le surf évoque l'essence dramatique de l'existence.

Dès que la vague émerge, se forme une lame : on songe au vague à l’âme… Car qu’est-ce qu’avoir le pied marin ? Qu’est-ce que cet équilibre sur la vague ? Celui d’un homme libre, l’homme de Baudelaire, qui éprouve le spleen en regardant la mer. On agit en regardant et on parlera alors de contempla-c-tion.

Entre l’homme et la vague, il s’agit d’un combat loyal. Si l’on regarde le célèbre tableau d’Hokusaï, qui appartient à l’une des Trente-six vues du mont Fuji, on perçoit une menace suspendue. On éprouve le sentiment d’être face à un élément indifférent à notre existence. Nietzsche ne disait-il pas : « Le monde n’est pas là pour nous faire plaisir » ? On est ici aux prises avec le tableau d’une angoisse et l’on pourra songer à la fin de Moby Dick : après le naufrage du Peckwood, l’eau continue à rouler comme il y a cinq mille ans.

Le surf maintient l’homme sur l’écume des choses. Et de nouveau Nietzsche le dit  : l’homme est un « être superficiel par profondeur ». Le glissement sur la vague, c’est la dialectique de l’horizontalité et de la verticalité. Il s’agit de demeurer vertical soi-même. Si l’écume submerge, c’est fini. On pourra dire adieu à tout mais l’on aura vécu une belle aventure.

Si le pêcheur va sur la mer par besoin, le surfeur y va par défi et par jeu. Puis son désir devient besoin et nécessité. Il n’y a rien de plus sérieux que le désir du surfeur. Et ce dernier expérimente la métaphore de Blaise Pascal : « Nous sommes tous embarqués. » Il se retrouve dans l’impossibilité de choisir. Dans l’élément marin, il n’y a plus de choix : il faut prendre la vague.

Le Christ marchant sur les eaux peut être considéré comme le père des surfeurs. Mais quand on est Dieu, y-a-t-il grand mérite à cela ? Le Christ marche sur les eaux d’un calme lac et non sur la vague d’un mascaret. N’est-il pas plutôt alors un surfeur d’eau douce ? Marcher sur l’eau relève d’un projet prométhéen, celui de soumettre la nature à sa propre puissance.

Le surf est d’une autre nature : c’est une danse funèbre. La houle roule et il s’agit d’accueillir les vagues qui vont mourir jusqu’au rivage. Rituel sacré que l’on pratique dans le but qu’elles puissent revenir. Ici, on ne contrarie pas l’ordre de la nature mais on cherche bien plutôt à l’épouser.

Belinda baggs Ph Adam Kobayashi

Belinda Baggs (Photo Adam Kobayashi)

Une autre figure du surf est celle de Belinda Baggs. Elle avoue :  « Le temps passé sur l’océan est comme rentrer chez soi, un endroit où tu trouves ton équilibre et où tu te fais porter par les flots. »Sur son long board, elle épouse bien la vague. Elle est la manifestation sensible de l’essence du surf. Elle glisse sur la lame, elle fait corps avec elle dans une optique d’épousailles. C’est un acte qui ne relève pas de la religion mais de la spiritualité, c’est une mystique, celle de la divinité qui va mourir. La danse de la surfeuse accompagne la divinité quand elle se mélange au sable. Elle est l’incarnation de la grâce, telle que la définit Bergson : « Un souffle qui fait frissonner la matière ».

Flâneuse de l’onde, la surfeuse se promène. Pour elle, hasard et nécessité prennent alors le même sens. Agissant d’instinct, elle fait preuve d’une précision souveraine, d’une sagesse toute sophistique, qui consiste à saisir la bonne vague. Le bon surfeur sait lire la mer ; le mauvais rate ses vagues.

Le surfeur émérite agit avec prudence et sagacité, et non par ignorance. Son expérience est faite d’un savoir, d’une science intuitive, qui lui donne le sens de l’occasion. « La mélancolie est son ultime avatar » et elle est ce qui reste dans le cœur d’un homme quand la vague meurt. On assiste alors aux derniers instants d’un élément Quoi de plus beau que la « cicatrace », le sillage moribond de la vague moribonde ? Sur la vague, c’est gravé. D’ailleurs, « les naufrageurs écrivent leur nom sur l’eau ».

Laird-Jaws

Laird Hamilton surfant Jaws (Photo Buzzy Kerbox)

Laird Hamilton, en quête de Jaws (mâchoire en anglais), la vague vorace, la vague mythique de vingt mètres de haut, le dit : « Je me fais l’effet d’être un chasseur de dragons. » Il renoue ainsi avec une forme de polythéisme. Il est comme un demi-dieu affrontant le monstre marin qui le met au défi de le dévorer. S’il existe toujours une surenchère, elle n’est pas de l’ordre de l’exploit. Chez Laird Hamilton, elle relève plutôt de la modestie et de l’humilité, le surfeur étant en adoration mystique devant les éléments.

Pour lui, le monde est la mesure de toute chose et il ne pense qu’à cela. Il ne veut pas séparer son destin de celui des vagues, qui sont à chaque fois comme des travaux d’Hercule qui ne laissent aucune trace. A son propos, on pourrait même parler d’une démarche littéraire. Laird Hamilton n’est-il pas dans la logique de la légende, lui qui est déjà comme un héros vivant au paradis des surfeurs ?

Pourtant, la trace d’une planche sur la mer n’est rien de plus que la durée d’un mot d’esprit au cours d’une conversation de table. Bientôt, il n’y a plus personne pour écouter et tout finit dans le silence, celui qui précède ou suit la tempête. Et c’est cet éphémère qui est beau. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », disait Héraclite et on ne surfe jamais deux fois la même vague…

 

 

A lire : Petite philosophie du surf, Frédéric Schiffter, Editions Milan

 

 

 

 

 

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24 novembre 2011 4 24 /11 /novembre /2011 22:55

satyagraha grand 

Richard Croft dans le rôle de Gandhi

 

Depuis longtemps, j’aime la musique de Philip Glass, lancinante comme la pulsation des vagues, et que j’écoute en boucle. Samedi 19 novembre 2011, son opéra Satyagraha était retransmis du Met en HD, dans 1400 salles de cinéma à travers le monde, une occasion unique pour le public de découvrir ce compositeur génial.

Satyagraha est un mot inventé par Gandhi lui-même, Satya signifiant vérité et Graha fermeté. Ce titre se réfère ainsi au concept de résistance non-violente (ahimsâ) à l’injustice qu’initia Gandhi. Le satyagrah (« la force née de la vérité et de l'amour ou non-violence ») est l'aboutissement de cette vérité contre des lois ou des systèmes injustes au travers d'une lutte non violente. Gandhi considère même le satyagraha supérieur à la désobéissance civile ou à la résistance non-violente  car le terme implique de servir une cause juste et devient de ce fait l'arme des forts et non plus l'arme des faibles.

Le texte est inspiré de la Bhagavad Gîtâ, le « chant du Bienheureux » ou « Chant du Seigneur », dont Gandhi fit lui-même un commentaire. C’est la partie centrale du poème épique du Mahabarata. Ce texte est un des écrits fondamentaux de l'hindouisme, souvent considéré comme un « abrégé de toute la doctrine védique ». Il est chanté en sanscrit, une performance remarquable pour les interprètes. Renonçant à l’utilisation de sous-titres (le sanscrit étant une langue étant faite pour être entendue), la production ne projette que des phrases-clés (souvent des prières que récitait Gandhi) sur le fond de scène ou sur des accessoires. Rareté d’un texte, qui confère à l’œuvre une haute élévation morale.

L’opéra, composé en 1980 sur une commande de l’Opéra de Rotterdam, se déroule en trois actes pour orchestre, chœur et solistes. Philip Glass prêta aussi la main au livret, écrit par Constance De Jong. Fondé sur la vie de Mohandas Karamchand Gandhi, l’œuvre forme le second volet d’une trilogie de portraits, dont le but est de mettre en scène des personnages qui changèrent le monde. Les premier et troisième volets sont intitulés Einstein on the beach et Akhnaten. La seconde partie, à travers les trois personnages historiques de Tostoï, Tagore et Luther King, évoque la pensée et la vie de cet apôtre de la paix que fut Gandhi.

Enthousiasmé par Einstein, le directeur général de l’Opéra des Pays-Bas, Hans de Roo, avait proposé au musicien d’écrire pour toutes les forces de son opéra, dont l’orchestre. Cet opéra, dont la première eut lieu en 1980, constitue donc un tournant décisif dans la carrière de Glass puisqu’il revient ici pour la première fois à la forme orchestrale après dix années de recherches sur le minimalisme. Il le dit lui-même : « Depuis, je ne me suis plus arrêté et je dois dire qu’ayant étudié l’orchestre avec Nadia Boulanger, je peux aujourd’hui sentir l’ombre de Fauré et des grands Français planer sur bon nombre de mes compositions. » Depuis la première, l'opéra de Glass fut représenté une autre fois en 2007.

L’orchestre se compose d’instruments à cordes (violons, altos, violoncelles et contrebasses), d’instruments à vent (flûtes, piccolo, clarinettes, clarinette basse, hautbois, cor anglais, bassons) et d’un orgue. Il n’y a ni cuivres ni percussions. Philip Glass s'est toujours refusé à créer un son orchestral standard  et tient à la particularité de sa sonorité. Il précise que son œuvre comporte peu d’écriture pour solistes. « Je me concentre sur les timbres mélangés, comme si l’orchestre était un orgue », précise-t-il.

La distribution comporte deux sopranos, deux mezzo-sopranos, deux ténors, un baryton et deux basses et un large chœur (sopranos, altos, ténors et basses). Comme le Christ est accompagné par les Saintes femmes, plusieurs accompagnent Gandhi dans sa longue marche vers la justice. Rachelle Durkin (soprano) interprète Miss Schlesen. Secrétaire et conseillère de Gandhi, elle aide Rustomji, le collègue indien du maître, à rallier la foule contre le gouvernement britannique.  Mrs. Naidoo (soprano) est une autre femme qui suit Gandhi et le conseille. Kasturbai (alto) est l’épouse de Gandhi qui l'assistera dans l’implantation indienne sur la ferme de Tolstoï et qui travaille au journal Indian Opinion. Mrs. Alexander (alto) soutient les Européens, tout en protégeant Gandhi contre leur harcèlement.

Kim Josephson (baryton) est Mr. Kallenbach, le conseiller de Gandhi. Alfred Walker (basse) interprète Parsi Rustomji, Compagnon de Gandhi, il conjure la foule de se dresser contre les nouvelles lois du gouvernement britannique, qui impose au peuple indien de se réinscrire sur les listes, d’être porteur d’un permis de résidence et d’être soumis à des perquisitions arbitraires. C’est Richard Croft (ténor) qui endosse avec brio et passion le rôle de Gandhi, l’instigateur de la résistance non-violente par le biais de la désobéissance civile de masse. On le sent complètement habité par son rôle, parvenant excellemment à intérioriser la force morale de son personnage.

Si le spectateur se laisse vite envoûté par la beauté des tableaux qui se succèdent, il a cependant un peu de mal à s’y retrouver dans l’histoire. En effet, le parti-pris de supprimer les sous-titres en français rend parfois difficile la compréhension des faits représentés. Il n’est donc pas inutile de les rappeler.

L’acte I est placé sous l’égide de Tolstoï, déjà apôtre de la non-violence en son temps et qui représente le passé. Gandhi et lui échangèrent une longue correspondance jusqu’au décès du romancier russe en 1901. Gandhi puisa une partie de son inspiration dans les écrits de Léon Tolstoï qui avait vécu une conversion profonde en une forme personnelle d’anarchisme chrétien, ce qui l’avait amené à concevoir un christianisme détaché du matérialisme et non violent. Gandhi a écrit une introduction à Lettre à un Hindou de Tolstoï, rédigée en réponse à la violence des nationalistes indiens. Certains pensent que, sans Tolstoï, Gandhi n’aurait peut-être jamais été aussi déterminé à mener une action aussi non-violente qui fit sa gloire

La scène 1, Le Champ de Justice de Kuru, rappelle les combats mythiques entre les Kuruvas et les Pandavas. Le prince Arjuna s’adresse à Krishna pour lui demander conseil. « Considère la victoire et la défaite comme étant identiques : puis prépare-toi à te battre. Ainsi, tu n’attireras aucun mal sur toi-même. » Gandhi apparaît et établit un parallèle entre passé et présent.

La scène 2 s’intitule La ferme de Tolstoï (1910). A l’origine de la première action collective en Afrique du Sud de ses partisans, les Satyagrahis, Gandhi établit une ferme coopérative dont les participants mènent une vie simple et harmonieuse. Tous les rédacteurs du journal participent aux travaux agricoles et reçoivent le même salaire sans distinction de métier, de nationalité ou de couleur de peau. L’accent est mis sur la contemplation et l’action.

La scène 3 (Le serment – 1906) évoque la proposition de loi dite du Black Act. Elle consistait en la réinscription des Indiens d’Afrique du Sud sur les registres, avec l’obligation des empreintes digitales, la possession d’un permis de résident, le droit pour la police de pénétrer dans les foyers pour vérification, la perspective de sanctions pouvant aller jusqu’à la déportation. Le Black Act suscita une manifestation de plus de 3000 personnes. C’est l’heure pour les Satyagrahis de prendre position et de s’engager dans un choix capital pour leur liberté.

Sur l’acte II plane l’ombre de Rabindranath Tagore, sage indien qui fut l’un des grands inspirateurs de Gandhi, qui le reconnaissait comme seule autorité morale en vie. Il symbolise le présent. La scène 1 (Confrontation et sauvetage –1896) remémore le séjour de Gandhi en Inde, au cours duquel il a alerté sur la situation des Indiens en Afrique du Sud. Il est en butte à une vive opposition lorsqu’il revient à Durban. La foule en fureur le poursuit lors de sa longue marche dans la ville. C’est alors que la femme du superintendant de la police ouvre son parapluie pour protéger Gandhi du lynchage et le mener en lieu sûr.

La scène 2 (Indian Opinion – 1906) insiste sur le rôle essentiel  que joua la publication hebdomadaire du journal Indian opinion dans le développement du mouvement du Satyagraha. Moyen d’information de choix, véritable force politique, il devint un atout de poids dans le combat pour les droits.

La scène 3 est intitulée Protestation (1908). Après l’emprisonnement des leaders du mouvement, les Satyagrahis se révoltent en se faisant arrêter pour différents délits et en remplissant la prison. Le gouvernement propose alors que si la majorité des Indiens accepte l’enregistrement volontaire sur les registres, le Black Act sera abrogé. Mais il ne respecte pas sa promesse et les Indiens prennent la décision de brûler leur certificat. Gandhi prêche alors l’importance de ne concevoir aucune haine pour quiconque : « Que l’homme se défasse de l’idée du « moi » et du « mien », égal dans la plaisir comme dans la douleur et les longues souffrances. »

L’acte III (King) fait référence à Martin Luther King, qui représente le futur. Selon Philip Glass, il est le Gandhi américain. Il est sous-titré New Castle March (1913). Des lois raciales discriminatoires permettent au gouvernement d’Afrique du Sud de contrôler l’afflux de nouveaux colons indiens et de dominer l’ancienne classe de travailleurs. Shree Gokhale, grand dirigeant indien en visite en Afrique du Sud, obtient la promesse de voir ces lois injustes abolies. Devant les reculades du pouvoir, Satyagraha voit le nombre de ses adeptes croître. Les mineurs de New Castle organisent alors une grève par solidarité avec le mouvement de Gandhi. Ils quittent leurs maisons et, conduits par Gandhi, ils marchent durant soixante  kilomètres jusqu’à la frontière du Transvaal. La pression sur le gouvernement est telle que tous se tiennent prêts à une épreuve sans opposition, « comme une protestation efficace contre le manque de parole du Ministre et comme une pure démonstration de notre désarroi devant l’abandon du respect de soi. »  Au sujet du retour de l’âme vers Brahma, Gandhi proclame alors : « Car à chaque fois que la loi des vertueux s’estompe et que l’anarchie s’élève, alors je me régénère sur terre. Je reviens vers vous d’un âge à l’autre sous une forme visible et remplace un homme par d’autres hommes pour protéger le bien et repousser le mal en y installant la vertu sur son trône. »

Satyagraha_King.jpg

Acte III, King (Photo Ken Howard)

Pour servir une telle histoire d’abnégation et denon-violence, il fallait une mise en scène à la hauteur de la beauté morale du personnage. Celle-ci remplit toutes ses promesses grâce à Phelim McDemott et Julian Crouch, qui ont créé une mise en scène d’une grande intensité théâtrale, réalisant « une magistrale fusion entre le son et l’image », ainsi que l’écrit le Times of London.

Même si la traduction du texte en sanscrit n’est pas proposée, la simplicité du décor permet une grande lisibilité. L’ensemble des tableaux prennent place à l’intérieur d’un haut mur de tôle en onduline, censé représenter l’enfermement des Indiens ghettoïsés en Afrique du Sud. Ce mur du rejet tombera à l’acte III pour laisser place à Martin Luther King, de dos, haranguant les foules du haut d’une tribune. On se souvient de la célèbre phrase : « J’ai fait un rêve… » et sa silhouette ne peut que faire songer à Obama. A plusieurs moments, les Satyagrahis émergent du bas de ce mur et y demeurent accroupis, à l’écoute du message de Gandhi.

On a vu que chaque acte était consacré à un personnage célèbre. C’est ainsi qu’on voit successivement Tolstoï, Tagore et King s’habiller avec les vêtements de leur personnage et, aidés par les membres du chœur, prendre place dans un emplacement en hauteur, d’où ils dominent l’action.

Le décorateur explique qu’il a employé les matériaux les plus simples pour créer accessoires et décor. Le sol est ainsi recouvert de papier journal qui forme comme un tapis. Ce matériau sera surtout utilisé dans la scène 2 de l’acte II, centré sur le rôle essentiel que joua l’hebdomadaire Indian Opinion.

Les extraordinaires marionnettes de l’acte I sont en papier mâché. Actionnées par les membres du chœur, elles symbolisent les combattants mythiques que sont les Kuruvas et les Pandavas. Au début de l’acte II, le fond de scène sera envahi par des personnages monstrueux, aux têtes énormes, figures des puissants et des nantis, eux aussi confectionnés en papier mâché. De même, des monstres à la Jérôme Bosch apparaîtront à la fenêtre du fond de scène,  comme autant de fantasmes habitant la tête de Gandhi.

satyagraha monstres

Acte II, Tagore

On admirera encore la beauté des costumes des femmes indiennes qui accompagnent Gandhi. D’un bleu violet, dans le premier acte, ils prendront par la suite des teintes solaires et mordorées. Quant au dieu Krishna, présent au début et à la fin de l’opéra, il est rendu particulièrement identifiable grâce à la peinture bleue qui recouvre son visage et à sa longue chevelure noire et luisante. Gandhi, pour sa part, chaussé de sandales, porte le dhoti, vêtement indien blanc en coton traditionnel qui le rendit célèbre. Le bas de tous les vêtements est légèrement teinté d’ocre, comme pour rappeler la poussière des chemins que les Satyagrahis foulèrent pendant leurs années de lutte.

L’ensemble de cette mise en scène est d’un grand lyrisme et sert au plus près le message novateur de Gandhi. Les symboles y sont très nombreux. Ainsi, on remarquera les signes d’une élévation morale avec ce personnage féminin qui monte dans les cintres et la présence en hauteur de Martin Luther King à la tribune, déjà mentionnée. On sera sensible à la beauté profonde de la scène où les Satyagrahis, tous vêtus de blanc, se défont de leurs lampes- tempêtes qu’ils portent à la main et qui s’élèvent vers le ciel. Ensuite, ils mettent le feu à leur certificat de résidence, créant ainsi un feu libérateur. On retiendra encore l’intensité de la scène 1 de l’acte II, dans laquelle les Africains du Sud prêtent la main au lynchage de Gandhi, cerné par cette foule hostile.

Servie encore par un remarquable travail sur la lumière, froide au premier acte, plus solaire par la suite, cette mise en scène inventive fourmille de trouvailles. Si on peut regretter l’absence de traduction continue et la répétitivité de certains airs, notamment au cours du dernier acte, on est séduit par la force et l’émotion d’un spectaclequi prend parfois la forme d’une cérémonie sacrée.

L’orchestre, quant à lui, conduit par Dante Anzolini, soutient avec force ce long chant de la non-violence. Avec cet opéra, Philip Glass cherche à montrer l’actualité du message de Gandhi. « Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec ce qui se passe actuellement à New-York et l’attitude des Indignés. […] Mais il est choquant de constater que soixante ans après la mort de celui qui posa les bases de la non-violence moderne, ce principe ne soit toujours pas respecté. » Cette magnifique mise en scène nous invite à l'entendre.

 

Sources :

Le Figaro -Musique, Gandhi indigné dans l'opéra de Philip Glass

Sortir ici et ailleurs, Satyagraha, opéra de Philip Glass en direct du Met

Satyagraha (opéra) Wikipédia

Metropolitan Opéra International Radio Broascast Information Center – Satyagraha de Philip Glass

 


 

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22 novembre 2011 2 22 /11 /novembre /2011 19:08

 

 Rouissoirs-2.JPG

 Rouissoir à chanvre dans la plaine de Rou-Marson 

(Photo ex-libris.over-blog.com)

 

Le soleil à son plein

La pierre du bassin

La mare verte au chanvre

L’eau y est une chambre

Les bottes y rouissent

Dans la fraîcheur propice

 

Mardi 22 novembre 2011

 

 Rouissoirs 3

A Rou

(Photo ex-libris.over-blog.com)

 

 

Pour la communauté de Hauteclaire, Entre Ombre et Lumière,

Thème : au bord de l’eau

 

 


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18 novembre 2011 5 18 /11 /novembre /2011 13:45

  Les tambours de Tokyo Eizi Kitada

  Les Tambours de Tokyo (Photo Eizi Kitada)

 

 

 

Jeudi 17 novembre 2011, la nuit saumuroise a retenti des roulements des Tambours de Tokyo, en représentation à la salle Beaurepaire. Le cœur des spectateurs à vibré au propre et au figuré au son de ces tambours venus du Pays du Soleil levant.

Devant une salle comble, les six artistes du groupe O Edo Sukeroku Taïko ont démontré les  possibilités infinies de ces Taïko(s), tambours issus d’un Japon du fond des âges, et qui battent la marche du monde. On en trouverait en effet déjà des traces au VI° siècle dans les sépultures sous tumulus, les kofun(s), renfermant des figurines en terre cuite représentées un tambour à la main.

Les silhouettes fines et chorégraphiques des musiciens ont animé un décor, dont le fond est constitué de deux représentations en rouge, blanc et noir d’un personnage très populaire du théâtre kabuki, Sukeroku, samouraï au courage et au charme renommés. Le nom de ce dernier est d’ailleurs une des composantes du nom de cet ensemble, Edo étant quant à lui l’ancien nom de Tokyo.

En batteur confirmé de ces fêtes japonaises où le tambour a une place essentielle, Seïdo Kobayashi, créateur du groupe en 1959,  avait vite compris les potentialités de son instrument. C’est ainsi qu’il se met à exercer son art au-delà des fêtes de l’été. Il commence à composer très jeune et crée son groupe alors qu’il n’est encore qu’un adolescent. Très rapidement, il invente une nouvelle forme de percussions utilisant simultanément deux tambours qu’il frappe en évoluant sur les rythmes qu’il compose.

 

 

Kobayashi-Seido.jpgLe Maître Kobayashi Seïdo


Les spectateurs ont admiré les formes variées de ces Taïko(s), tambours au glacis brun rouge ou plus orangé, joués avec des baguettes courtes ou des mailloches et disposés sur des socles de bois noir ou rouge laqué.

Deux sortes de Taïko sont ici usités : le O Daïko, grand tambour ou tambour moyen (de 45 à 90 cm de diamètre). Il est composé de deux peaux de génisse ou de cheval, clouées sur un tronc en forme de tonneau. Les possibilités de l’instrument sont multiples du fait que l’on frappe aussi bien les membranes que les bordures de bois ou encore les chevilles de fixation des peaux avec deux bâtons de bois, dont la taille varie en fonction de la taille du tambour.

L’autre tambour est le Shime Daïko, dit aussi « tambour lié ». Cet instrument est en effet tenu serré par des cordes d’assemblages. Celles-ci tendent les peaux, renforcées à l’emplacement de la frappe par un rond en peau de daim. On l’utilise avec deux baguettes, courtes et fines. Dans le théâtre No, le Shime Daïko marque l’apparition des dieux, des héros ou des esprits.

Aux spectateurs qui se sont peu à peu accoutumés au roulement intense des instruments, les artistes, tels des elfes bondissant, ont offert un spectacle rare. Avec leur maître, l’extraordinaire Seïdo Kobayashi, créateur du groupe en 1959, quatre jeunes hommes et une jeune femme nous ont montré tout ce qu’il est possible de faire avec un tambour. Sur des compositions originales du maître, ils ont ainsi célébré le mouvement des vagues, l’orage, le passage des saisons, les cerisiers en fleur…

En duo, trio, quatuor ou tous ensemble, avec tous les tambours ou seulement quelques-uns, ils ont accompagné de leur corps, et souvent de leur voix, le rythme fascinant de l’instrument. Moulés dans un collant bleu-marine, chaussés de ballerines de gymnastique, changeant de couleur de veste au gré des compositions, une fine cordelette nouée autour de la tête, ils nous ont proposé une chorégraphie vive et colorée, tirée au cordeau, dans laquelle la concentration se conjugue à la vélocité et à la précision.

Souvent de profil et les jambes fendues devant leur instrument, dans un état de tension extrême, avec parfois un léger sourire aux lèvres, ils ont frappé de toute la force de leurs bras minces et musclés les membranes sonores. Passant avec aisance et souplesse d’un tambour à l’autre, ils ont manié avec une dextérité que pourrait leur envier la moindre majorette leurs baguettes de bois, ils ont fait des sauts périlleux, tout en modulant le rythme des battements, ménageant les temps d’attente, les reprises, les accélérations, pour atteindre à l’acmé du roulement, juste avant la chute dans le grand silence.

A la fin de la représentation, la jeune artiste s’est adressée au public debout qui applaudissait à tout rompre. Elle lui a demandé de communiquer son énergie aux victimes du récent tsunami par le rythme de ses applaudissements et la répétition de deux syllabes vocaliques. Une attention délicate qui a conféré à la prestation des six artistes une dimension émouvante.

A la lisière de la musique, de la danse, de la gymnastique, du chant et de l’art martial, parfait reflet de l’âme d’un pays, Les Tambours de Tokyo est un spectacle total, dont la vibration intense résonne en vous très longtemps.

 


 

Sources :

Dépliant du spectacle : Saumur présente O Edo Sukeroku Taïko, Les Tambours de Tokyo

 

 

 

 


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17 novembre 2011 4 17 /11 /novembre /2011 15:18

 femme marchant de dos

Femme debout, marchant de dos, Bernardino Poccetti (Fin XVI°-Début XVII°)

Le Louvre, Département des Arts graphiques

 

 

 

Tes pas, enfants de mon silence,

Saintement, lentement placés,

Vers le lit de ma vigilance,

Procèdent muets et glacés.

 

Personne pure, ombre divine ;

Qu’ils sont doux tes pas retenus,

Dieux !… Tous les dons que je devine

Viennent à moi sur ces pieds nus !

 

Si, de tes lèvres avancées,

Tu prépares pour l’apaiser

A l’habitant de mes pensées

La nourriture d’un baiser,

 

Ne hâte pas cet acte tendre,

Douceur d’être et de n’être pas,

Car j’ai vécu de vous attendre

Et mon cœur n’était que vos pas.

 

                                    Charmes, 1922

 

Cette suite de quatre quatrains octosyllabiques en rimes croisées occupe une place privilégiée dans mon anthologie personnelle. Je l’ai apprise il y a bien longtemps et j’aime à me la réciter en silence. Peut-être est-ce dû au charme mystérieux qui en émane, enclos déjà dans le titre du recueil Charmes, le terme latin « carmina » signifiant à la fois poèmes et chants magiques.

Sans doute cette prédilection tient-elle aussi à la polysémie du poème, dont on ne sait s’il décrit l’attente de la femme aimée, de la Muse ou encore de la Mort.

J’en aime la simplicité extrême, alliant un lexique abstrait à une expression plus sensuelle, qui baigne dans une discrète aura antique et mythologique. J’en admire la beauté plastique, qui me donne à imaginer cette silhouette féminine intemporelle, venue visiter le poète.

Le poète propose ici un texte clos sur lui-même grâce à la double occurrence du substantif « pas » dans le premier et le dernier vers. Il surprend avec le passage délicat du tutoiement au vouvoiement dans le dernier quatrain, comme s’il souhaitait établir une distance entre cet être mystérieux et lui-même.

C’est ce subtil équilibre entre tous ces éléments qui confère une dimension philosophique quasi mystique à un poème qui nous dit l’intensité extrême de l’instant en suspens, juste avant la rencontre amoureuse, l’acte d’écrire ou la venue de la Mort.

 

 

 

Pour les Jeudis en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème proposé par ABC : l’attente

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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16 novembre 2011 3 16 /11 /novembre /2011 14:41

Régnier

 Lettre écrite par Henri de Régnier à un jeune poète, père d'un de mes amis 

(Photo ex-libris.over-blog.com)

 

 

Le onze onze onze, c’était mon anniversaire. A cette occasion, un ami m’a offert une lettre du poète Henri de Régnier. Postée le 22 novembre 1933 de la rue Singer, Paris XVI°, elle est datée du 21 novembre 1933. Elle fut écrite au père de cet ami, alors qu’il était tout jeune professeur à l’institution du Sacré-Cœur à Annonay dans l’Ardèche, et qu’il s’essayait à la poésie. J’en restitue ici la teneur :

 

Cher Monsieur,

 

J’ai bien reçu votre aimable lettre et j’ai lu avec beaucoup d’intérêt le sonnet qu’elle m’apportait, ayant aussi écrit de nombreux « vers de jeunesse » avant d’acquérir une forme personnelle. Les vôtres sont encore jeunes mais ils témoignent d’un réel sentiment poétique. Le reste viendra avec le temps et le travail.

Croyez, cher Monsieur, à mes sentiments sympathiques.

 

Henri de Régnier

 

Considéré souvent comme un symboliste 1900, un peu désuet, Henri de Régnier fut le gendre de José-Maria de Heredia : il avait épousé sa seconde fille Marie, connue sous le pseudonyme de Gérard d’Houville. Il fut malheureux en amour puisque la poétesse aima Gabriele d'Annunzio et entretint une relation avec Pierre Louÿs, le  mari de sa propre soeur. Elle en eut un fils que Pierre Louÿs reconnut.

A la lisière du Parnasse et du symbolisme, ce poète « de suprême élégance et de détachement », que ses amis appelaient Stick, sut user avec art des thèmes du baroque et dire « un passé obsédant dont on sent le poids et la marque ». Empreinte de mythologie et de panthéisme, sa poésie, où les éléments ont une grande place, est celle des reflets et des métamorphoses.

J’ignore quelle fut la réaction de l’apprenti-poète à la lecture de cette courte missive, écrite par cet écrivain, âgé de soixante-neuf ans, qui allait disparaître trois ans plus tard. Celui dont les poèmes « ne portent nulle marque d’effort » (La Revue des revues, 15 janvier 1896) l’enjoignait à travailler sur la durée, tout en reconnaissant son don poétique.

Pour ce jeune professeur féru de poésie, écrire à Henri de Régnier, c’était alors s’adresser à un écrivain reconnu qui, avec son élection en 1911, avait fait entrer le symbolisme à l’Académie française. Dans cette courte lettre cependant, ni morgue ni mépris, simplement un conseil amical de la part d’un auteur qui écrivait : « Juger est quelquefois un plaisir, comprendre en est toujours un. »

La démarche du père de mon ami est aussi celle d’une génération d’hommes qui avaient fait leurs humanités et étaient nourris de culture classique. Elle me rappelle aussi celle de mon père qui avait écrit à François Mauriac pour lui demander des conseils sur l'orientation de sa vie. A cette époque, on savait admirer et on se cherchait des mentors. Le jeune homme qui écrivait à Henri de Régnier a fait le choix de la carrière des armes ; mon père a repris l’étude paternelle de notaire. Ils sont cependant tous deux demeurés ces hommes ardents dans le cœur de qui couve la flamme de la poésie, capables de composer un sonnet à l’improvisade et de réciter par cœur d’innombrables poèmes jamais oubliés.

Odelette 2
 Si j'ai parlé  
 De mon amour, c'est à l'eau lente  
 Qui m'écoute quand je me penche  
 Sur elle ; si j'ai parlé  
 De mon amour, c'est au vent  
 Qui rit et chuchote entre les branches ;  
 Si j'ai parlé de mon amour, c'est à l'oiseau  
 Qui passe et chante  
 
 Avec le vent ;  
 Si j'ai parlé  
 C'est à l'écho,  
 
 Si j'ai aimé de grand amour,  
 Triste ou joyeux,  
 Ce sont tes yeux ;  
 Si j'ai aimé de grand amour,  
 Ce fut ta bouche grave et douce,  
 Ce fut ta bouche ;  
 Si j'ai aimé de grand amour,  
 Ce furent ta chair tiède et tes mains fraîches,  
 Et c'est ton ombre que je cherche.  
 

Henri de Régnier, Les Jeux rustiques et divins


henri-de-régnier

Henri de Régnier (1864-1936)

 

 

 

 

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14 novembre 2011 1 14 /11 /novembre /2011 09:46

Io-Giovanni-Benedetto-Castiglione--fin-XVII--Caen-Musee-d.jpg

Io, Giovanni Benedetto Castiglione, Fin XVII°,

Musée des Beaux-Arts de Caen

(Photo base Joconde)

 

C'est une bien étrange histoire qui était arrivée à la fille de ferme de Maître Jupien, tout là-bas, dans les montagnes vertes du Morvan. Je me rappelle que Paullon, le vieux garde-champêtre du village, me l'avait racontée quand j'étais petite et que je séjournais chez ma grand-mère près de Bourbon-Lancy, là où Madame de Sévigné allait aux eaux. J'étais alors une petite fille impressionnable et son récit m'avait beaucoup marquée. Maintenant, je me dis qu'il devait être un brin menteur, un peu niacouet, comme disait mon aïeule.

A cette époque-là, avant la guerre, le Paullon, c’était un beau gars timide aux cheveux ondulés. Ce qu’il préférait, c’était jouer de la viole au bal le dimanche. Pour vivre, il aidait à la forge. Il m’avait laissé entendre qu’il en pinçait ferme pour la vachère de Maître Jupien. Il aurait vendu son âme au diable pour la bicher rien qu’une fois et il la suivait souvent sans qu’elle s’en doutât.

Cette Ionia- c’était son nom- avait été placée « en ferme », comme on disait alors en ce temps, chez le plus gros propriétaire terrien de la région. Elle était encore toute jeunette mais déjà si belle, m’avait dit Paullon avec gourmandise. Sa peau était laiteuse, de la blancheur du drap sous la pleine lune, et il n’osait la toucher quand il la rencontrait. Il se contentait de l’admirer de loin.

Elle avait une tête petite, avec un front large et de délicates oreilles un peu allongées. Celles-ci disparaissaient à demi sous sa coiffe de baptiste à tuyaux, qui lui faisaient comme de minuscules cornes. Paullon frissonnait quand elle babignotait en passant sa mignonne langue rose sur ses lèvres, ourlées comme un coquillage. Quant à sa silhouette, je ne vous dis que ça ! Une poitrine bombée sous le corsage à lacets et une croupe arrondie que lui enviaient les femelles du voisinage. Mais elle était dans l’innocence de ses quinze années et ignorait tout de sa séduction animale.

Lui, Maître Jupien, c’était un vrai tyranneau de province, fort en gueule et autoritaire. Un homme de haute stature, bien de sa personne comme on dit, avec une barbe drue, si noire et si luisante que certains l’appelaient Barbe-Bleue. C’était un des derniers fauconnier du pays et quand il chassait avec sa bête au poing, ses yeux lançaient des éclairs.

Sa renommée de don Juan n’était plus à faire et Ionia, la pauvre oie blanche, n’avait guère pu lui résister. Un soir de moisson, elle n’avait eu qu’à ouvrir les cuisses qu’elle avait longues et musclées par les travaux des champs. Ensuite, pour la pauvre chambière, ça avait été l’enfer. Maître Jupien l’avait dans la peau et il la guettait tout le long du jour. Il la surprenait à la cuisine, dans la souillarde, au cellier, à l’étable, au fenil, derrière la haie vive du grand champ quand elle n’était pas sur ses gardes. Comment voulez-vous qu’une servante comme elle lui résiste ? N’était-il pas le maître de céans ? Un maître, on lui obéit, lui avait recommandé sa mère. Sinon, ça fait des embrouilles ! Et puis, c’était devenu une habitude et quand il la forçait, elle ne sentait plus rien.

Non, ce qu’elle craignait bien plutôt, c’était la maîtresse, une forte femme blonde bien en chair, jalouse et acariâtre. Elle regardait souvent sa petite vachère d’un œil méchant et lui cherchait des noises. Divine qu’elle s’appelait mais, vrai, c’était un nom qu’elle ne méritait pas ! Elle avait chargé Graus, un valet de ferme venu de la Suisse, sournois et méchant, de la surveiller. La Divine, il ne fallait pas lui en conter : c’est qu’elle y tenait à son Jupien de mari ! Et Graus, croyez-moi, il avait des yeux partout ! Depuis des mois que ça durait, la pauvre Ionia n’en pouvait plus et elle avait même songé à s’enfuir. Mais pour aller où ? Elle ne possédait  pas un sou vaillant.

Ce matin-là, on était au début du mois de juillet et le temps était à l’orage. Paullon, qui venait  vers le village sur la sente à l’âne, avait soudain entendu un air de pipeau. Il avait alors vu de loin Ionia et Graus en façon de chaperon qui conduisaient les dix génisses vers le pré. Il s’était acassi précipitamment derrière la haie de sureaux et de noisetiers et avait laissé passer le duo et le troupeau.

L’air était lourd et pesait sur lui comme le couvercle d’une marmite. Une énorme nuée grise aux formes monstrueuses avait envahi tout l’espace. Ses vêtements lui collaient à la peau et il s’était senti mal. Je ne vais quand même pas défaillir comme une femmelette, avait pensé Paullon. Il se souvenait encore du vrombissement de nombreux taons au cul des génisses et de l’affolement de celles-ci, galopant dans tous les sens. Armés de leurs seuls aiguillons, Ionia et Graus avaient eu bien du mal à les faire pénétrer dans le champ.

Et puis l’orage avait tonné comme jamais. Les écluses du ciel morvandiau s’étaient ouvertes avec fracas, tels des tonneaux sans bonde. Ca avait été une véritable beurrée, un cataclysme qui avait aveuglé le Paullon et l’avait laissé trempé comme Noé après le Déluge.

Quand le ciel s’était enfin éclairci, l’amoureux transi aux aguets avait vu apparaître le Jupien flanqué de Divine qui couraient vers le pré pour ramener les bêtes à l’étable. Dans mon souvenir, je me rappelle qu’à ce moment de son récit, le Paullon avait pris un temps de répit et qu’il m’avait fixée, les yeux exorbités. Tu me croiras si tu veux, gamine, avait-il murmuré : Ionia avait disparu, elle s’était volatilisée comme par miracle- ou maléfice- bien malin qui le sait. Quant à Graus, non content d’avoir été foudroyé, son cadavre gisait désarticulé sur l’herbe verte car les génisses en folie l’avaient piétiné sans pitié. Enfin, c’était pas Dieu possible, les maîtres et le Paullon avaient aperçu un magnifique paon égaré dans le pré et déambulant avec indifférence au milieu des bêtes, toutes meugnies et redevenues calmes.

Le vieux garde-champêtre se souvenait que, devant ce spectacle terrible, il avait vu un sourire de triomphe glisser, imperceptible, sur le visage de Divine et qu’elle avait caressé la manche de velours lustré de son mari. Les yeux tout embués de larmes, Paullon avait rajouté : Tu sais, petite, Ionia, la pauvre fille de ferme, si moi je ne l’ai jamais oubliée, elle, on ne l’a jamais revue. Il y en a même qui disent qu’elle est devenue une vache !

 

Pour le Défi de la Semaine n° 68,

Thème proposé par ABC : sur la photo de génisses dans un pré.

Montrez-nous précisément ce que vous avez vu et peut-être entendu

 

 

 


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La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

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