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15 avril 2021 4 15 /04 /avril /2021 15:12

L’ouvrage Les plus beaux manuscrits de la littérature française de Roselyne de Ayala et Jean-Pierre Guéno propose à notre admiration les grands manuscrits de notre littérature. De Lancelot (vers 1225) à La balade des siècles d’Andrée Chédid (1987), en passant par les Mémoires du duc de Saint-Simon (1697) ou encore Aurélia de Nerval (1855), on découvre l’écriture de chaque écrivain, les ratures, les ajouts, la disposition sur la page… Les auteurs de ce beau livre le précisent: « Ils [ces manuscrits] vous expliqueront le manuscrit de premier jet, celui qui immortalise l’instant de la création, le manuscrit de travail, les rédactions successives, les versions définitives, les manuscrits destinés à l’impression, les copies autographes, les brouillons, les notes, les épreuves corrigées à la main. » Ils nous permettent de comprendre comment « un texte prend ses racines dans son manuscrit original ».

Pour Proust, les auteurs proposent un manuscrit autographe de La Recherche, extrait de Du côté de chez Swann, développement des cahiers du Contre Sainte-Beuve, Cahier 25, Esquisse ancienne, 1909. Devant cette page difficilement lisible, je me suis mise en quête de la manière dont il écrivait. Jean-Yves Tadié explique que Proust, à partir de 1907-1908, n’écrit pas à une table mais dans son lit. Il écrit sur ses genoux, à la plume, avec une bouteille d’encre. On trouve encore des additions au crayon de différentes couleurs. Il a commencé à écrire sur de petits carnets dont la BNF possède quatre exemplaires (300 pages). Ensuite, il écrit sur les premiers 75 feuillets que Gallimard vient de publier. Il utilisera ensuite des cahiers d’écolier avec des lignes (prolongement de l’enfance ?) cartonnés, en moleskine noire de 100 ou 200 pages. Au nombre de 75, ils sont déposés à la BNF.

Proust rédige donc seul à la main tout ou partie du récit, mais à la fin de sa vie il lui arrivera de dicter à son entourage. Ensuite il dactylographie ou fait dactylographier son texte à la machine. Sur le manuscrit autographe, extrait du cahier 25, on se rend compte du grand nombre de ratures, reprises, repentirs ou remords qui rendent la page malaisée à déchiffrer. Proust parlera d’ « ajoutages », de « becquets », de « surnourriture » ou de « réinfusion » et l’on connaît ces pages, ornementées de « paperolles », des papiers collés sur les pages pour enrichir le premier jet de l’écriture. Devant la multiplicité des brouillons, manuscrits, dactylographies, très retouchées elles aussi, on comprend la difficulté extrême à mettre au point le texte définitif d’une œuvre qui comporte un million et demi de mots, cauchemar  pour les imprimeurs.

Le Temps retrouvé, brouillon autographe avec paperolles

Sources :

« Marcel Proust, côté paperolles », France-Culture, le 13/10/2013

« Proust et le prote : l’enfer typographique de la Recherche » – Proustonomics – le 13 août 2020

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15 avril 2021 4 15 /04 /avril /2021 10:52

Vue de Delft, Johannes Vermeer

C’est un poème que j’ai écrit le lundi 19 avril 2010, après avoir lu la mort de Bergotte :

 

« Au Jeu de Paume »

 

Un pan de mur jaune

Avec un auvent,

Vermeer le peignit

Il y a longtemps

 

C’est au Jeu de Paume

Et je suis devant

Le tableau flamand

 

Delft dort dans l’ombre

Et le sable est rose

Rouges sont les toits

Bleues sont les tourelles

Bleus les personnages

Dessous les nuages

Et les coques noires

Dessus l’eau miroir

 

C’est au Jeu de Paume

Bergotte est devant

Le tableau flamand

 

Le pan de mur jaune

Est un papillon

Aux couleurs saumon

 

Crise d’urémie

En pleine agonie

Et tout étourdi

Voilà qu’il se dit

J’ai raté ma vie

 

J’aurais dû écrire

Mieux mes mots polir

Et puis les jaunir

Comme de la cire

Et rendre précieuse

La phrase menteuse

 

Perfection du mur

Que l’art transfigure

Chinoisante épure

Un matériau pur

Dit son imposture

 

C’est au Jeu de Paume

Un pan de mur jaune

Un autre royaume  

Le mur de Vermeer

Qu’y-a-t-il derrière

La mort un mystère

   

Dans Sodome et Gomorrhe, au cours d’une conversation entre le baron de Charlus et le Narrateur, le premier en proie à son « idée fixe » s’écrie : « C’est si beau, le moment où Carlos Herrera demande le nom du château devant lequel passe sa calèche : c’est Rastignac, la demeure du jeune homme qu’il a aimé autrefois. Et l’abbé alors de tomber dans une rêverie que Swann appelait, ce qui était bien spirituel, la Tristesse d’Olympio de la pédérastie. Et la mort de Lucien ! Je ne me rappelle plus quel homme de goût avait eu cette réponse, à qui lui demandait quel événement l’avait le plus affligé dans sa vie : « La mort de Lucien de Rubempré dans Splendeurs et Misères. » On sait que « l’homme de goût » était Oscar Wilde, dont Marco Vargas Llosa, le grand écrivain péruvien, commente ainsi la phrase : « Une poignée de personnages littéraires ont marqué ma vie de façon plus durable qu'une bonne partie des êtres en chair et en os que j'ai connus. »

Pour ma part, j’avais été très impressionnée en lisant, dans La Prisonnière, la mort de Bergotte, ce personnage qui incarne le type même du romancier. Sans doute inspiré à Proust par Anatole France et Paul Bourget, cet écrivain admiré du Narrateur, alors qu’il est en proie à une violente crise d’urémie, se lève et quitte son domicile pour aller admirer la Vue de Delft de Vermeer. En regardant le « petit pan de mur jaune », il s'écroule mort.

On sait qu’en 1902, Marcel Proust avait fait un voyage aux Pays-Bas. Durant sa visite au Mauritshuis, il avait été frappé par la Vue de Delft de Johannes Vermeer. Ce dernier était ainsi devenu le peintre préféré de Proust. Mais c’est l’ « Exposition hollandaise de tableaux anciens et modernes », du 21 avril au 31 mai 1921 et prolongée jusqu’au 12 juin, dans la salle du Jeu de Paume, qui inspira Proust pour cette scène de La Recherche abondamment commentée. Y étaient exposées trois œuvres essentielles du « sphinx de Delft » : La jeune fille à la perle, La laitière et la Vue de Delft. Après avoir lu le compte rendu qu’en fit Jean-Louis Vaudoyer dans L’Opinion, Proust lui écrivit en date du 1er mai 1921 : « Depuis que j’ai vu au musée de La Haye la Vue de Delft, j’ai su que j’avais vu le plus beau tableau du monde. Dans Du côté de chez Swann, je n’ai pu m’empêcher de faire travailler Swann à une étude sur Vermeer. Je n’osais espérer que vous rendiez une telle justice à ce maître inouï. »  Un matin, entre le 18 et le 21 mai, Proust, « sans s’être couché la nuit précédente » et qui se définit alors comme « le mort que je suis », vit enfin l’exposition au bras de Vaudoyer. Dans le texte, Proust reprend la présence du critique et son éloge de la Vue de Delft. Quelques-unes des phrases du passage ont été les dernières écrites par Proust agonisant. A travers les « étourdissements » de Bergotte, Proust revit ses propres angoisses d’asthmatique.

C’est un passage capital qui permet à Proust d’exprimer son esthétique du roman en se servant de l’esthétique picturale. A travers le personnage de Bergotte, il fustige un art factice dont il rejette « la sécheresse et l’inutilité », pour établir un lien entre la couleur « précieuse » du petit pan de mur et le style d’écrivain. Tant il est vrai que, pour le peintre comme pour l’écrivain, tout le style est dans la vision. Enfin, dans ce célébrissime extrait, l’art apparaît bien comme un « anti-destin » : « de sorte que l’idée Bergotte n'était pas mort à jamais est sans invraisemblance. » Et quelle émotion devant « ses livres disposés trois par trois » qui, « comme des anges […] semblaient, pour celui qui n'était plus, le symbole de sa résurrection » !

Lecture du passage par François Bon :

https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=video&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjasreB_v_vAhUqA2MBHb72DhoQtwIwA3oECAYQAw&url=https%3A%2F%2Fwww.youtube.com%2Fwatch%3Fv%3DJ8RdnK39mXo&usg=AOvVaw2XtPQ1wt-H2-osLqhhIjvP

 

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12 avril 2021 1 12 /04 /avril /2021 18:48

 

Dédié à Gilberte Enthoven, « proustienne par sa bonté, son prénom et son amour des fleurs », Le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, publié en 2013, est une œuvre à quatre mains, écrite par Jean-Paul Enthoven et son fils Raphaël. De sensibilité différente, ils se sont amusés « à se donner raison puis tort à mesure qu’ils se promenaient, ensemble ou séparément » dans la Recherche.

Dans une interview à deux voix sur France-Culture, Proust de A à Z, le 04 octobre 2013, ils expriment leur passion pour ce « bréviaire de l’esprit français », sans équivalent dans la littérature européenne. Expliquant que le lecteur peut entamer l’œuvre  à n’importe quel endroit, ils multiplient les entrées de leur dictionnaire, en se promenant « à sauts et à gambades, d’ « Agonie » à « Zinédine (de Guermantes) », en passant par « Caca » ou « Sartre (Jean-Paul) ». La surprise est ainsi au rendez-vous.

C’est un ouvrage de 700 pages qui est un véritable kaléidoscope, « un tourbillon paperollien », dans lequel la dimension comique de l’œuvre est mise en relief. Insistant sur la « prolifération interne » (paperolles et béquets) qui fait que « la phrase grossit de l’intérieur », Raphaël Enthoven précise que le livre a augmenté entre deux mots « long » et « temps », « longtemps » étant le premier mot de la Recherche et « temps », le dernier.

Citant de multiples anecdotes, s’interrogeant sur ce que pouvait être la voix de Marcel Proust, « juchée, ouatée, de velours », le père et le fils expliquent comment l’auteur fut « l’entomologiste des insectes humains », dans ce roman de 3 000 pages qui « parle le mieux des hommes ». Et de citer la phrase extraordinaire de Céleste Albaret à son maître partant pour une soirée mondaine : « Ce soir, Monsieur se fait pèlerin de ses personnages. »

Ils insistent aussi bien sûr sur la prééminence du sens de l’olfaction (l’odeur des asperges, de la marquise aux Champs-Elysées…), la présence de 367 variétés de fleurs, et les innombrables métaphores végétales. Alors que l’orchidée (le catleya) est la fleur vénéneuse, obscène, associée à Odette la cocotte, l’aubépine symbolise l’innocence et Gilberte.

Ils font aussi de multiples remarques sur les noms, remarquant que dans Gilberte et Albertine, on retrouve sans doute le souvenir de Berthe Bovary ; deux personnages féminins ayant la particularité d’avoir des yeux qui changent de couleur. Evoquant les derniers mots de Proust lors de son agonie avec son frère à ses côtés (« Mon petit Robert »), ils remarquent que cet asthmatique mourra sans air, et que sont très nombreux les noms de famille possédant le son [R] (Cambremer, Bréauté, Guermantes…).

Enfin, entre autres remarques éclairantes, ils expliquent que le Narrateur n’est ni asthmatique, ni homosexuel et qu’il est dreyfusard sans plus. Certes, il se nomme Marcel (prénom trois fois cité), mais il n’est pas Proust !

C’est donc un dictionnaire érudit mais non dénué d’humour et de surprises qui ravira les proustolâtres.

 

 

 

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15 mars 2021 1 15 /03 /mars /2021 11:39

Photo ex-libris.over-blog.com (le 14 mars 2021)

 

Aubépine en fleurs

Bourdonnement des abeilles

Le bruit du printemps

 

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12 mars 2021 5 12 /03 /mars /2021 09:58

Jeudi 11 mars 2021, France 3 rediffusait Un balcon sur la mer de Nicole Garcia. Je l'ai regardé pour la énième fois et je publie de nouveau le commentaire que j'en avais fait il y a quelques années.

Cathy et Marie-Jeanne

  Cathy (Solène Forveille) et Marie-Jeanne enfant (Emma Maynadie)

Avec son sixième film, Un Balcon sur la mer, Nicole Gracia renoue avec ses racines algériennes. Elle s’en était déjà sensiblement rapprochée en jouant dans le film de Brigitte Rouän, Outremer (1991). Elle y interprétait Zon, une femme d’officier de marine et mère de famille nombreuse, follement éprise de son mari, dans l’Algérie d’avant l’Indépendance. Longtemps réticente à situer à Oran, sa ville natale, l’enfance de ses personnages,  comme si elle continuait, dit-elle, « à tourner le dos à l’Algérie», la réalisatrice s’y est finalement résolue, sous l’influence de son co-scénariste Jacques Fieschi, lui-même originaire de cette ville. Et le film s’ouvrira sur une magnifique séquence silencieuse d’un Oran dans une demi-pénombre onirique et intemporelle, vide de toute vie, pour se clore sur celle d’une ville grouillante et animée, rendue à ses habitants arabes. L’expression de « balcon sur la mer » est celle qui caractérisait Oran, comme d’ailleurs nombre d’autres villes algériennes, situées au bord de l’eau. Elle recèle par ailleurs un charme romanesque convenant particulièrement bien à ce récit nostalgique.

Pourtant, Nicole Gracia reconnaît que cette histoire aurait pu se passer partout, ailleurs qu’en Algérie. C’est en effet dans une quête identitaire que s’engage son personnage, Marc Palestro (Jean Dujardin), jeune quadragénaire, dont la réussite aixoise d’agent immobilier a gommé l’enfance algéroise et les souvenirs tragiquement ensoleillés. A l’occasion de la visite d’une propriété, il rencontre une jeune femme, Madame Mondonato-Fuentès (Marie-José Croze), en qui il croit reconnaître Cathy, une adolescente blonde, qu’il écoutait sans se lasser jouer du piano, et qu’il aimait éperdument lorsqu'il était enfant. Son existence s’en trouve bouleversée, d’autant plus que la jeune femme disparaît bientôt sans laisser de traces. En se lançant à sa recherche, c’est en quête de sa propre mémoire occultée qu’il part, pour une redécouverte de son propre passé.

marc et marie jeanne

  Marc Palestro (Jean Dujardin) et Marie-Jeanne Montonado-Fuentes (Marie-José Croze)

Nicole Garcia explique que pour raconter cette histoire d’amour, de mémoire et d’enfance, il lui a fallu trouver une structure propre. C’est ainsi que le choix d’un thriller sentimental s’est imposée à elle, forme la plus à même pour rendre la densité nostalgique de ses personnages. C’est ainsi que Marie-Jeanne et Marc vont cheminer ensemble, elle avec son double, Cathy, et lui avec sa mémoire en éclats. Et Nicole Garcia joue habilement de la lenteur pour distiller le suspense sur un passé qui se révèle par bribes.

Pour rendre la complexité de l’intrigue, le metteur en scène fait de son personnage féminin une femme à plusieurs facettes, une comédienne, toute en faux-semblants. Marie-José Croze, avec sa fine silhouette sanglée dans un tailleurs strict et ses cheveux teints en blond, fait d’ailleurs penser aux héroïnes hitchcockiennes, notamment Kim Novak dans Vertigo. Par moments même, elle évoque aussi Naomi Watts, l’héroïne insaisissable de Muholland Drive de David Lynch. Avec ce personnage de femme maltraitée par la vie et qui accepte toutes les compromissions pour secourir son père, elle propose un type de femme en perdition, déjà mis en scène dans Place Vendôme et Un week-end pour deux.

Marie-José Croze a envisagé son personnage comme celui d’une femme duelle, en constant déséquilibre. Selon Nicole Gracia, les retrouvailles avec Marc lui donnent une seconde chance, lorsqu’elle se dépouille enfin de tous ses oripeaux de femme fatale, et elles laissent entrevoir qu’elle pourra vivre enfin cet amour d’adolescence inassouvi. Nicole Garcia explique qu’à la fin du film, celle qui a toujours été en retrait réussit à entrer en scène : « Au présent, comme comédienne et dans le passé, reprenant sa juste place dans la mémoire de Marc. » Pour Marie-José Croze, « Un Balcon sur la mer est un film qui parle de cinéma et de tous ses jeux possibles ». Il faut dire que le charme du film doit beaucoup à sa prestation subtile, empreinte d’un charme mystérieux, troublant et indéfinissable.

Marie-jeanne

  Marie-Jeanne (Marie-José Croze)

Dans ce film sur les intermittences de la mémoire, elle donne la réplique à un Jean Dujardin, dont la palette de jeu gagne ici en profondeur. Nicole Garcia  explique qu’elle avait déjà pensé à lui pour jouer dans son film, Selon Charlie. Elle l’avait alors rencontré, mais il ne s’était pas senti prêt à aborder le type de personnage qu’elle lui proposait. Et comme c’est toujours un personnage qui la conduit vers un acteur, elle a de nouveau songé à lui pendant l’écriture du scénario de son sixième film. Elle avait pressenti en lui une intériorité, et les « ombres que nous avons tous en nous ». L’acteur a quant à lui été sensible à une écriture pudique des sentiments, au service d’une intrique quasi-policière. Et il a accepté de tourner dans ce film labyrinthique où s’ouvrent sans cesse de fausses portes.

La réalisatrice a souhaité qu’il se dépouille de tout ses tics d’acteur et elle lui a dit : « Ne joue pas ! Sois ! » Il semble qu’il y ait réussi, notamment dans la scène ou sa mère (Claudia Cardinale), sur un balcon de Marbella, lui apprend que Cathy est morte depuis longtemps dans un attentat. On voit alors le doute naître en lui, tandis que vacillent ses certitudes. La scène où il se retrouve sur la terrasse de l’enfance où il jouait avec Cathy, dans l’innocence de la jeunesse, le montre submergé par l’émotion et rendant les armes. Les dernières paroles du film, c’est lui qui les prononce, lorsqu’il répond à Jeanne-Marie qui lui demande : « Où tu étais ? » et qu’il répond « Je me suis perdu ». Elle sont emblématiques d’un film sur la perte des repères, quand un  passé longtemps occulté ressurgit avec violence.

Car les scènes les plus réussies du film, ce sont sans aucun doute celles de l’enfance, qui jaillissent en flash-back dans un Oran écrasé de soleil. Il faut reconnaître que Nicole Garcia, en vraie fille de la Méditerranée, filme admirablement les paysages de mer et de soleil. Une grande luminosité baigne ces moments où les enfants vivent dans le présent : ce sont les courses dans les escaliers vers la terrasse chaude ou la fuite des Oranais dans les rues sous une lumière surexposée, lors du bouclage du quartier par les forces militaires.

Marc et Cathy sur la terrasse

  Marc enfant (Romain Millot) et Cathy (Solène Forveille) sur la terrasse de l'enfance

La force de ces passages tient encore au fait qu’ils sont filmés à travers les yeux des enfants. Le contexte de la guerre n’y est que suggéré – des soldats interdisent aux enfants de jouer sur la terrasse ; sa mère dit à Marc de ne pas rester à la fenêtre par crainte de tireurs isolés ; on apprend que le père de Cathy est un enseignant communiste ; on aperçoit un inconnu (sans doute un partisan de l’OAS) qui enjoint Marie-Jeanne de ne pas raccompagner Cathy et son père avant l’explosion qui détruit leur immeuble. Alors que l'Algérie est à feu et à sang, ce qui compte pour Marc, c’est son amour exclusif pour Cathy, l’adolescente blonde qui joue si bien du piano et le regarde en souriant, Cathy avec qui il répète Iphigénie, Cathy à qui ses parents l’arrachent contre son gré lors de leur départ d’Algérie. Ce qui se passe en ces temps troublés entre les Français et les Algériens ne concerne ni Cathy ni Marc, tout occupés qu’ils sont à vivre leurs rêves.

Et s’ils n’ont pas conscience de la tragédie historique qui se joue devant eux, ils ne perçoivent pas non plus la souffrance secrète qu’ils infligent à Marie-Jeanne, témoin muet de leurs amours. Celle-ci s’exprime dans une scène intense, lorsque l’adolescente court à perdre haleine afin de voir, une dernière fois, Marc passer en voiture sous ses yeux et qu’elle s’allonge, telle une morte, sous le soleil aveuglant.

Ainsi, en dépit de quelques invraisemblances scénaristiques, discrètement, de manière allusive, Nicole Garcia, exorcisant son « rapport intranquille avec son enfance », nous donne à voir une « histoire simple », qui prend les couleurs d’une tragédie. En effet, une des clés du film me semble se trouver dans la récurrence de l’allusion à Iphigénie de Racine, que jouent les trois adolescents à Oran et que Marc, devenu père, raconte à sa fille. Barbier d’Aucour, au XVII°siècle, n’a-t-il pas écrit :

« Le sujet de la tragédie

Est celle qui ne mourra pas. »

Et tandis que Cathy est Eriphile, sacrifiée aux dieux de la guerre, Marie-Jeanne, par un retournement du Destin, prend le visage d’Iphigénie sauvée.

 

Sources :

Entretien avec Nicole Garcia, Vidéo Allo-Ciné.com

Un Balcon sur la mer, Entretien avec l’équipe, http://www.cinemotions.com

Crédit Photos : Allociné.com 

 

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12 mars 2021 5 12 /03 /mars /2021 09:48
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6 mars 2021 6 06 /03 /mars /2021 17:26

Cette année, le Printemps des Poètes devait avoir lieu  du 13 au 29 mars 2021 en célébrant le Désir. Avec les Poédiseurs nous avions préparé deux lectures poétiques qui devaient avoir lieu les 13 et 27 mars. Hélas, la pandémie en a décidé autrement et ces rencontres ne pourront se tenir. En guise de consolation, j'ai écrit ce petit texte sur le Désir.

 

Oserai-je le dire

Ce dur désir sans rides

 

Ces ires indicibles

Mouvement invincible

Au creux des interstices

Au gré des précipices

Soudain il se fait jour

Souvent  il devient lourd

Il faut que je le porte

Avant que je sois morte

Quel donc ce secret

Serrant comme un lacet

Une flèche pointue

A la blessure têtue

Un sursaut implacable

Un appel insatiable

Un vif coup de ciseaux

Ou un lent lamento

Il me suit et m’assiège

Comme au collet d’un piège

 

Oserai-je le dire

Cette ombre ce vampire

C’est la marche en avant

De mon être vivant

 

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14 février 2021 7 14 /02 /février /2021 17:17
 

 

Vison ou hermine

Calligraphie sur la neige

Rêve de fourrure
 
 
Photo T. Thévenet
 
 
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11 février 2021 4 11 /02 /février /2021 11:02

Dans l'église Sainte-Croix de Marson (Photo ex-libris.over-blog.com)

C’était vers le midi

Au temps d’Epiphanie

L’église solitaire

Ouverte à la lumière

Le prie-Dieu en velours

Dans le rouge du jour

Le lutrin immobile

Attendant l’Evangile

Sur l’autel en tuffeau

Des fleurs en chapiteau

Dans l’ombre des branchages

Glissant sur son visage

La blanche Vierge-mère

Que le soleil éclaire

Tient dans ses bras l’Enfant

En offrande à l’orant

Qui prie seul à genoux

Sous les tiges du houx

C'était vers le midi

Au temps d'Epiphanie

J’ai vu l’Amour sans âge

Dans l’ombre des branchages

Dans l’église de Marson, mercredi 20 janvier 2020

 

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8 février 2021 1 08 /02 /février /2021 11:18

Le Zouave du pont de l'Alma

Hiver à Paris

Quand la Seine prend ses aises

Le Zouave s'enrhume

 

 

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Voie lactée ô soeur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses

 

La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

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