Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 novembre 2023 3 08 /11 /novembre /2023 20:48

 

C’est une photo de mon arrière-grand-mère maternelle (1873-1933), habillée en amazone, qui m’a fait penser à la mort d’Albertine, due à une chute de cheval. Aussi ai-je eu envie de me pencher sur ce passage, d’autant plus que j’ai découvert des extraits du livre de Pascal Ifri, paru en mars 2023, Albertine assassinée, Enquête sur une mort suspecte dans A la recherche du temps perdu. Je précise que je ne l’ai pas lu mais que j’ai été intéressée par les hypothèses qu’il soulève.

Le sixième tome de La Recherche, Albertine disparue, dit encore La Fugitive (et parfois encore édité sous ce titre), est un tome posthume, publié en 1925, alors que Proust n’avait pas terminé les remaniements de ce livre, et sur lequel il travaillait donc encore peu avant sa mort. Il en changea le second titre quand il apprit que Rabindranath Tagore avait écrit une œuvre sous ce titre.

« Mademoiselle Albertine est partie. » Cet incipit, de la partie la plus sombre du roman de Proust, est prononcé par Françoise et contient en germe le nœud du drame ; il prélude aux souffrances du Narrateur, stupéfié par le départ de son amie, cet « être de fuite », et « fugitive parce que reine ». Le constat du Narrateur est sans appel : « Comme la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie ! » Et ailleurs : « Pour que la mort d'Albertine eût pu supprimer mes souffrances, il eût fallu que le choc l'eût tuée non seulement en Touraine, mais en moi. Jamais elle n'y avait été plus vivante. »

Après avoir reçu sa belle lettre d'adieu, échafaudé l'idée qu'elle est partie à Amsterdam ou auprès de Mademoiselle Vinteuil, l’ami d’Albertine Bontemps apprend qu'elle est allée en Touraine chez sa tante Mme Bontemps. Après un intermède troublant où il cherche consolation auprès d'une petite fille mineure, il charge Saint-Loup d'intervenir auprès de la tante d’Albertine, de la circonvenir avec trente mille francs et de ramener sa nièce à Paris.

Albertine ayant reconnu Robert, c’est un échec pour Saint-Loup. La jeune femme adresse alors une lettre au Narrateur et lui reproche de ne pas lui avoir écrit directement : « J'aurais été trop heureuse de revenir », affirme-t-elle. Il lui répond en lui promettant le yacht et la Rolls qu'elle a toujours désirés, une lettre "feinte" où il affirme : « Vous avez eu raison, nous serions malheureux ensemble. » Puis l'oubli « commence à faire son œuvre » et il se met à penser à Venise.

Après une autre lettre d'Albertine qui lui demande de décommander la Rolls, et lui dit ne pas oublier la promenade crépusculaire de leur dernière nuit, le Narrateur se flatte (en bon Pygmalion !) d'avoir enrichi les qualités de son amie. Et d'envoyer une autre missive à Albertine dans laquelle il lui annonce la venue chez lui d'Andrée.

Après un entretien avec Saint-Loup qui lui assure avoir bien rempli son rôle d'émissaire, de pernicieuses pensées lui viennent alors à l'esprit : « Ah ! s’il lui en était arrivé un [un accident], ma vie, au lieu d’être à jamais empoisonnée par cette jalousie incessante, eût aussitôt retrouvé sinon le bonheur, du moins le calme par la suppression de la souffrance. [...] Si Albertine avait pu être victime d’un accident, vivante, j’aurais eu un prétexte pour courir auprès d’elle, morte j’aurais retrouvé, comme disait Swann, la liberté de vivre. »

Souhait ou présage, après l'envoi d'un « télégramme désespéré » où il implore Albertine de revenir, il en reçoit un de Mme Bontemps : « Mon pauvre ami, notre petite Albertine n’est plus, pardonnez-moi de vous dire cette chose affreuse, vous qui l’aimiez tant. Elle a été jetée par son cheval contre un arbre pendant une promenade. Tous nos efforts n’ont pu la ranimer. Que ne suis-je morte à sa place ? » Albertine en effet meurt dans un accident de cheval. Cet épisode dramatique n'est pas sans rappeler, toutes proportions gardées, et sans tomber dans le biographisme que récuse Proust, la mort d’Alfred Agostinelli, secrétaire et amant de Proust, lui aussi prisonnier, fugitif, puis disparu dans un accident d’avion.

Le même jour deux lettres d’Albertine parviennent au Narrateur, la première le félicitant de son intention de vivre avec Andrée, la seconde, désespérée, le suppliant d’accepter qu’elle revienne auprès de lui... La « pauvre petite » ! N’est-elle pas surprenante voire illogique, cette seconde lettre qui implore le Narrateur de revenir auprès de lui ? Cette demande paraît en contradiction avec le caractère fugitif d’Albertine qui n’a eu de cesse de vouloir s’enfuir.

Dans un article de 2001, Nathalie Mauriac-Dyer constate que la mort d'Albertine, « réelle ou imaginée [...] apparaît comme un rébus ». Elle se pose des questions concernant les circonstances de la mort de la jeune femme. On conviendra que les deux titres La Fugitive et Albertine disparue laissent planer un doute, d’autant plus qu’aucun détail n’est donné sur les circonstances de l’accident. Par ailleurs, dans le tome qui précède, il est peu ou prou fait mention de balades à cheval pour Albertine.  Et, dans Marcel Proust, romancier (1971), Maurice Bardèche a montré que, dans un avant-texte, le romancier avait imaginé qu’Albertine se noyait. Ainsi, on peut se demander si la nature de l’accident mortel n’était pas indifférente à Proust.

Si on sait que Proust n’était guère sportif, on apprend cependant, par une lettre à Robert Dreyfus de septembre 1888, qu’adolescent, il prit des leçons d’équitation dans un manège parisien (« Le cheval : du réel à l’imaginaire dans l’œuvre de Proust », Marie-Miguet Ollagnier). Et j’ai souvenir qu’à l’occasion d’une balade à cheval, le Narrateur découvre avec stupéfaction un aéroplane. En ce qui concerne Albertine, et je l’ai déjà mentionné, il n’y a pas d’allusion à une éventuelle pratique de ce sport équestre.

Par ailleurs, peu de critiques se sont interrogés sur cet épisode-clef du roman. Pascal Ifri a réparé cette omission en écrivant Albertine assassinée, Enquête sur une mort suspecte dans A la recherche du temps perdu (mars 2023). Aucun indice n'évoquant une maladie, le narrateur de ce roman (archétype du narrateur non fiable) présente un récit contenant de nombreux indices permettant de douter de l’accident de cheval.

Il se demande si la jeune femme a vraiment été victime d'un accident de cheval comme le pense le Narrateur de La Recherche ; ou bien s'est-elle suicidée ainsi que le suggère Andrée ? Ou encore a-t-elle pu être assassinée ? Si oui pourquoi, comment et par qui ? Toutes ces possibilités demeurent ouvertes, aussi bien, d’ailleurs, que celle que la jeune femme ne soit pas morte du tout… » Ces questions peuvent sembler bien surprenantes mais, pour ma part, je ne me les étais jamais posées et cette démarche m’a semblé intéressante, l’hypothèse de l’assassinat m’apparaissant cependant hautement improbable.

Et pourtant, Le Narrateur éprouve d’étranges sentiments concernant la mort de son amie :  « […] j’aurais dû chercher à comprendre son caractère comme celui d’une personne quelconque et peut-être, m’expliquant alors pourquoi elle s’obstinait à me cacher son secret, j’aurais évité de prolonger, entre nous avec cet acharnement étrange ce conflit qui avait amené la mort d’Albertine. Et j’avais alors, avec une grande pitié d’elle, la honte de lui survivre. Il me semblait, en effet, dans les heures où je souffrais le moins, que je bénéficiais en quelque sorte de sa mort, car une femme est d’une plus grande utilité pour notre vie, si elle y est, au lieu d’un élément de bonheur, un instrument de chagrin, et il n’y en a pas une seule dont la possession soit aussi précieuse que celle des vérités qu’elle nous découvre en nous faisant souffrir. Dans ces moments-là, rapprochant la mort de ma grand-mère et celle d’Albertine, il me semblait que ma vie était souillée d’un double assassinat que seule la lâcheté du monde pouvait me pardonner. »

« Cette dernière phrase, dans laquelle le narrateur s’accuse d’avoir assassiné non seulement Albertine, mais également sa grand-mère est en effet une des plus curieuses et des plus déconcertantes de La Recherche. Elle ne figure pourtant pas dans le texte de La Fugitive par hasard ou par erreur puisque cinq pages plus loin on en trouve une variante qui paraît tout aussi déplacée dans le contexte de cette partie du roman » : « Et ainsi il me semblait que par ma tendresse uniquement égoïste j’avais laissé mourir Albertine comme j’avais assassiné ma grand-mère » (IV, 83)…

Comme l’écrit François Masse, « cette mort est tellement invraisemblable, tellement énorme qu’elle a l’air d’une boutade ». En effet, si le Narrateur va continuer à souffrir de la jalousie, il se retrouve à point nommé délivré de cette femme qui « l'empêchait de voyager, d'écrire, de rencontrer d'autres femmes ». Cette chute de cheval apparaît donc providentielle et « miraculeuse ». Selon Jean-Yves Tadié, elle est bien le personnage qui « amène la péripétie » En effet, sa mort sera une étape-clé dans le cheminement du Narrateur vers l’écriture. Incapable de se séparer de son amie, il ne pouvait s’engager dans cette voie. Et elle devait bien mourir ainsi que le constate Luc Fraisse : « En faisant mourir celle qui « disparaît », « le romancier évite la situation de vaudeville, reposant sur une passion orageuse et sa rupture finale ». Selon l'auteur, c'est un « poncif usé » que cette mort de « l'héroïne », personnage capital du roman, citée 2 360 fois dans quatre des sept volumes du roman.

C’est aussi l’opinion de Nathalie Mauriac-Dyer qui parle d’un « topos romanesque usé » quand Margaret Mein évoque une mort qui « détonne ». Enfin, Claude Mauriac, dans son discours de réception du Nobel, porte un jugement encore plus sévère : « [...] si la fin tragique de Julien Sorel sur l’échafaud, celle d’Emma Bovary empoisonnée à l’arsenic ou celle d’Anna Karénine se jetant sous un train peuvent apparaître comme le couronnement logique de leurs aventures et en faire ressortir la morale, aucune, en revanche, ne peut être tirée de celle d’Albertine que Proust fait disparaître (on pourrait être tenté de dire : « dont il se débarrasse ») par un banal accident de cheval. » Il justifie cette critique un peu plus loin, dans un passage qui fait d’ailleurs écho aux théories de Proust sur la crédibilité du roman : « [...] il semble aujourd’hui légitime de revendiquer pour le roman (ou d’exiger de lui) une crédibilité, plus fiable que celle, toujours discutable, qu’on peut attribuer à une fiction, une crédibilité qui soit conférée au texte par la pertinence des rapports entre ses éléments, dont l’ordonnance, la succession et l’agencement ne relèveront plus d’une causalité extérieure au fait littéraire, comme la causalité d’ordre psycho-social qui est la règle dans le roman traditionnel dit réaliste, mais d’une causalité intérieure, en ce sens que tel événement, décrit et non plus rapporté, suivra ou précédera tel autre en raison de leurs seules qualités propres. » Claude Mauriac considère donc que cette mort soudaine n’est aucunement crédible.

Pascal Ifri envisage encore l’éventualité d’un « complot » qui aurait entraîné la mort de la jeune femme. Il écrit : « En novembre 1915, à une époque donc où seul Du côté de chez Swann été publié mais où l’essentiel de La Fugitive est déjà rédigé, répondant à une lectrice, Mme Scheikévitch, qui l’interroge sur la suite de son ouvrage, Proust choisit de lui résumer « le roman d’Albertine ». Se mettant dans la peau du héros-narrateur, il en présente les principaux épisodes : la rencontre du « je » avec la jeune fille à Balbec, la révélation selon laquelle elle est proche de Mlle Vinteuil, les événements relatés dans La Prisonnière qui s’ensuivent, la fuite d’Albertine, sa mort (mentionnée sans le moindre détail) et les étapes qui conduisent progressivement le « je » vers l’indifférence et l’oubli. Curieusement, si Proust conclut sa lettre sur l’inévitabilité de ce dernier stade, il implique qu’il ne marque pas la fin de « son histoire » avec Albertine et que le plus intéressant est à venir : « Hélas Madame le papier me manque où cela allait devenir pas trop mal ! » Avait-il déjà en tête une suite à cette histoire, une suite qui serait racontée dans un des volumes subséquents annoncés en 1922, une suite consacrée au « complot » qu’il soupçonne juste avant de recevoir le télégramme de Mme Bontemps ? Il faut en effet rappeler que Proust envisageait alors au moins trois volumes entre La Fugitive et Le Temps retrouvé. On peut proposer une lecture de la première partie de La Fugitive qui irait dans ce sens, qui confirmerait qu’Albertine a bien été victime d’un « complot », dans le sens strict du mot dont on a déjà noté qu’il était défini comme un « [p]rojet concerté secrètement contre la vie, la sûreté de quelqu’un »… »

L’inachèvement de La Recherche est donc un argument qui incite à s’interroger sur cette mort brutale suspecte. ». Dans les derniers mois de sa vie, il semble bien que Proust ait songé à s’écarter du plan initial qu’il s’était fixé et à revoir et développer ce qu’il avait déjà rédigé pour la suite de son roman. C’est ce que Nathalie Mauriac-Dyer s’est attachée à démontrer « Directrice de recherche au CNRS, spécialiste de l’œuvre de Marcel Proust, cette universitaire a débuté sa recherche avec l’édition de la dactylographie corrigée d’Albertine disparue retrouvée dans les archives familiales (Grasset, 1987). Ce document de dernière main a permis de retracer l’ultime genèse d’À la recherche du temps perdu, marquée par de spectaculaires refontes, et révélé l’ampleur de l’inachèvement structurel de la Recherche. Par ailleurs, Nathalie Mauriac-Dyer souligne que « la dactylographie d'Albertine disparue, corrigée par Proust en 1922 (Grasset, 1987), a révélé à un degré encore insoupçonné l'inachèvement d'À la recherche du temps perdu à la mort de son auteur, déstabilisant le discours critique. Ainsi la généalogie du livre est complexe. Tantôt appelé Albertine disparue tantôt La Fugitive, le volume a fait l'objet d'une multitude de publications ; de 1925 à 1994 six versions distinctes ont été publiées ». Cet état d’inachèvement ne pourrait-il pas expliquer la mort brutale d’Albertine, l’écrivain, au bord de la mort se voyant contraint de mettre rapidement un terme à son roman ? » Proust n’envisageait-il pas « une refonte méditée de « l’épisode Albertine » ? »

J’ai été très intéressée par les questions posées par la mort soudaine d’Albertine. Est-elle vraiment morte des suites de la chute de cheval ? Se serait-elle suicidée ? Aurait-elle été assassinée ?  Ne serait-elle pas morte du tout et aurait-elle ainsi organisé sa disparition pour des raisons sans rapport avec le Narrteur ? Pascal Ifri va même plus loin en imaginant qu’elle aurait pu être victime d’un complot ourdi par Saint-Loup ? Cette hypothèse ne me semble guère crédible d'autant plus que Saint-Loup avait déclaré par ailleurs pouvoir bien s'entendre avec Albertine. A moins qu'il n'ait été jaloux du Narrateur au point de perpétrer un crime passionnel. Mais je m'égare...

Par ailleurs, les avant-textes et l’inachèvement du roman sont des raisons qui permettent de mettre en doute le caractère accidentel de cette mort et même sa réalité. Peut-être aussi que Proust a changé d’avis au cours de la rédaction de son œuvre. Certains rétorqueront que ces hypothèses sont farfelues et complètement étrangères à l’univers de Proust qui n’aimait pas les romans policiers. Dans une lettre de 1907 à Reynaldo Hahn, il mentionne une nouvelle d’Arthur Conan Doyle, extraite des Aventures de Sherlock Holmes, en la commentant : « J’ai acheté le dernier volume, idiot. » Pourtant, dès 1943, Ramon Fernandez écrit : A la Recherche du Temps perdu est construit comme un roman policier : le secret qui anime toute La Recherche était connu au départ ; et la révélation de la fin a rendu possible le commencement et toute la suite. Mauriche Bardèche, décrivant la structure de La Recherche, conforte cette opinion après avoir expliqué que « [c]ette apparition dramatique du temps, Proust savait depuis longtemps qu’elle serait la conclusion de son livre : […] Et le temps comme personnage est démasqué à la fin de son livre, exactement comme Saint-Loup est révélé sous son vrai visage. De sorte que l’on aperçoit avec étonnement, en étudiant la structure de La Recherche du Temps Perdu, non seulement que Proust avait un plan, mais encore que son roman est construit comme un roman policier. Mais c’est un roman policier philosophique. Tout le long du livre, les messagers apportent de nouvelles informations à Œdipe… » D’autres diront aussi que de nombreux autres œuvres de Proust sont imprégnées par le mal et la violence et articulées autour de surprises, rebondissements et autres coups de théâtre.

« L’épisode Albertine » est donc capital dans l’économie de l’œuvre. On y apprend en effet la parution d’un article ancien écrit par le Narrateur et paru dans Le Figaro. » « Cette résurgence inopinée de son passé littéraire le surprend et lui fait comprendre qu’il peut enfin commencer à écrire. »

Alors accident, suicide, complot, disparition voulue et définitive... « Mademoiselle Albertine est partie ! » Où ? Pouquoi ? Le mystère demeure entier.

Sources : Albertine assassinée ? Enquête sur une mort suspecte dans A la Recherche du Temps Perdu, Paris, Hermann, 2023

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
17 octobre 2023 2 17 /10 /octobre /2023 17:14

 

Bientôt la fin de l'été

Près du bassin

Où sautent les grenouilles

Un gros chat blanc

Noir et orangé

Est venu mourir 

Sous les hortensias fanés

Et comme un rituel

Le matin et le soir

En un bal tournoyant

Valsent les hirondelles

De ma fenêtre je les vois

Petits éclairs de verre

Rutilant au soleil

Calligraphes volantes

Dessiner sur le ciel

Un grimoire inconnu

Girer tourner glisser

Se suivre et se dépasser

Comme des patineurs

Sur un canal gelé

 

Quel est donc cet instinct

Qui les pousse invariable

Dans cette ronde folle

Est-ce répétition

Du départ vers l'Afrique

Est-ce derniers adieux

A l'été qui s'en va

Ou bien remerciements

Pour ce jardin vivant

Leur asile accueillant

 

Bientôt

Sous le porche arrondi

Les nids seront déserts

Et l'on ne verra plus

Leur tête noire et blanche

Et l'on n'entendra plus

Pépiements bruissements

Et l'on saura alors

Que l'été s'est enfui

Vendredi 15 septembre 2023

Partager cet article
Repost0
17 octobre 2023 2 17 /10 /octobre /2023 17:03

 

Les grenouilles vertes

Ont sauté dans le bassin

Echo de l'automne

 

 

Partager cet article
Repost0
16 octobre 2023 1 16 /10 /octobre /2023 15:27

Cécile Ney d'Elchingen par Boldini

Dans Proust, Roman familial, qu’une de mes amies vient de m’offrir, Laure Murat explique comment la lecture de La Recherche l’a construite comme sujet et lui a appris la « lucidité ». Il me semble qu’elle était particulièrement apte à décrypter certains aspects de La Recherche, notamment l’aristocratie, étant elle-même issue de ce milieu, et découvrant dans le roman des patronymes de sa parentèle mêlés à ceux des personnages fictifs. On n’oubliera pas non plus que l’analyse que fait Proust de l’homosexualité l’aida à se trouver et lui permit de faire son « coming out ».

Dans deux chapitres successifs, elle part en quête des liens qui rattachent les deux branches de sa famille à Proust. Par son père, le prince Napoléon Murat, elle descend du général Joachim Murat (1767-1815). Fait maréchal d'Empire et prince français par Napoléon Ier, il est également grand amiral de l'Empire, grand-duc de Berg, puis roi de Naples  sous le nom de Joachim Napoléon Ier (noblesse d’Empire). Sa mère, Inès d’Alberte de Luynes, est la descendante d’un favori de Louis XIII, Charles d’Albert de Luynes (noblesse d’épée).

Le chapitre, intitulé « Ce petit journaliste que je mettais en bout de table… », évoque l’hôtel Murat qui appartenait à son arrière-grand-mère, Cécile Ney d’Elchingen (1867-1960), mariée à seize ans au prince Murat à qui elle donnera huit enfants. Elle était la descendante de Michel Ney, duc d’Elchingen, prince de la Moskowamaréchal d'Empire, (1769-1815), un général français de la Révolution, élevé à la dignité de maréchal d'Empire en 1804. Il fut surnommé « le brave des braves » par Napoléon 1er. Elle était la fille de Michel-Aloys Ney (1835-1881), 3e duc d'Elchingen, et de Paule Heine (1847-1903).

Proust, dont la mère était juive, connaissait l’origine de l’immense fortune familiale. En effet, Cécile était aussi la petite-fille de Mme Furtado-Heine, « fille et femme de banquiers richissimes et petite-fille du rabbin de Bayonne ». En l’épousant, le prince Murat avait « fumé ses terres » selon l’expression de Mme de Sévigné.

C’est elle qui fit construire sous le Second Empire un luxueux hôtel, 28, rue du Monceau, que Proust commença à fréquenter en 1904. Cette demeure accueillait alors le Tout-Paris, et les pourparlers du traité de paix de 1918 se tinrent dans ce lieu qu’on appela même la « Maison-Blanche de Paris ».

A l’opposé de son père qui la vénérait, Laure Murat n’aimait pas cette arrière-grand-mère, la trouvant « snob comme un pot de chambre ». Elle était imbue de son ascendance, répondant à un magistrat devant qui elle devait prêter serment : « La parole d’une Ney devrait vous suffire. » Comme elle avait épousé l’arrière-petit-fils de Murat, on la surnomma la « reine de Naples » ; ce n’est pas celle de La Recherche qui défend Charlus avec élégance devant le rejet de Morel et la méchanceté de Sidonie Verdurin. On lui sait cependant gré d’avoir légué aux Archives nationales toutes les archives familiales, souvenirs de l’Empire.

Malgré une attitude pleine de morgue, elle aimait rire, faire des farces et racontait d’extraordinaires histoires au père de Laure Murat. Si elle fut une mère lointaine, elle sut se faire aimer de ses petits-enfants grâce à sa drôlerie et à sa générosité.

Boldini, le portraitiste de l’époque fit son portrait en pied en 1910. Elle y est « comme emportée dans la spirale d’une robe noire brossée à traits vigoureux, la silhouette fine, le visage très dessiné, avec un nez droit, et le regard vague des gens du monde qui ne veulent pas être importunés. Mis en lumière, le décolleté semé de roses, valorise un port de tête hautain, solitaire. « Le portait est flatteur », assurait mon père. » Cette élégance sut séduire Roger Luzarche d’Azay, un militaire plus jeune qu’elle. Ils demeurèrent liés jusqu’à la mort de Cécile.

Sur des photos, on la voit en 1920, en compagnie de l’athlète Violette Morris et de l’équipe de football de l’Olympique de Paris. « Maman Cécile croyait dans les vertus du sport et de la gymnastique au sol, qu’elle pratiqua bon pied bon œil jusqu’à sa mort à quatre-vingt-douze ans. » Un personnage haut en couleurs que Cécile Ney d’Elchingen, princesse Murat !

C’est à l’adolescence, en lisant A la recherche du temps perdu, que le prince Napoléon Murat  prit conscience que sa grand-mère avait connu Proust. Alors qu’il la questionnait, elle lui répondit : « Ah oui, ce petit journaliste que je mettais en bout de table… » Et ce fut tout. Une phrase qui révèle que l’aristocratie, qu’elle soit d’Ancien Régime ou d’Empire, a toujours méconnu Proust et n’en a jamais perçu le génie. Mais, à cette époque, en 1904, lors de la première visite de Proust à l’hôtel Murat, on ne pouvait prévoir l’immense talent d’un écrivain qui n’avait publié qu’un recueil de nouvelles, Les Plaisirs et les Jours (1896) et une traduction annotée de la Bible d’Amiens de Ruskin. Gide et Colette ne furent pas plus devins. Une cécité qui persista jusqu’au refus par Gallimard du manuscrit de Du côté de chez Swann, rejeté par une remarque lapidaire : « Trop de duchesses ! »

En 1961, un reportage télévisé sur l’hôtel Murat montre que « toutes les mémoires s’y télescopent (…) : le monde de La Recherche, la légende de mon arrière-grand-mère et les récits de mon père sur sa vie dans cet hôtel ». Et pour conclure sur cette arrière-grand-mère originale, « on retiendra seulement que le jour où les immeubles modernes commencèrent à gagner sur le parc, (la princesse Cécile Murat) « a tiré ses rideaux, et c’est tout ». Elle n’a pas dit un mot. N’est jamais revenue sur le sujet. Ne les a jamais rouverts. Rideau ! – A la lettre. »

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
12 octobre 2023 4 12 /10 /octobre /2023 17:34

 

Après avoir vu récemment un documentaire sur cette actrice au magnétisme incandescent qu'est Fanny Ardant, j'ai eu envie de voir en replay Les Dames de la Côte, le téléfilm en 5 épisodes de Nina Companeez.
Cette mini-série, au casting de qualité (Edwige Feuillère, Hélène Duc, Martine Chevallier, Denise Grey, Michel Aumont, Eveline Buyle...), qui remporta un grand succès public, fut diffusée à partir du 22 décembre 1979 sur Antenne 2.
C'est ce feuilleton qui révéla la comédienne, créant chez François Truffaut un coup de foudre visuel. Il la choisit alors pour jouer dans La Femme d'à côté, lançant ainsi sa carrière cinématographique.
De 1911 à 1921, sur les côtes normandes, la vie de trois familles bourgeoises (Hérart, Villatte, Decourt) et de leurs domestiques, est bouleversée par la survenue de la Grande Guerre.
Nous y découvrons l'apprentissage amoureux de Fanny Villatte (Fanny Ardant, irradiante), jeune fille exaltée et romantique, partagée entre les deux fils de Henri Decourt (François Perrot) et de Clara Perrot (Françoise Fabian), Marcel (Francis Huster) et Raoul (Bruno Devoldère). L'un est un intellectuel doux et idéaliste tandis que l'autre se montre froid, cynique, charmeur, et en proie à une passion déraisonnable pour Fanny.

A la fin de la guerre, qui a vu mourir plusieurs hommes de la famille et de la domesticité, Robert, le frère de Fanny (Patrice Alexsandre), blessé à la jambe, et Marcel, de retour d'Allemagne, se retrouvent à Paris. Si ce dernier a conservé sa volonté de vivre, d'apprendre, de voyager pour voir l'état du monde en 1919, Robert, qui ne peut plus être aviateur, est définitivement blasé.

Fanny, employée désormais dans une librairie, se plonge dans la lecture. Elle laisse quotidiennement de petits messages à son frère. Ce dernier en lit un à Marcel : "A la Recherche du Temps perdu. Après les quatre ans où nous avons vécu, ou plutôt après les quatre ans où nous n'avons pas vécu, comment peux-tu ne pas vouloir découvrir ce que cache ce titre ? Pour mon anniversaire, fais-moi ce cadeau : lis le livre de Marcel Proust. Ta Fanny." Qu'est-ce que cache ce titre ? Et le frère de relire une seconde fois le message. Et d'ajouter : "Bref, tu vois, elle est devenue un peu prêchi-prêcha, mais c'est une brave fille."
Le lendemain, Marcel retrouve Fanny dans sa librairie. Il demande à la jeune fille, surprise de le revoir : "Le livre de Marcel Proust. Vous l'avez, Mademoiselle ?" Après l'échange de quelques propos, elle lui avoue en manière de secret qu'elle écrit un livre. Puis elle insiste :"Et le livre de Marcel Proust, vous le voulez vraiment ?" Devant son acquiescement, elle répond : "Je vais vous le donner." Et elle ajoute : "C'est un livre admirable, vous verrez. Permettez-moi de vous en faire cadeau. Ça me fait plaisir. "
Pendant tout le film, je me suis dit qu'on finirait bien par entendre parler de Proust, qui rédige son grand œuvre pendant cette même période. Par ailleurs, les lieux de l'intrigue sont ceux de la Normandie que connut l'écrivain.

De plus, on sait l'amour de Nina Companeez pour l'œuvre de Proust qu'elle "place par-dessus tout". Elle osera donc adapter, aussi pour la télévision, une partie de La Recherche, en deux téléfilms, condensant les sept tomes de l'œuvre en moins de quatre heures : une gageure ! Si, pour ma part, j'avais apprécié, avec quelques bémols cette adaptation, le critique Samuel Douhaire parlera de téléfilms "très, sinon trop, fidèles à l'esprit comme à la lettre de l'écrivain" au risque de tomber dans la simple illustration". Nina Companeez affirmera que son ambition était surtout de "guider les futurs lecteurs". On notera encore que le personnage le plus positif, le plus idéaliste des Dames de la Côte porte le même prénom que le grand écrivain. Un hasard?

J'ai dû cependant attendre le dernier épisode, L'Ivresse, pour découvrir cet échange dans une librairie, entre Fanny et Marcel, autour de Marcel Proust, de la lecture et de l'écriture. Il a lieu après la guerre en 1919 ; c'est en effet le temps où l'on commence à parler de l'écrivain qui décroche le prix Goncourt le 10 décembre 1919, pour son roman À l'ombre des jeunes filles en fleurs, deuxième volume d'À la recherche du Temps perdu.

A la fin de ce dernier épisode, où Fanny et Marcel se sont enfin avoué leur amour, la jeune femme confie à son ami qu'elle a écrit un roman, intitulé Les Dames de la Côte. Nina Companeez joue ici sur la mise en abyme, le film que l'on regarde devenant l'objet du livre de Fanny. Tout comme La Recherche devient à la fin le livre que le Narrateur veut écrire. Je me suis demandé si ce n'était pas sa lecture passionnée du roman qui avait incité la jeune femme à écrire. Après tout, l'œuvre proustienne n'est-elle pas le récit de la naissance d'une vocation ?

Cette conversation sur Proust n'est bien sûr qu'un bref moment dans ce téléfilm qui cherche surtout à montrer les bouleversements de la société induits par la Grande guerre. Ce qui est aussi un des propos de La Recherche avec la description du déclin de l'aristocratie.

 
 
Partager cet article
Repost0
16 février 2023 4 16 /02 /février /2023 11:28

 

Un jour de février, s'en vint la Tourterelle
Sur une cheminée, son perchoir favori.
Indiscrète et curieuse ainsi était la belle ;
Audacieuse, elle penche au bord du trou noirci.

 

Las ! Elle ignorait tout des couloirs, des coursives,
Des boyaux, des conduits, des sombres corridors,
Où la flamme s'élève et crépite, agressive,
Quand le feu illumine en éclairs de phosphore.

 

Elle tombe et tournoie, curiosité fatale,
En une ellipse folle et bientôt elle choit
Dans un renfoncement, cavité atriale,
Affolée, éperdue, tout le corps en émoi.

 

Par bonheur, ce jour-là, rien ne brûlait dans l'âtre,
Mais loin est le ciel pur, le nuage et le bleu !
Etourdie, elle gît dans l’abîme noirâtre,
Appelant un sauveur de son cœur et ses vœux.

 

Le maître de céans, sommeilleur en ses rêves,
Entend soudainement un bruit inopportun.
Il maudit le tapage et sa sieste brève :
« Qu’on me laisse tranquille, je veux dormir, enfin ! »

 

Et puis se ravisant, de fous battements d’ailes
Le font se relever ; armé d’un long balai,
Il pénètre dans l’antre et piège de l’oiselle ;
Victorieux, il parvient à l’ôter du guêpier.

 

Délivrée de l’Hadès, la voilà qui volette,
Ivre de retrouver l’air et la liberté ;
Le maître de maison, heureux, lui fait la fête,
L’accueillant en sa main, tel un nouvel Orphée.

 

Doucement, à pas lents, il va vers la lumière
Du jardin où roucoulent les autres compagnons ;
Dans un grand mouvement ouvre à l’aventurière
La porte de l’azur et des bleus horizons.

 

Moralité

L’on aimera toujours dévoiler le mystère
Mais la tâche souvent n’est rien que téméraire.

 

Le 14 février 2023

 

Fable librement inspirée par la présence d’une tourterelle, tombée dans le conduit de notre cheminée.

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
18 janvier 2023 3 18 /01 /janvier /2023 15:05

 

En exergue à mon sixième recueil de poèmes, Flânerie sépia, qui vient de paraître chez Mon Petit Editeur, j’ai choisi de placer des vers de Guy Goffette,

« […] la beauté, c’est que tout

va disparaître et que, le sachant,

tout n’en continue pas moins de flâner. »

VII, Un peu d’or dans la boue,

La vie promise (1991), Guy Goffette,

Poésie / Gallimard, p. 187

 

Celui qui écrit des Petits riens pour jours absolus est un poète du « réel le plus simple et le plus quotidien » que j’aime beaucoup. Je l’avais rencontré aux Poétiques de Saumur il y a quelques années, en septembre 2013. Il m’avait dédicacé La vie promise, et il me l’avait souhaitée « sous les ciels changeants de la Loire et dans la lumière des poèmes ». Ses vers disent que la beauté existe et que, même si elle est éphémère, elle demeure, et qu’il importe que nous puissions continuer à la saisir dans la flânerie.

Dans ce sixième recueil, les poèmes s’échelonnent de 2008 à 2022. Certains sont classiques puisqu’il y a par exemple un sonnet, d’autres sont ponctués ou ne le sont pas. Leur forme m’est souvent dictée par le premier vers qui enclenche la suite et impose son rythme.

La flânerie, c’est le fait de se promener sans hâte, en s'abandonnant à l'impression et au spectacle du moment. Cela renvoie à une déambulation sans but, une errance à travers l’espace et le temps. S’y attache aussi une connotation de hasard. La flânerie est ici de couleur sépia, de la couleur des photos d’autrefois et, pour moi, la couleur du temps qui passe. Ainsi deux poèmes s’attardent sur une photo, celle de mon père et de moi-même quand nous étions enfants.

Quelques poèmes sur le Jour de l’An évoquent le passage du temps, tout comme un autre sur le grenier, lieu où le temps se lit à travers la poussière et l’effritement des objets. Dans ce recueil, je déambule encore sur la digue et sur la plage, devant la mer, là où je suis née. Il y a aussi des errances dans Paris, dans des livres que j’ai aimés. J’y rencontre de nouveau des visages connus ou entrevus et j’évoque des promenades dans mon jardin, notamment pendant le confinement.

Avec ces textes, je cherche modestement à faire revivre l’émotion de ces instants éphémères du quotidien, qui ne reviendront plus, ayant revêtu cette mélancolique couleur sépia. « Mélancolie » est le mot de la langue française que je préfère. Je l’avais souligné au début de mon recueil Mais l’ancolie…, paru en 2015 : « J’en aime le parfait équilibre entre les cinq consonnes et les cinq voyelles, la douce tristesse de la deuxième syllabe nasalisée s’harmonisant avec les deux liquides, tandis que le i final apporte sa stridence plus légère au terme du mot. »

J’ajoute que si les poèmes sont datés précisément, c’est sur la demande d’une de mes lectrices lors de la parution de mon premier recueil. « On aimerait connaître ce qui t’a inspirée, les conditions dans lesquelles tu as écrit le poème » m’avait-elle dit. C’est donc à sa demande que les poèmes sont inscrits précisément dans le temps.

J’ajouterai que la poésie m’est un bon viatique pour le quotidien. Avec le groupe des Poédiseurs auquel j’appartiens, nous nous retrouvons une fois par mois pour partager nos découvertes de la poésie contemporaine. Actuellement, nous préparons une lecture pour le Printemps des Poètes 2023, dont le thème est « Frontières ». Ce sera le 18 mars 2023 à 15h, à la Maison des Associations de ROU-Marson. A la demande d’Anne Faucou et de son association Matrimoine, nous serons aussi à la MJC de Saumur le samedi 25 mars à 15h pour évoquer les femmes en poésie.

 

 

Partager cet article
Repost0
31 décembre 2022 6 31 /12 /décembre /2022 18:36

Sablier, Xiong Jie

A peine le temps de rire et de pleurer

De regarder danser l’hirondelle au ciel bleu

De contempler la rose aux multiples épines

De frémir sous la neige aux pommiers en fleur

De respirer la mer aux râles en rouleaux

De caresser le cœur des visages aimés

 

Tout juste avoir livré le mot longtemps secret

Et avoir déchiffré des phrases inconnues

Avoir entrebâillé les portes interdites

Avoir tremblé au vent dans la cheminée noire

Et s’être regardé dans la glace sans tain

Qui traverse le temps et la vitre des ans

 

Ephémère et fugace une année a passé

En des soleils ardents enflammés d’incendie

Sur les forêts de pin et les fiers Ukrainiens

Et l’on voudrait peut-être qu’elle n’ait jamais été

 

Samedi 31 décembre 2022

 

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
1 décembre 2022 4 01 /12 /décembre /2022 18:07

 

Vendredi 18 novembre 2022, dans la salle de réception du château de Marson, mon amie Edith Testemale et moi-même, pour commémorer la disparition de Marcel Proust, le 18 novembre 1922, nous avons proposé une Lecture à deux voix d’extraits de Monsieur Proust de Céleste Albaret, paru en 1973. Cet ouvrage est issu des 45 heures d’entretien de l'accompagnatrice de l'écrivain avec le journaliste Georges Belmont. On peut en écouter de nombreux extraits sur France-Culture.

A jardin, sur un pupitre, nous avions posé le portrait de Proust par Jacques-Emile Blanche ; à cour, nous avions disposé les sept tomes de La Recherche (hérités de mon père) et illustrés par Grau-Sala. Ils étaient surmontés d’une tasse à thé avec une madeleine. Au bas de cette pile, le livre de Céleste Albaret et sa biographie par Laure Hillerin. Edith, en costume noir avec une fleur à la boutonnière, disait les répliques de Proust tandis que j’interprétais celles de Céleste. Pour passer d’un extrait à un autre, j’agitais une petite sonnette, rappelant « le double tintement timide, ovale et doré de la clochette pour les étrangers », connu de tous les proustiens, et qui revient dans Le Temps retrouvé

On rappellera que Céleste Albaret (1891-1984) fut la gouvernante, la femme de chambre, la confidente de Marcel Proust les huit dernières années de son existence, de 1914 à 1922, années durant lesquelles il acheva l’écriture de son chef-d’œuvre. Jour après jour, elle assista dans sa vie quotidienne, son travail acharné et son long martyre ce grand malade génial qui se tua volontairement à la tâche. Après la mort de Proust, elle a longtemps refusé de livrer ses souvenirs. Puis, à quatre-vingt-deux ans, elle a décidé de rendre ce dernier devoir à celui qui lui disait : « Ce sont vos belles petites mains qui me fermeront les yeux. » Dans cet ouvrage, il s’agit du témoignage d’une femme qui idolâtrait son maître ; ce qu’elle dit de lui, c’est sa vérité à elle, faite de discrétions, de silences, de non-dits. Si par la suite, certains de ses souvenirs ont été démentis par les spécialistes proustiens, il n’en demeure pas moins que c’est un témoignage de première main.

Si nous avons choisi cet ouvrage, c’est parce qu’il permet une approche vivante de Marcel Proust, décrit par Céleste Albaret dans le quotidien de sa vie et de son œuvre. Certes, dans le Contre Sainte-Beuve (publié à titre posthume en 1954), Proust affirme que « L'homme qui fait des vers et qui cause dans un salon n'est pas la même personne ». Dans l’approche d’une œuvre littéraire, il se faisait ainsi le partisan d’une critique formaliste, d’une analyse stylistique, dépourvue d'éléments extérieurs à l'œuvre. Il écrit que « l’œuvre de Sainte-Beuve n’est pas une œuvre profonde. […] Cette méthode méconnaît ce qu’une fréquentation un peu profonde avec nous-mêmes nous apprend : qu’un livre est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices. Ce moi-là, si nous voulons essayer de le comprendre, c’est au fond de nous-mêmes, en essayant de le recréer en nous, que nous pouvons y parvenir. »

Il ne s’agissait pas pour nous de proposer une biographie linéaire de l’auteur de La Recherche mais plutôt de présenter les différents aspects de son existence et de son œuvre, ceux qu’il accepta de livrer à Céleste dans une relation de confiance réciproque. Les extraits choisis avaient pour but de montrer le grand malade qu’il fut, la manière dévouée dont elle le soigna, le déchirement que sa mort représenta pour elle. Ne voulant absolument pas occulter l’œuvre, nous avions bien sûr retenu les souvenirs familiaux d’Illiers-Combray, l’évocation de la madeleine et la découverte capitale de la mémoire involontaire. Ce que Proust appelait sa « période du camélia à la boutonnière » nous a permis d’évoquer les soirées mondaines de sa jeunesse et le portrait des aristocrates qui furent les modèles de ses personnages. Nous n’avons pas négligé l’admiration de Proust pour son frère et son père, son amour fusionnel pour sa mère, ses amours de jeunesse et ses « amitiés » pour Reynaldo Hahn et ses secrétaires, la période de la guerre, la scène-culte de la flagellation de Charlus, et bien sûr l’invention des célèbres paperoles grâce à l’inventivité de Céleste. Tous ces éléments, bien sûr, placés dans la perspective du Temps, contre lequel l’écrivain se battait au quotidien pour achever son œuvre.

Quelques virgules musicales ont ponctué notre lecture : la Pavane Op. 50 et Les Berceaux de Gabriel Fauré, La Plainte d’Orphée de Christof Willibald Gluck, Mélodie de Massenet, et la Pavane pour une infante défunte de Maurice Ravel, jouée lors des funérailles de Proust.

A en juger par les conversations qui ont suivi, le public d’une petite soixantaine de personnes a apprécié notre prestation. Certains avaient lu La Recherche plusieurs fois, d’autres ont, semble-t-il été incités à lire l’œuvre après cette lecture, destinée à faire le portrait d’un Proust plus abordable. Cette soirée s’est achevée avec la dégustation de bulles angevines accompagnées, comme cela s’imposait, de petites madeleines.

 

 

 

Partager cet article
Repost0
28 novembre 2022 1 28 /11 /novembre /2022 19:48

Jean-Claude Dassonneville (Proust) et Bénédicte Gauriat (Céleste), par la Compagnie Cloche Perse  (novembre 2014)

Mon frère vient de m’offrir un ouvrage de Jean-Claude Brisville, Sept comédies en quête d’acteurs, intitulé ainsi, je l’imagine, en hommage à Pirandello. On connaît surtout ce dramaturge, venu tard au théâtre, par Le Souper, une pièce créée le 20 septembre 1989. Elle met en scène Talleyrand, prince de Bénévent et ministre des Affaires extérieures sous le Premier Empire, et Fouché, duc d’Otrante, ministre de la police sous plusieurs gouvernements. A Paris, en ce 06 juillet 1815, à minuit, alors que Napoléon a abdiqué et que la capitale est occupée par les troupes coalisées, les deux hommes vont s’affronter sur la nature du gouvernement futur. Ils vont révéler leurs intrigues, leurs trahisons, leurs crimes méritant plus que jamais la célèbre et terrible description de Chateaubriand les définissant : « Le vice appuyé sur le crime. » Depuis, cette pièce n’a cessé d’être reprise. Brisville explique avec amusement : « Je connus même la gloire d’être crédité par ma buraliste de La Soupière de mon excellent confrère Robert Lamoureux. Je dois m’y faire : je ne suis plus que l’auteur du Souper, la pièce où je me reconnais le moins et dont les personnages ne m’ont jamais inspiré la moindre sympathie. »

Mais Brisville est aussi l’auteur d’autres œuvres, et notamment de pièces qui n’ont pas été jouées, celles que renferme ce livre. Dans la préface, l’auteur le regrette amèrement : « La vocation du théâtre est d’être représenté, et l’ouvrage qui ne l’est pas reste au seuil de sa vie. Après La Dernière Salve, il écrivit dix pièces, qui n’ont pas connu la scène. « On m’avait assez vu, on ne m’écoutait plus, et j’étais de plus en plus seul dans mon métier. En somme, j’avais fait mon temps. » Et d’ajouter : « Peut-être leur lecture fera-t-elle regretter à quelques-uns une représentation qui était initialement dans leur destin. »

En ce mois de novembre 1922 où l’on commémore la mort de Marcel Proust, et sachant que je suis proustophile, sinon proustomane, c’est pour une pièce particulière que mon frère m’a offert ce livre. Ecrite en septembre 1992, elle s’intitule La Chambre de liège et met en scène Proust et « l’accompagnatrice » de ses huit dernières années, de 1914 à 1922, Céleste Albaret. Dans son Avant-propos, Brisville commente ainsi le choix de son thème : « Je suis parti de la Chambre de liège, un lieu dramatique, parfait pour ce huis clos où s’est élaborée une grande œuvre. Céleste s’y est cloîtrée avec Proust, le servant et l’aidant, et entrant peu à peu en tant que personnage dans sa Recherche du temps perdu

Indissolublement liés, elle et lui, dans nos mémoires. Ce sont aux souvenirs de Céleste sur Proust auxquels je dois d’avoir écrit La Chambre de liège. Personne n’a jamais parlé de Proust dans sa vie quotidienne avec cette intelligence du cœur et cette chaleur spontanée d’où procède l’amour – le véritable amour. Infatigable et irremplaçable Céleste…

J’ajouterai que je n’ai pas trouvé l’acteur pour Marcel Proust. »

Cependant, je viens de découvrir sur Internet que cette pièce a été créée pour la première fois vendredi 28 novembre 2014, au Hublot à Bourges, par Jean-Claude Dassonneville et la compagnie Cloche Perse. « J'aime beaucoup Jean-Claude Brisville, expliquait alors Jean-Claude Dassonneville, comédien amateur et pneumologue à la retraite. C'est une écriture directe, sensible. J'aime sa façon de décortiquer la psychologie des personnages. » « Là, Brisville fait de Proust et de Céleste, des personnages merveilleux », détaille Jean-Claude Dassonneville, qui interprétait Marcel. À ses côtés, Bénédicte Gauriat était la gouvernante. « Une comédienne qui vient de l'opérette, et qui a beaucoup de sensibilité. » Il me semble que cette création a dû faire plaisir à Jean-Claude Brisville.

La pièce est structurée en cinq scènes, la majorité se passant dans la chambre avec des ouvertures vers le cabinet de toilette et le vestibule. Le décor de la scène 1 est le suivant :

Une chambre plongée dans la pénombre et envahie par la fumée.

Un lit. Petite table de chevet. Deux fauteuils. Cheminée dont le marbre est occupé par une rangée de cahiers très épais.

Proust, étendu sur le lit, accoté à ses oreillers, a la tête plongée sous les serviettes d’un appareil de fumigation.

Apparition de Céleste sur le seuil de la chambre. Effarée, elle observe Proust un instant puis toussote pour signaler sa présence.

Cette scène présente la rencontre entre l’écrivain et la jeune paysanne d’Auxillac en Lozère, « juvénile… et fraîche ». Proust fait subir à la jeune épouse d’Odilon Albaret une sorte d’interrogatoire sur la rencontre et les sentiments des deux époux ; puisqu’il est écrivain, il lui demande si elle sait ce qu’est un roman et lui offre de lire Les Trois Mousquetaires. Enfin, il lui propose d’aller porter son livre à ses amis, tout en lui signifiant de lui parler à la troisième personne : « Où est-elle, Monsieur, la troisième personne ? » Il n’oublie pas de lui dire qu’il est « un grand malade », qui a « besoin d’ombre et de silence », ce pourquoi les murs sont « tapissés de liège ».

NOIR

Dans la deuxième scène, la didascalie indique : Proust est assis dans un fauteuil en train d’écrire sur un pupitre portatif. Entre Céleste.

On assiste ici à une conversation à bâtons rompus entre l’écrivain et son « accompagnatrice ». Il y est question d’une visite de Robert de Montesquiou dont Céleste dit : « Oui, j’ai bien vu que c’était une fin de race. […] Cet homme-là, je le vois très bien aboyer à la lune. » Puis Proust s’enquiert de ses « allées et venues en ville » auprès de ses connaissances : la comtesse de Noailles, la princesse de Polignac, le duc de Guiche, le comte Waleski et tutti quanti. Il explique à la jeune femme qu’« ils ont tous des antécédents dans l’histoire de France, et [que] c’est dans ces lointains que ces grands noms puisent leur poésie », dont les héritiers ne sont plus qu’ « une pauvre étincelle, une braise mourante ». Après avoir insisté pour que Céleste téléphone à Grasset pour hâter la publication d’un article louangeur de Cocteau sur son livre, Proust commence une crise d’asthme et réclame ses gouttes de valériane et ses cigarettes Espic. Il explique alors à Céleste qu’il est « un grand malade » et qu’il a dû donner congé à Nicolas Cottin, qui « a recommencé à honorer Dionysos ». Il lui demande de s’installer chez lui : « Il n’est pas question de moi d’abord, mais de mon livre… que j’ai la mission d’écrire et que je n’écrirai qu’avec votre aide ménagère… si vous voulez bien accepter d’organiser cette maison. » Lui objectant qu’elle est mariée, Céleste lui dit cependant qu’elle reviendra le voir.

NOIR

Dans la troisième scène, Céleste est seule en scène et Proust dans le cabinet de toilette dont la porte est ouverte.

Le début de la scène est ponctué par le jet régulier d’une vingtaine de serviettes sur le tapis de la chambre. Sans paraître les remarquer, Céleste s’affaire à refaire le lit.

Dans cette scène, Proust rappelle à la jeune femme, qui s’est installée chez lui, ses exigences en ce qui concerne la chaleur de l’eau pour sa toilette, « au bord de l’ébullition ». ! A propos de ses sous-vêtements, « ils doivent être réchauffés dans le four de la cuisinière ». Puis, nous assistons au cérémonial de la poudre Legras, vite empêché parce que la bouillote manque de brûler. S’apprêtant à sortir malgré le froid, l’écrivain reparle des Trois Mousquetaires en soulignant « l’effet de l’art », pour ensuite lire à voix haute un extrait de Chateaubriand qui « donne le frisson » à Céleste. S’enquérant d’un téléphonage de Céleste à Montesquiou, Proust se lance dans une imitation de son ami en « imitant sa voix aiguë et gémissante ». Et d’ajouter que plus tard on ne le connaîtra que par le portrait qu’[il] en fai[t] dans son livre ». A son interlocutrice qui lui demande si on a « le droit de faire ça, Monsieur, prendre les gens et en faire des mots, dans un roman », l’écrivain rétorque : « Il n’y a qu’une faute dont le romancier peut se rendre coupable : c’est que son personnage soit moins vrai que son modèle. » Puis, tandis que Céleste aide son maître à s’habiller, et qu’on entend les gothas, tous deux évoqueront la guerre qui fait rage : « de moins en moins d’hommes dans les rues de Paris », « plus un valet de pied », « plus un garçon de café de moins de soixante ans ». Et, devant Céleste éberluée, Proust de s’obstiner à sortir afin de rencontrer un ami italien car, pour son livre, il a besoin d’entendre prononcer senza rigore. « Dire qu’il se ferait tuer pour ça ! » conclut Céleste.

NOIR

Scène 4. Décor dans la pénombre.

Il est au lit, étendu sur le dos, d’une immobilité de gisant, puis sortant un bras hors des draps allume la lampe de chevet et tire enfin sur un des cordons de sonnette.

Entre Céleste.

Nous assistons ici à une petite querelle entre Proust et sa garde-malade. Il n’est pas satisfait du café qui « a passé trop vite » ; il se plaint des courants d’air, de ses boules qui sont presque froides, de la brioche « plus sucrée, moins légère ». Comme il lui reproche sa distraction, Céleste s’insurge : elle a grand sommeil et n’a « pas eu le temps d’aller à la messe ». Et lui de rétorquer : « Et ne pensez-vous pas que soigner un malade est quelque chose de plus noble et de plus méritant aux yeux de Dieu que d’aller à la messe ? » Elle lui dit alors cette phrase qu’il qualifie d’« admirable » : « Et puisque monsieur ne veut pas se soigner, il ne me reste plus qu’à entrer dans sa maladie. » Proust raconte ensuite sa première invitation chez la comtesse Greffulhe, « une beauté mystérieuse et indéfinissable dont tout l’éclat est au fond de ses yeux. » Née Caraman-Chimay, petite-fille de Mme Tallien, « elle descend même par son autre grand-mère, née Pellapra, de l’Empereur lui-même. » Et en plus elle est très intelligente et « a encouragé Branly dans son étude de la télégraphie sans fil. Oui, Céleste ! »  Cette « belle madame » aura nom Oriane de Guermantes dans le livre. « En entrant dans mon livre, elle va avoir droit à un temps où elle va trouver sa forme inaltérable » souligne Proust. Et si son rire « s’égrène comme un carillon de Bruges », dit-il encore, « j’ai pensé au Titanic peu avant le naufrage On dansait dans le grand salon, et puis le choc et l’engloutissement tandis que les musiciens jouaient encore ». L’écrivain évoque ensuite Cabourg, le Grand Hôtel, intimement lié à l’amour de sa grand-mère. Le dialogue s’orientera plus tard vers la visite de Proust rue de l’Arcade ; devant une Céleste (épouvantée), il décrira la scène de flagellation d’un « homme riche et respecté », qu’il a observée « par un judas qu’on a ménagé dans le mur ». Céleste ne comprend pas comment son maître peut oser « mettre tout ça » dans son livre car « ce ne sera pas beau ». A quoi il lui répond : « La beauté, c’est la vérité, Céleste. Oui, l’humble et terrible vérité humaine. Un vieillard tout nu qui se fait flageller peut être infiniment plus beau, aux yeux de l’art, qu’une pure jeune fille respirant une rose. Un jour vous comprendrez cela, Céleste, et ce jour-là vous admettrez qu’il n’y a de vraie vie que dans les mots… » Enfin, dans l’attente du Quatuor Poulet, invité cette nuit-là à jouer chez Proust, celui-ci se remémore quand il était jeune homme à Illiers, « tout imprégné encore des ondes de ce Quatuor », et qu’il lisait un passage de la Sylvie de Gérard de Nerval, qu’il redit à voix haute. Après avoir annoncé à Céleste qu’il a l’intention de la « mettre dans [s]on roman », il s’installe avec son aide dans un fauteuil un plaid sur les genoux, tandis que l’on entend les premières mesures du Quatuor en ré majeur de Franck qu’il écoute les yeux fermés.

NOIR

Dans la dernière scène, Céleste est assise et en attente. On sonne. Elle se lève et passe dans le vestibule. Il entre. Elle le suit.

Revenant d’une exposition, Proust annonce avoir eu « un étourdissement ». Il demande à Céleste de décommander M. Daudet et la princesse Soutzo. « L’amitié vous prend trop de temps » lui confie-t-il. Comme la jeune femme lui dit qu’il aurait dû se marier, il lui répond qu’elle seule aurait pu « accepter de vivre avec [s]on livre entre [eux] deux ». Puis, Proust évoque le destin de son livre : « Dans vingt ans, dans cent ans, mon roman sera mort. Une bibliothèque est un cimetière d’œuvres mortes. » Et elle de lui affirmer : « Il vivra très longtemps, le vôtre… vous verrez ce que je vous dis. » C’est alors que Proust explique à Céleste l’urgence qu’il a éprouvée « à revoir sans tarder » le détail de ce tableau, découvert « il y a très longtemps, en Hollande ». « Un pan de mur… un certain petit pan de mur jaune où se mêlaient subtilement plusieurs couleurs, et c’est cette douceur, cette sérénité que j’aurais voulu obtenir parfois dans ma phrase. (Un temps.) Oui, c’est ainsi que j’aurais désiré écrire. (Un temps.) » Céleste et Proust se mettent alors à corriger le passage « dicté avant-hier… sur Bergotte. » Car c’est Bergotte, l’écrivain, que je vais envoyer visiter cette exposition du Jeu de paume. Reprenez le cahier 14, s’il vous plaît » demande l’écrivain à son aide fidèle. On entend alors Proust dicter le magnifique extrait de la mort de Bergotte avec cette fin inoubliable : « On l’enterra, mais toute la nuit funèbre, aux vitrines éclairées, ses livres, disposés trois par trois, veillaient comme des anges aux ailes déployées et semblaient, pour celui qui n’était plus, le symbole de sa résurrection. » Proust demande alors à Céleste ce qu’elle pense de « ces retouches » et elle lui répond : « Il n’est pas mort, votre Bergotte, il ne peut pas mourir. » Il reprend : « J’ai tant aimé les mots ! Tant d’années ils m’auront tenu lieu de tout. […] Je ne serai l’auteur que d’un seul livre. Il m’a tant demandé. Je lui ai tout donné. Puis, l’écrivain manifeste la crainte du retour de celle qui revient toujours « en septembre, à la date où maman est morte », l’image de la mort. Il demande à Céleste de lui jurer de ne plus laisser entrer quiconque « ni médecin, ni infirmière, ni famille ». (Il lui saisit les mains.) « Ce sont ces petites mains-là qui me fermeront les yeux » dit-il. Tout en souhaitant « revoir encore le début de La Prisonnière », il demande à Céleste qu’elle envoie Odilon chercher une bière glacée au Ritz et lui dit (très bas) : « Revenez-vite. »

La dernière didascalie est la suivante :

Il fixe de nouveau la porte, et émergeant de l’ombre un très grande forme noire s’avance vers le lit.

Il soulève sa main. La forme s’arrête, recule lentement et disparaît. Sa main retombe.

Céleste rentre. Elle va se pencher sur lui. Il a les yeux fermés. Immobile, elle le regarde un moment. Puis elle va s’asseoir dans le fauteuil à son chevet.

NOIR

Cette pièce reprend certes nombre des éléments, connus des proustophiles, qui constituent la légende proustienne. Il me semble cependant qu’elle est fidèle au livre de Céleste Albaret, Monsieur Proust, en montrant les différents aspects de cette relation unique dans la littérature.

Peut-être sera-t-elle bientôt de nouveau adaptée par des fans de Proust.

Jean-Claude Dassonneville (Proust) et Bénédicte Gauriat (Céleste)

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Ex-libris
  • : Un blog pour lire, pour écrire, pour découvrir et s'étonner. "La Vie a plus de talent que nous" disait Nabokov.
  • Contact

ex-libris

 ex-libris

 

Voie lactée ô soeur lumineuse

Des blancs ruisseaux de Chanaan

Et des corps blancs des amoureuses

Nageurs morts suivrons-nous d'ahan

Ton cours vers d'autres nébuleuses

 

La chanson du Mal-Aimé, Apollinaire

Recherche