Le ciel restauré du Théâtre à l'italienne de Saumur
(Photo Saumur-Kiosque)
Depuis plusieurs années, les amateurs de théâtre saumurois étaient orphelins de leur joli théâtre à l’italienne, fermé pour cause de travaux de restauration. Mardi 2 décembre 2014, à 20 h, il rouvrait pour un spectacle de Jos Houben, joué à guichets fermés. Le président de l’agglomération de Saumur, Guy Bertin, et Rodolphe Mirande, responsable de la Culture, y ont accueilli les 470 spectateurs, enchantés de redécouvrir ce lieu, inséparable du patrimoine artistique de la Ville.
Tout en se félicitant de cette réouverture, plusieurs fois remises, ils ont souhaité que les Saumurois s’approprient ce bel endroit et le fassent vivre. L’Ecole de Musique, l’Ecole d’Art y auront sûrement leur place et des artistes pourront investir la nouvelle salle destinée aux répétitions, à l’audition, à la création.
Pour faire le lien avec la salle Beaurepaire où le public était en exil, Guy Bertin a rappelé que c'est un officier des carabiniers de Monsieur, Nicolas de Beaurepaire, qui participa avec une vingtaine d'autres et tous les notables de Saumur, à la souscription de la tontine qui permit l'édification du premier théâtre, achevé en 1788.
Il a insisté aussi sur l’extrême sophistication du plateau technique, s’amusant à l’idée que les spectateurs des deux premiers rangs, juste au-dessous de la scène, puissent disparaître dans la fosse d’orchestre escamotable. Quant à Rodolphe Mirande, il a remémoré l’inauguration de ce théâtre néo-classique, le 5 avril 1866, lors d’une représentation du Misanthrope. A cette occasion, la presse enthousiasmée des spectateurs provoqua écrasement de crinolines et bris de parapluies. « Mais chez les hommes, il n’y eut aucun bras cassé… »
On rappellera que la première salle de spectacle, dessinée par Alexandre-Jean-Baptiste Cailleau, possédait 702 places assises. Construite de 1785 à 1788, sa façade donnait sur la Loire. Sous le Second Empire, cette salle n’est plus à la mode et c’est donc à Joly-Leterme qu’est confiée la tâche de créer le théâtre à l’italienne que nous connaissons aujourd’hui. L’architecte reprend les colonnades néo-classiques du Grand Théâtre de Bordeaux, en y ajoutant des masques de théâtre antiques et les noms de dramaturges célèbres. La transformation majeure est le déplacement de la façade principale qui s’ouvre désormais sur la place Bilange.
Puis, sous le regard attentif des cariatides, fraîchement reblanchies et redorées, Silvio Pacitto, le directeur artistique, a frappé les trois coups avec le brigadier d’origine, cédant ainsi la scène à Jos Houben. Ce comédien, ancien élève de l’Ecole Jacques Lecoq, et membre du Théâtre Complicité, qui revendique sa belgitude, s’est fait connaître en Angleterre avec des spectacles et des émissions absurdo-burlesques. Enseignant à l’Ecole Jacques Lecoq, collaborant régulièrement avec le compositeur Georges Aperghis, il a aussi joué Beckett, sous la direction de Peter Brook, et travaillé avec la Comédie-Française.
Entamant, d’un air grave et pénétré, sa conférence-spectacle sur le rire, il a vite entraîné le public, d’abord amusé puis séduit, dans les arcanes de ce « propre de l’homme », dont il a démonté le mécanisme avec force démonstrations.
Ses considérations sur la verticalité de l’homo erectus (avec les exemples de la tour Eiffel et de la tour de Pise) nous ont fait comprendre combien la chute, dont il a multiplié les variantes avec l’aide d’un spectateur complice, n’est drôle que parce qu’elle fait perdre à l’homme toute dignité. Sa gestuelle de base – tirer et pousser -, son analyse du mouvement qui va du bassin à la tête en passant par la poitrine, sa promenade dans une galerie d’art moderne, celle de la dame qui balade son chien, son imitation de la poule, de la vache ou du chien (ah ! l’anthropomorphisme animalier !), son imitation des fromages (ne pas confondre Camembert et Gouda !), tout lui est prétexte à montrer combien le rire, sous la variété de ses formes, est au cœur de notre quotidien le plus banal.
Avec sa silhouette dégingandée d’un mètre quatre-vingt-sept, les mimiques inénarrables de son visage fin et expressif, la précision de ses gestes, Jos Houben a disséqué pour un public attentif et conquis l’essence du rire. En bon élève de Jacques Lecoq, dont la pédagogie repose essentiellement sur la « dynamique du mouvement », il a illustré son propos : « Il faut être dans l’acte comme le corps est dans le monde. » S’il est bien loin des Démocrite et des Wittgenstein, des psychologues et des savants de tout poil, cet « ingénieur du rire » nous a pourtant proposé une véritable leçon de théâtre, illustrant avec brio la phrase de Bergson : « Le rire est du mécanique plaqué sur du vivant. »
Sources :
Le programme de la Direction des Affaires Culturelles : L’art du rire, Lever de rideau
http://saumur-jadis.pagesperso-orange.fr/lieux/theatres.htm
Crédit Photos : Saumur-Kiosque