Soir d'hiver au bord d'une rivière, 1907, Gustav Fjaestad
Cette semaine, le thème du Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots, Hiver, me donne l’occasion d’évoquer le prix Nobel de Littérature 2011, le Suédois Tomas Tranströmer. Joseph Brodsky le considère comme un « poète de première importance, d’une incroyable intelligence ». Il reconnaît en lui un des maîtres de la métaphore et le poème que j’ai choisi illustre cette « union inattendue de la vision élargie et de l’exactitude sensorielle », telle que la définit Kjell Espmark. Ce poème s’intitule : « La paix règne dans l’étrave bouillonnante », titre surprenant pour un texte consacré à l’hiver.
Un matin d’hiver, je sentis combien cette terre
avance en roulant. Un souffle d’air
venu des tréfonds crépitait
aux murs de la maison.
Baignée par le mouvement : la tente du silence.
Et le gouvernail secret d’une nuée d’oiseaux migrateurs.
Le trémolo des instruments
cachés montait
de l’ombre de l’hiver. Comme lorsque nous voici
sous le grand tilleul de l’été, avec le vrombissement
de dizaine de milliers
d’ailes d’insectes au-dessus de nous.
17 poèmes, 17 Dikter, 1954,
in Baltiques, Œuvres complètes 1954-2004, Poésie/Gallimard
A la lecture de ce poème on perçoit le grand écart des saisons dans ce pays nordique qu’est la Suède. On y découvre surtout un poète déchiffreur de la nature et de ses vibrations, un poète à l’écoute de son infinie complexité. On sent l’activité profonde venue des « tréfonds » et la rotondité de la terre qui « roule », l’air devient feu (il « crépite »), la musique de la nature s’élève et « monte », tout est bourdonnement secret avec « le vrombissement » des ailes des insectes estivaux. Ces derniers ont d’ailleurs une place capitale dans l’œuvre du poète suédois. On sait qu’on est au cœur d’un pays maritime avec l’image du gouvernail, des oiseaux migrateurs, de l’étrave, l’emploi de l’adjectif « baignée » pour qualifier la terre. Si tout est mouvement, en même temps tout est « paix » et « silence ». La dernière strophe culmine avec l’antithèse entre « l’ombre de l’hiver » et la verticalité solaire de l’été symbolisé par le tilleul.
Le poète nous communique ainsi sa sensation intérieure et nous contraint à accepter l’envers de la réalité, ces « possibilités inaccessibles », essence même de la poésie pour Georges Bataille. Quant à Renaud Ego, il se demande si ce n’est pas la grande et calme neige suédoise qui a fait accéder Tranströmer à l’illumination poétique.
Sources :
Avertissement de Kjell Espmark de l’Académie suédoise,
Postface de Renaud Ego, in Baltiques, Œuvres complètes 1954-2004, Poésie/ Galliamard
Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots,
Thème proposé par Fanfan : hiver