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5 janvier 2012 4 05 /01 /janvier /2012 08:00


 Gustav Fjaestad

Soir d'hiver au bord d'une rivière, 1907, Gustav Fjaestad

 

Cette semaine, le thème du Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots, Hiver, me donne l’occasion d’évoquer le prix Nobel de Littérature 2011, le Suédois Tomas Tranströmer. Joseph Brodsky le considère comme un « poète de première importance, d’une incroyable intelligence ». Il reconnaît en lui un des maîtres de la métaphore et le poème que j’ai choisi illustre cette « union  inattendue de la vision élargie et de l’exactitude sensorielle », telle que la définit Kjell Espmark. Ce poème s’intitule : « La paix règne dans l’étrave bouillonnante », titre surprenant pour  un texte consacré à l’hiver.

 

Un matin d’hiver, je sentis combien cette terre

avance en roulant. Un souffle d’air

venu des tréfonds crépitait

aux murs de la maison.

 

Baignée par le mouvement : la tente du silence.

Et le gouvernail secret d’une nuée d’oiseaux migrateurs.

Le trémolo des instruments

cachés montait

 

de l’ombre de l’hiver. Comme lorsque nous voici

sous le grand tilleul de l’été, avec le vrombissement

de dizaine de milliers

d’ailes d’insectes au-dessus de nous.

 

17 poèmes, 17 Dikter, 1954,

in Baltiques, Œuvres complètes 1954-2004, Poésie/Gallimard

 

A la lecture de ce poème on perçoit le grand écart des saisons dans ce pays nordique qu’est la Suède. On y découvre surtout un poète déchiffreur de la nature et de ses vibrations, un poète à l’écoute de son infinie complexité. On sent l’activité profonde venue des « tréfonds » et la rotondité de la terre qui « roule », l’air devient feu (il « crépite »), la musique de la nature s’élève et « monte », tout est bourdonnement secret avec « le vrombissement » des ailes des insectes estivaux. Ces derniers ont d’ailleurs une place capitale dans l’œuvre du poète suédois. On sait qu’on est au cœur d’un pays maritime avec l’image du gouvernail, des oiseaux migrateurs, de l’étrave, l’emploi de l’adjectif « baignée » pour qualifier la terre. Si tout est mouvement, en même temps tout est « paix » et « silence ». La dernière strophe culmine avec l’antithèse entre « l’ombre de l’hiver » et la verticalité solaire de l’été symbolisé par le tilleul.

Le poète nous communique ainsi sa sensation intérieure et nous contraint à accepter l’envers de la réalité, ces « possibilités inaccessibles », essence même de la poésie pour Georges Bataille. Quant à Renaud Ego, il se demande si ce n’est pas la grande et calme neige suédoise qui a fait accéder Tranströmer  à l’illumination poétique.

 transtörmer

Sources :

Avertissement de Kjell Espmark de l’Académie suédoise,

Postface de Renaud Ego, in Baltiques, Œuvres complètes 1954-2004, Poésie/ Galliamard

 

Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots,

Thème proposé par Fanfan : hiver

 

 

 

 

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commentaires

D
Bon weekend à tous les deux et merci pour ton beau poéme aussi . J' aime la photo hivernale . À bientôt ,
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C
<br /> <br /> Je suis heureuse que tu marches de nouveau. La plage et la mer n'attendent plus que toi !<br /> <br /> <br /> <br />
M
Pour moi les explications étaient nécessaires. Très beau poème dans le bruissement du silence enveloppé de froid.<br /> Merci.
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C
<br /> <br /> Pas trop didactiques, cependant, je l'espère. Merci, Jeanne, d'avoir été sensible à ce poème venu du froid.<br /> <br /> <br /> <br />
A
C'est un poète que j'aimerai lire. Merci pour l'étude du poème qui nous éclaire et permet de mieux approcher son écriture. Belle soirée
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C
<br /> <br /> Je te prêterai le recueil, chère Alice. A bientôt, je l'espère.<br /> <br /> <br /> <br />
V
Merci encore Catheau, pour ces lectures analytiques de poésies condensées (donc intenses :)... )alliées à la découvertes de poëtes peu connus,<br /> Bonne soirée à vous,<br /> Valdy
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C
<br /> <br /> Ce faisant, j'espère ne pas déflorer le plaisir de la lecture ! Grief banal, que brandissaient souvent mes élèves...<br /> <br /> <br /> <br />
L
Je pense que le rapport à l'hiver et à la nuit hivernale chez les scandinaves nous échappent un peu. Merci de cet éclairage. Amitiés dan
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C
<br /> <br /> Un froid qui conduit à la dépression ou à l'ascèse de la pensée, au choix ! Amitiés.<br /> <br /> <br /> <br />
J
Il faut aimer l'hiver pour vivre à ces latitudes ! une approche très personnelle au plus juste en même temps.<br /> Paix et silence, ce sont deux noms qui reviennent souvent dans les poèmes d'hiver. Ce n'est sans doute pas un hasard.<br /> Comprendre et accepter le nécessaire endormissement de la terre en hiver ...<br /> Bises et belle soirée
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C
<br /> <br /> Un climat, j'imagine, qui oblige à rentrer en soi-même et invite à la méditation. Merci, Jeanne.<br /> <br /> <br /> <br />
N
Nous nous sommes retrouvées avec Tomas Tranströmer. Vous en faites une très belle présentation. Il utilise des images, des métaphores qui nous font nous interroger, essayer de nous glisser dans<br /> l'âme du poète.
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C
<br /> <br /> Un hasard bienvenu, chère Noune.J'aime cette poésie d'un homme "ancré" dans notre temps.<br /> <br /> <br /> <br />
A
Comment ne pas être influencé par son cadre de vie ???
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C
<br /> <br /> Un cadre de vie où le froid règne en maître. A bientôt, ABC.<br /> <br /> <br /> <br />
J
La blogo c'est super, on y decouvre plein d'auteurs nouveaux aimé de l'un et de l'autre...Ici un suédois talentueux, Merci ! JB
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C
<br /> <br /> Chaque jour, en effet, la possibilité de nouvelles découvertes. Merci, Jill, de votre enthousiasme.<br /> <br /> <br /> <br />
M
Je ne connaissais pas.
Répondre
C
<br /> <br /> J'espère que vous avez aimé ce poème, Malika.<br /> <br /> <br /> <br />

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