Portrait d'une jeune Arlésienne, Alexandre Hesse, vers 1842
Dans le Carnet de poésie de ma grand-mère, sur une feuille d’un bleu passé, on peut lire deux poèmes rédigés d’une petite écriture fine et ronde, celle de M. Gay, l’inconnu qui a écrit le poème intitulé « Après la guerre… » que j’ai déjà évoqué.
Ces deux textes sont très différents dans leur tonalité : le premier est une personnification du Rhône et décrit son voyage des glaciers jusqu’à la mer ; le second est une méditation sur le Temps et a pour titre « Le cœur de l’homme ».
Je ne sais pourquoi ma grand-mère, une fille du pays d’oïl, a conservé ce feuillet qui renferme un poème en l’honneur des femmes du pays d’oc, les Arlésiennes, dont il célèbre la beauté. Une petite note, précédée d’une croix, précise d’ailleurs la définition de l’ « aise », une des pièces du costume provençal.
Peut-être aimait-elle particulièrement la nouvelle d’Alphonse Daudet, L’Arlésienne, qui évoque la tragique histoire du beau Jan, « sage comme une fille, solide et le visage ouvert », amoureux fou à en mourir d’une petite Arlésienne coquette, « toute en velours et en dentelles ». Qui n’a pas en mémoire l’admirable chute de la nouvelle : « C’était dans la cour, devant la table couverte de rosée et de sang, la mère toute nue qui se lamentait, avec son enfant mort sur ses bras » ?
La légende du Rhône
Un jour, il vit enfin luire le grand soleil !
C’était près d’Avignon, vieille ville papale !
Et, du coup transformé, son eau jusque là sale
Muée en un miroir immense de vermeil !
Après avoir suivi le chemin des épreuves
Le Rhône devenait le plus beau des grands fleuves !
Alors il s’attardait près de ses vastes îlots,
Et, poursuivant le cours de son humeur fantasque,
Passait, majestueux, auprès de la Tarasque,
Serpentant dans les blés pleins de coquelicots,
Dans les prés qu’il rêvait de trouver sur sa course
Depuis les glaciers bleus où se perdait sa source !
Mais, un jour de printemps, au soleil radieux,
D’Arles voyant enfin, dans l’air pur, les arènes
Dresser, près de son lit, leurs arcades romaines,
Il pensa s’arrêter, n’en croyant pas ses yeux…
Car le fichu plissé croisé par-dessus l’aise *
En coiffe provençale, il voyait une Arlèse !
C’est alors qu’il comprit, n’ayant plus rien à voir,
Qu’il avait dignement rempli sa destinée.
Et, craignant de flétrir l’image illuminée
Reflétée un instant dans son plus pur miroir,
Il alla vers la mer, en bénissant sa chance,
Puisqu’il avait pu voir Les Femmes de Provence !
M. Gay
* Aise : sorte de tunique noire que les Arlèses (ou Arlésiennes) portent sous leurs fichus blancs qui forment ce qu’on appelle la chapelle.