Le Flambeau de Neuville-Saint-Vaast, souvenir du martyre du village
Dans le Carnet de Poésie de ma grand-mère, j’ai trouvé ce sonnet recopié sur un feuillet libre, apparemment arraché à un autre livret, car les bords en sont finement dentelés, et comme écrit à la hâte, dans une sorte d’urgence fiévreuse à dire l’horreur.
Son titre « Après la bataille », m’a évidemment fait penser au poème de Victor Hugo, dans La Légende des Siècles et qui porte le même titre. Le poème de ce dernier évoque la figure du général Hugo, lors de l’avancée des troupes françaises pendant la guerre d’Espagne. Poème célèbre par sa dramatisation et son art du récit, dans lequel le fils poète exalte le souvenir du père illustre, qui donne à boire au soldat « mort plus qu’à moitié » qui le vise au front. Tout le monde a en mémoire le dernier vers :
« Donne-lui tout de même à boire », dit mon père. »
Ici, le sonnet a une tonalité beaucoup plus tragique (proche peut-être du Dos de mayo peint par Goya qui y stigmatise les exactions des Français) et se clôt sur un vers empreint de mysticisme.
J’ignore à qui appartiennent les initiales A. V. écrites à la fin du texte, mais c’est sûrement quelqu’un qui a vu de près le spectacle horrible de la guerre. Peut-être est-ce même un soldat qui a participé à cette phase de ce que les historiens de la Grande Guerre ont appelé la guerre de position, qui fait suite à la guerre de mouvement de 1914. Au mois d’octobre de cette même année, après avoir occupé Lille, les Allemands sont arrêtés à Vimy lors de la bataille de l’Artois mais ils ont détruit le beffroi d’Arras.
Le 9 mai 1915, c’est la prise de la Targette à Neuville-Saint-Vaast dans le Pas-de-Calais, village qui sera totalement détruit. La division marocaine réussit alors une percée sur la crête de Vimy. La situation décrite dans le poème est celle de l’Armée française avant qu’elle ne se lance dans la Deuxième Bataille de l’Artois et ne soit arrêtée à Lorette. Neuville-Saint-Waast ne sera dégagée qu’au mois d’octobre.
J’ai recopié le poème tel qu’il se présente, en respectant les majuscules, l’orthographe et la ponctuation employées.
Neuville Saint Vaast- Sonnet- 12 mai 1915.
Après la bataille
La route, entre deux rangs d’arbres
[déchiquetés
longe les murs béants d’un verger. La mitraille
a d’informes monceaux de pierre et de
[ferraille
Jonché le sol meurtri des jardins dévastés
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Tout fume encor ; du fond des boyaux empestés
Monte un affreux relent de mort et de
[bataille
Les cadavres gisants (un surtout qui vous
[raille
En un rictus hideux, pêle-mêle jetés
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Un chemin creux, au fond l’enclos du
[cimetière
Au revers des talus, donnant dans la
[poussière
les vainqueurs effondrés sur les corps
[des vaincus ;
Parfois le sifflement d’un obus, un cratère
qui s’ouvre, et le couchant qui nimbe de lumière
la face en pleurs du Christ et ses bras étendus
A. V.
Les combats eurent lieu dans le cimetière lui-même, ce qui explique la présence d’un Christ aux bras étendus. Actuellement, le cimetière de La Targette s’étend sur 44 525 m2 et accueille 12 210 corps, dont 11 443 Français.
Je pense avec émotion à l’inconnu qui a pris la plume pour témoigner du scandale de la guerre et à ma grand-mère qui a conservé ce papier plié, sur lequel son nom est écrit au crayon de bois, preuve que ce poème lui était bien destiné.
En ce jour de 11 novembre 2010, commémorant l'armistice du 11 novembre 1918, qui mit fin à la boucherie de la Grande Guerre, je publie de nouveau ce poème anonyme, retrouvé dans Le Carnet de Poésie de ma Grand-Mère. Et je me souviens que tous les survivants de cette guerre sont morts.
Pour le Jeudi en Poésie des Croqueurs de Mots.