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29 juin 2015 1 29 /06 /juin /2015 10:45
Balade contée "le nez en l'air à Marson" (Photo ex-libris.over-blog.com, jeudi 25 juin 2015)

Balade contée "le nez en l'air à Marson" (Photo ex-libris.over-blog.com, jeudi 25 juin 2015)

 

Jeudi 25 juin 2015, la Bibliothèque de Rou-Marson, dont je suis une des bénévoles, organisait une Balade contée « le nez en l’air », dans les ruelles et aux lisières des bois de Marson. La PEB (Patrimoine Environnement Botanique) et la Bibliothèque-Médiathèque de Saumur en étaient les partenaires.

Menée par Renée Monnier, présidente de l’association des Chemins botaniques, le groupe d’une petite trentaine de personnes a d’abord fait halte dans la charmante église Sainte-Croix de Marson. L’occasion pour Jean-Claude Monnier, trésorier de l’association Patrimoine Religieux en Saumurois, de présenter la symbolique d’une église : son orientation à l’est, vers le soleil levant, symbole du Christ ; le plan basilical, en forme de croix latine ; l’emplacement codifié des statues de la Vierge et des saints ; le bénitier et les fonts baptismaux remémorant le baptême du Christ ; la chaire, les cierges, etc.

Pierre Bourigault, Marie-Jo Béziers et Michelle Sécher ont évoqué l’atmosphère  sereine de la petite église Sainte-Croix en disant un poème (1911) de Jeanne Nérel. Celle-ci y décrit une « sobre » église de campagne, modeste comme la nôtre, mais pleine de charme. La Vierge y sourit avec Jésus « assis sur sa manche », « Des vases bleus sont tout remplis/ De fleurs à l’odeur de vanille », on y entend de « tout petits bruits » dans la lumière des vitraux peints, tandis qu’une vieille s’en va lentement « dans le cloître vide ».

Ensuite, sur l’herbe verte du petit cimetière qui jouxte l’église, j’ai dit un poème intitulé « Buisson ardent », que j’avais écrit en octobre 2010. C’était en une autre saison, mais le charme de ce lieu paisible, d’où l’on devine, derrière les murs de la fontaine, le tuffeau blanc du château de Marson, caché par de hauts platanes, est bien le même : « […] C’est derrière un mur blanc/ Sur un coteau herbeux/ Le soleil culminant/ Incendie mes deux yeux »

Pierre nous a ensuite invités à le suivre avec « Sensation » de Rimbaud : « Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers […] » « Les chemins nous inventent, il faut laisser vivre les pas », disait Philippe Delerm.

Nous avons remonté la rue vers la sortie du village et, devant de vieux murs, Renée a fait remarquer les anciens anneaux destinés aux chevaux et la juxtaposition du soubassement de grès et de la pierre de tuffeau. Avant le chemin de la Croix, nous avons tourné à gauche et, par un petit sentier, pénétré sous le couvert des arbres. Sous les châtaigniers, chênes et pins, nous avons décliné plusieurs poèmes qui célèbrent l’arbre.

Michelle a dit d’abord, un texte de Jacques Prévert, qui les aimait et qui affirmait : « Les arbres parlent arbre/ Comme les enfants parlent enfant ». Car « Quand la vie est une forêt/ Chaque jour est un arbre […] ». Avec Renée, Jules Supervielle nous a rappelé la création avec « Le premier arbre », un poème qui dit l’exaltation du Créateur : « C’était lors de mon premier arbre,/ J’avais beau le sentir en moi/ Il me surprit par tant de branches,/ Il était arbre mille fois […] ». Pour nous rappeler que l’arbre est un être vivant à notre image, Michelle a dit un de mes poèmes, « L’être de l’arbre » : « Qui saura l’être de l’arbre/ Sa force vive en de vibrants insectes […] ». « Il était une feuille » de Robert Desnos a souligné ce lien vital entre le cœur de l’homme et les arbres, dont les racines nous relient à l’univers. Une idée que Christian Bobin exprime à sa manière : « Chaque matin, au réveil, je demande à l’arbre devant ma fenêtre : « Quoi de neuf aujourd’hui ? » La réponse vient sans tarder : « Tout. » Enfin,  alternativement, nous avons dit un poème de Andrée Chédid l’Egyptienne, qui vécut au Pays des Cèdres : « […] Cheminer d’arbre en arbre/ Explorant l’éphémère/ Aller d’arbre en arbre/ Dépistant la durée ».

Une halte sous une clématite vigne blanche, montée à l’assaut des arbres, a donné à Renée l’occasion de dire un texte de Michel Lis, celui que l’on surnommait « Moustache verte ». Parti récemment au paradis des jardiniers, il avait écrit un texte que l’on retrouve dans de nombreuses légendes. C’est l’histoire du Rossignol dont les pattes avaient été liées pendant la nuit par les vrilles d’une clématite. Et voilà pourquoi, désormais, il demeure en éveil et chante la nuit « de peur qu’une autre Herbe aux Gueux […] ne vienne l’entraver pour toujours. »

Quittant le couvert des arbres, Renée a évoqué la toxicité et les vertus de la bollène (verbascum thapsus), de la bourdaine (frangula alnus), du plantain lancéolé et de la menthe, ce qui a réveillé des souvenirs d’enfance chez nombre de promeneurs. Dans une clairière qui fut autrefois un verger très bien entretenu,  Renée nous a dit en souriant que le propriétaire vieillissant préfère désormais aller jouer au palet plutôt que de sulfater ses arbres fruitiers. L’occasion pour Pierre de dire un texte de Robert Gélis, un poète et romancier pour la jeunesse dont les textes sont pleins d’humanité et d’humour : « Ils ont coupé le vieux pommier/ Roi du verger/ Et en tronçons l’ont débité […"

Dans cet endroit ensoleillé où la nature reprend très vite ses droits, nous avons donné la parole à Raymond Queneau. Dans son recueil Battre la campagne (1968),  il jette un regard plein de tendresse cruelle sur le monde végétal, animal et minéral. Avec « Feu le jardinier » il nous permet d’imaginer la lutte des plantes pour la vie : « L’homme est mort et son jardin vit/ […] chacun pousse à sa façon/et la place est chère au soleil/ il y a des morts et des blessés/ parmi les végétaux abandonnés/ qui regrettent peut-être la main du jardinier ».

Notre groupe s’est ensuite dirigé vers les fontaines du bois. Laissant sur notre gauche le premier lavoir, nous avons fait une première halte devant un lierre terrestre. Parfois appelée « courroie de saint Jean », cette plante de la famille des lamiacées est souveraine contre les abcès et les furoncles. Invités par Renée à le froisser entre nos doigts pour en humer l’odeur, nous avons écouté « Le nez fin » de Raymond Queneau : […] c’est peut-être de l’anis c’est peut-être de la menthe/ c’est peut-être la plante/ qui fait rêver à tous les parfums de l’Arabie/ […] à la route rouillée à la boue piétinée/ à l’eau/ à rien ».

Auprès de la seconde fontaine, des rondins de bois avaient été disposés en façon d’hémicycle  par les soins de Pierre et les marcheurs y ont pris place. Des draps blancs avaient été étendus sur des tiges de bois. Dans la fraîcheur des arbres, traversés par les rayons du soleil du soir d’été, Marie-Jo nous a fait rêver au charme des fontaines d’antan avec « D’une fontaine » de Philippe Desportes. Inspirateur de La Fontaine, ce poète baroque fut surnommé le « Tibulle français »  pour la douceur et la facilité de ses vers : « Cette fontaine est froide, et son eau doux-coulante,/ A la couleur d’argent semble parler d’amour :/ Un herbage mollet reverdit tout autour,/ Et les aulnes font ombre à la chaleur brûlante […] ».

C’est ensuite Louis Poirier, dit Julien Gracq, qui a ressuscité pour nous un « Jour de lessive à Saint-Florent » (Lettrines, 2), « branle-bas rituel et périodique ». De son enfance heureuse et campagnarde, il n’oublia jamais « l’odeur enveloppante, un peu sucrée, de lessive fraîche » : « Du fond de mon enfance, je me souviens de la lessive, espèces d’Etats généraux domestiques où deux fois par an, à côté de notre bonne, de celle de mon grand-père et de ma tante, se rassemblaient le ban et l’arrière-ban des laveuses […] » A l’occasion du pliage des draps, Pierre a invité Marie-Noëlle et d’autres à plier avec lui les grands rectangles de coton et lin blanc. Au rythme de la petite chanson populaire, « Roulons-le le père Mathurin/ Roulons-le dans sa brouette », Marie-Noëlle a été joyeusement balancée « d’avant en arrière assis[e] au milieu des draps pliés en huit ».

Dans ce lieu de verdure intime et accueillant, nous ne pouvions manquer ici de penser au « Vallon » de Lamartine. Ce texte romantique célébrissime exprime l’accord fusionnel entre l’homme et la nature : « Mais la nature est là qui t’invite et qui t’aime ;/ Plonge-toi dans son sein qu’elle t’ouvre toujours,/ Quand tout change pour toi, la nature est la même,/ Et le même soleil se lève sur tes jours. »

Pourtant, certains sont très angoissés lorsqu’ils se retrouvent dans une forêt. C’est le cas du saturnien Verlaine qui, avec le poème « Dans les bois », décrit une nature nocturne, inquiétante et hostile : «  […] La nuit vient. Le hibou s’envole. C’est l’instant/ Où l’on songe aux récits des aïeules naïves…/ Sous un fourré, là-bas, des sources vives/ Font un bruit d’assassins postés se concertant. »

Tout en fredonnant la « Chanson du Père Mathurin », nous avons repris notre marche bucolique vers un tas de bois coupé, à la lisière des arbres. L’occasion pour Renée de lancer un cri d’alarme contre ceux qui tuent les arbres de façon anarchique et contribuent à la destruction des forêts et des paysages : « Le bûcheron et sa cognée/ font des trous dans la forêt/ […] ô promoteur urbain arrête un peu le bras/ laisse aux végétariens quelques ares de square ». Un écho moderne à l’appel inquiet de Ronsard aux bûcherons de la forêt de Gastines !

Aux abords du lotissement de Godebert, nous nous sommes arrêtés entre un banc de pierre et un beau noyer. Dans l’espoir qu’il ne sera pas abattu lors de la construction prochaine de maisons neuves prévues à cet endroit, j’ai lu le poème que j’avais écrit il y a quelques années : « Elégie pour un noyer ». J’y évoquais la mort du noyer que j’aimais et qui se tenait sous mes fenêtres : « J’aimais le noyer devant ma fenêtre/ J’aimais le noyer diseur de saisons/ Pigeons et ramiers en étaient les maîtres/ Et chaque matin trillaient leur chanson […] Toujours érigé en songe peut-être/ Un printemps prochain je le reverrai ».

Pierre nous a ensuite distillé les « Confidences d’un banc public », un poème drolatique de Geneviève Thibert : […] Oh ! J’en ai entendu des mots, des phrases,/ Des jérémiades, des déclarations,/ Des projets, des insultes, des menaces,/ Des cris, des pleurs, des rires, des chansons […] ».

En longue file indienne, longeant les haies des maisons, nous sommes remontés vers les hauts de Godebert. Mêlés au groupe, les diseurs ont lancé les proférations de Raymond Devos contre les haies avec le texte « Je hais les haies » : « Je hais les haies/ Qui sont des murs./ […] Je hais les murs/ Qu’ils soient en dur/ Qu’ils soient en mou !/ Je hais les haies/ Qui nous emmurent./ Je hais les murs/ Qui sont en nous. »

Tout en haut de Godebert, à la lisière des champs, nous avons lancé encore « Un cri », toujours de Raymond Queneau. Il y fustige l’emprise progressive du « ciment » : « dans la nuit de ciment/ c’est elle qui crie/ la nature entraînée/ dans le gouffre du temps/ cherchant sa délivrance ».

Cette Balade contée le nez en l’air s’est terminée par un apéritif convivial devant la cave communale de Marson, sur la place en face du château. Renée et moi y avons dit un dernier poème, intitulé « Risques champêtres ». Un texte amusant qui décrit avec humour les dangers que recèle Dame Nature :  « […] lorsque vous tendez la main vers/ un végétal quelconque/ réfléchissez quelques secondes/ ne devenez pas daltonien/ ne vous laissez prendre sans vert ».

En ce soir de la sainte Eléonore,  cette promenade où nous avons herborisé et poétisé a été une manière agréable et bucolique de commencer l’été.

 

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